Le vide juridique avant 1991
Avant 1991, aucune voie d’exécution ne visait spécifiquement les droits incorporels. Ce vide juridique posait problème. Pour mieux appréhender la saisie des droits incorporels, sa définition et son domaine actuel, une perspective historique est indispensable.
Les huissiers improvisaient. Pour les titres nominatifs et droits d’associé, ils utilisaient la saisie-arrêt. Pour les titres au porteur détenus par le débiteur, la saisie-exécution.
Ces solutions étaient imparfaites. La saisie-arrêt imposait une validation judiciaire malgré l’existence d’un titre exécutoire. La saisie-exécution s’appliquait mal aux biens immatériels.
La révolution de 1991-1992
La loi du 9 juillet 1991 et son décret du 31 juillet 1992 ont créé une procédure spécifique : la saisie des droits d’associé et des valeurs mobilières.
Cette réforme a comblé un vide juridique majeur. Elle a adapté les voies d’exécution à la réalité économique. Les praticiens l’ont saluée.
Le texte s’inscrivait dans une modernisation globale des voies d’exécution. Il remplaçait des procédures datant du code napoléonien de 1806.
Codification de 2012 : clarté et innovation
Le code des procédures civiles d’exécution est entré en vigueur le 1er juin 2012. Les dispositions sur la saisie des droits incorporels figurent aux articles L. 231-1 à L. 233-3 et R. 231-1 à R. 233-9.
Cette codification a apporté une innovation majeure. L’article R. 231-1 étend la procédure à tous les droits incorporels « dans la mesure où leur spécificité n’y met pas obstacle ».
Le champ d’application s’est ainsi élargi au-delà des droits d’associé et valeurs mobilières. Désormais, la procédure couvre potentiellement tous les droits incorporels non monétaires.
Le rôle créateur de la jurisprudence
Avant 2012, la Cour de cassation a pallié les lacunes du texte. Son avis du 8 février 1999 a autorisé l’application analogique de la procédure aux licences de débit de boissons.
D’autres arrêts marquants ont précisé le régime :
- L’arrêt du 4 novembre 2003 sur l’insaisissabilité de facto des offices ministériels
- L’arrêt du 21 octobre 2010 sur la saisie conservatoire des parts de SCP
- L’arrêt du 8 décembre 2022 sur les tiers saisis
Extension progressive du domaine
Le domaine de la saisie s’est étendu par étapes, englobant progressivement bien plus que les actions et parts sociales initialement visées :
- Droits d’associé et valeurs mobilières (1992)
- Licences d’exploitation (1999)
- Tous droits incorporels (2012)
Des incertitudes persistent pour certains biens :
- Cryptoactifs (Bitcoin, NFT)
- Biens virtuels dans les métavers
- Données personnelles et fichiers clients
Une décision constitutionnelle récente
Le 17 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnels « les mots des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.
Cette décision impose une réforme. Jusqu’au 1er décembre 2024, le débiteur peut contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels devant le juge de l’exécution. Cette évolution met en lumière le rôle continu des juridictions, notamment de la Cour de cassation, dans la clarification des modalités de contestation en matière de saisie des droits incorporels.
Vers quelle évolution?
Plusieurs pistes de réforme existent :
- Adapter la procédure aux cryptoactifs
- Harmoniser le droit de l’exécution et le droit des sociétés
- Simplifier les formalités d’agrément
- Créer un régime spécifique pour les nouveaux droits incorporels
- Comparer le régime français avec les droits étrangers pour identifier des pistes d’harmonisation ou d’inspiration.
Ces évolutions sont nécessaires. Les patrimoines modernes contiennent de plus en plus de droits incorporels. Le droit doit s’adapter à cette nouvelle réalité économique. Pour naviguer ces complexités et comprendre l’impact de ces évolutions sur la saisie des parts sociales aujourd’hui, un conseil juridique spécialisé est indispensable.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Avis Cour de cassation, 8 février 1999, n° 98-00.015
- Décision Conseil constitutionnel, 17 novembre 2023, n° 2023-1068 QPC