La question de savoir si une personne physique qui contracte un prêt immobilier pour acquérir un bien destiné à la location peut être qualifiée de consommateur a suscité une jurisprudence abondante. La réponse n’est pas univoque et dépend de plusieurs facteurs que les tribunaux examinent au cas par cas.
Une qualification aux conséquences juridiques importantes
L’enjeu de cette qualification est considérable puisqu’elle détermine l’application du régime protecteur du code de la consommation, notamment concernant :
- Les règles relatives au crédit immobilier
- La prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation
- La protection contre les clauses abusives
- Les exigences d’information précontractuelle
Les critères de distinction entre consommateur et professionnel
Le critère fondamental : l’activité professionnelle
Selon l’article 2 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives, un consommateur est « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».
L’article L. 312-3 (devenu L. 313-2) du code de la consommation exclut de son champ d’application les prêts destinés à financer l’activité professionnelle, « notamment celle des personnes physiques ou morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, procurent, sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d’immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance ».
Les indices retenus par la jurisprudence
Plusieurs indices sont pris en compte par les juges pour déterminer si l’emprunteur agit en qualité de consommateur ou de professionnel :
- L’inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS) comme loueur en meublé professionnel constitue un indice fort d’activité professionnelle. Dans un arrêt du 21 mars 2018, la Cour de cassation a relevé que l’emprunteur « était inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur en meublé professionnel » pour en déduire que le prêt était destiné à financer une activité professionnelle.
- Le nombre d’opérations immobilières réalisées est déterminant. Dans ce même arrêt, la Cour a retenu que les emprunteurs « avaient procédé à neuf autres opérations similaires », ce qui caractérisait une activité professionnelle. De même, dans un arrêt du 29 juin 2022, la Cour a cassé l’arrêt d’appel qui n’avait pas recherché si « la souscription, par l’emprunteur, inscrit au registre du commerce et des sociétés pour l’exercice d’une activité de loueur en meublé professionnel, de ces trois prêts en vue de l’acquisition de trois logements, parmi les trente-six dont il se rendait concomitamment acquéreur, destinés à la location meublée, ne relevait pas d’une activité professionnelle ».
- Le caractère habituel de l’activité, même accessoire à une activité principale, est pris en compte. La Cour de cassation rappelle régulièrement que « ne relèvent pas des règles propres au crédit immobilier à la consommation les prêts destinés à financer l’activité professionnelle, fût-elle accessoire, d’une personne physique qui, à titre habituel, procure des immeubles ou fractions d’immeubles en propriété ou en jouissance ».
Une évolution jurisprudentielle récente en faveur des investisseurs occasionnels
Un arrêt important de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 octobre 2024 (CJUE, C-347/23) a apporté des précisions significatives à cette question. La Cour a jugé qu’une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire afin de financer l’achat d’un seul bien immobilier résidentiel pour le mettre en location à titre onéreux relève de la notion de « consommateur » lorsque cette personne agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.
La Cour précise que « le seul fait que ladite personne physique cherche à tirer des revenus de la gestion de ce bien immobilier ne saurait, en soi, conduire à exclure la même personne de la notion de consommateur ».
Cette décision reflète une approche fonctionnelle de la qualification, centrée sur la finalité poursuivie par l’emprunteur plutôt que sur le type d’opération juridique réalisée.
Critères de distinction pratiques
On peut ainsi dégager les critères suivants pour déterminer si un investisseur locatif est un consommateur :
- Est qualifié de consommateur l’emprunteur qui :
- Acquiert un nombre limité de biens immobiliers (généralement un seul)
- N’est pas inscrit au RCS en qualité de loueur professionnel
- N’exerce pas une activité habituelle de location
- Réalise un investissement patrimonial ponctuel
- Est qualifié de professionnel l’emprunteur qui :
- Acquiert plusieurs biens immobiliers
- Est inscrit au RCS en qualité de loueur professionnel
- Exerce de façon habituelle une activité de location
- A pour but principal de générer des revenus à travers cette activité
Sources
- CJUE, C-347/23, 24 octobre 2024, LB et JL contre Getin Noble Bank S.A.
- Cass. 1re civ., 21 mars 2018, n° 16-10.342
- Cass. 1re civ., 6 juin 2018, n° 17-16.519
- Cass. 1re civ., 29 juin 2022, n° 19-25.207
- Cass. 1re civ., 30 juin 2021, n° 19-10.565
- CA Lyon, 1re ch. civ. b, 16 oct. 2018, n° 16/07581
- CA Agen, ch. civ., 8 mars 2017, n° 14/01483