La contrefaçon coûte chaque année 6 à 8 milliards d’euros à l’économie française. Pour combattre ce fléau, les titulaires de droits intellectuels disposent d’un outil procédural puissant : la saisie-contrefaçon. Cette procédure, bien que méconnue du grand public, constitue l’une des armes les plus efficaces dans l’arsenal juridique de protection des droits de propriété intellectuelle.
Qu’est-ce que la saisie-contrefaçon ?
Définition juridique
La saisie-contrefaçon est une mesure d’instruction effectuée à titre probatoire, visant à obtenir la preuve d’une contrefaçon. Selon le Répertoire de procédure civile élaboré par Xavier Daverat, il s’agit d’un « acte conservatoire qui peut intervenir avant une action en contrefaçon ou simultanément avec celle-ci » (CPI, art. L. 332-1, art. L. 615-5, art. L. 716-4-7).
Cette procédure permet au détenteur de droits de collecter des preuves de contrefaçon par le biais d’un huissier autorisé par ordonnance judiciaire. Sa mise en œuvre est toutefois soumise à des conditions juridiques strictes.
Caractère facultatif mais efficace
La saisie-contrefaçon n’est pas obligatoire. Les juges peuvent être directement saisis d’une action en contrefaçon sans recours préalable à cette procédure (Com. 14 déc. 2010, n° 09-72.946). Toutefois, sa praticité et son efficacité en font un outil précieux.
Elle offre en effet des moyens d’investigation considérables :
- Pénétration dans des locaux privés
- Appréhension matérielle des biens suspectés
- Description détaillée des objets contrefaisants
- Accès aux documents détenus par le contrefacteur présumé
Caractère exorbitant du droit commun
La saisie-contrefaçon constitue une procédure exceptionnelle. Elle autorise l’huissier à entrer dans des locaux privés, à rechercher des preuves et à saisir des biens sans débat contradictoire préalable (Paris, 4 avr. 1991).
Cette absence de contradiction, élément clé de l’efficacité de la procédure, est consacrée par les Accords ADPIC (art. 50). En contrepartie, la procédure est strictement encadrée, notamment quant à l’établissement des constats d’huissier et l’application de l’ordonnance autorisant la saisie.
La jurisprudence sanctionne d’ailleurs les « saisies-contrefaçon déguisées » (Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 11-20.531).
La preuve de la contrefaçon
La diversité des moyens de preuve
La preuve d’une contrefaçon peut être rapportée par tous moyens, comme l’indiquent explicitement plusieurs articles du Code de la propriété intellectuelle (CPI, art. L. 332-1, art. L. 343-1, art. L. 521-4, art. L. 615-5, art. L. 716-4-7).
Parmi les moyens les plus courants :
- Déclarations à l’huissier (Paris, 29 janv. 2003)
- Constats d’huissiers (Crim. 6 déc. 1993, n° 89-86.591)
- Constats sur mandat dans un supermarché (Aix-en-Provence, 15 déc. 2000)
- Constats dans des foires ou salons (TGI Paris, 8 mai 1973)
- Constats sur Internet
- Constats dressés par agents assermentés des sociétés de perception et de répartition des droits (TGI Toulouse, 11 mai 2000)
On peut également produire objets et factures (Aix-en-Provence, 19 mai 2004) ou des attestations (Paris, 1er oct. 1997).
La place de la saisie-contrefaçon dans l’arsenal probatoire
La saisie-contrefaçon offre des avantages considérables par rapport aux autres moyens de preuve. Elle permet d’accéder à des lieux privés, d’examiner en détail les produits suspects et de recueillir des documents commerciaux ou techniques souvent inaccessibles autrement.
Le procès-verbal de saisie-contrefaçon bénéficie d’une force probante importante, car dressé par un officier ministériel. Son contenu fait foi jusqu’à inscription de faux (Com. 4 janv. 1984).
Ce poids probatoire explique pourquoi, malgré son caractère facultatif, la saisie-contrefaçon reste la voie privilégiée pour établir la contrefaçon. Sa mise en œuvre exige la préparation d’une requête formelle au juge.
Les alternatives à la saisie-contrefaçon
Des procédures alternatives existent, comme les mesures d’instruction in futurum prévues à l’article 145 du Code de procédure civile.
Le demandeur peut solliciter « sur requête ou en référé » diverses mesures probatoires s’il existe « un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».
La jurisprudence a confirmé que ces mesures peuvent s’appliquer en matière de propriété intellectuelle (Lyon, 10 mai 2011).
Néanmoins, cette voie présente un inconvénient majeur : la procédure est contradictoire, perdant ainsi l’effet de surprise propre à la saisie-contrefaçon.
Évolution législative de la saisie-contrefaçon
Historique de la procédure
La notion même de « saisie-contrefaçon », introduite par P. Roubier, trouve ses racines dans des textes anciens. Le décret des 31 décembre 1790 et 7 janvier 1791 permettait déjà de « requérir la saisie des objets contrefaits » pour traduire les contrefacteurs en justice.
La loi du 5 juillet 1844 a ensuite structuré un dispositif proche de l’actuelle saisie-contrefaçon, donnant au titulaire d’un brevet la possibilité d’obtenir, sur ordonnance présidentielle, une description et éventuellement une saisie d’éléments soupçonnés d’être contrefaisants.
Les lois n° 68-1 du 2 janvier 1968, n° 90-1052 du 2 novembre 1990 et n° 92-597 du 1er juillet 1992 ont progressivement modernisé ce dispositif.
Les réformes récentes (lois de 2007 et 2014)
La directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle a imposé aux États membres de prendre des mesures de conservation des preuves d’atteinte à ces droits.
La loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon a transposé cette directive en droit français. Le décret n° 2008-624 du 27 juin 2008 en a précisé les modalités d’application.
Plus récemment, la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 a renforcé le dispositif, harmonisant les procédures entre propriété littéraire et artistique d’une part, et propriété industrielle et commerciale d’autre part.
L’harmonisation au sein de la propriété intellectuelle
La loi de 2014 a uniformisé les règles applicables à la saisie-contrefaçon en rapprochant celles spécifiques à la propriété littéraire et artistique de celles applicables en matière de propriété industrielle.
Une première harmonisation avait été entreprise au sein de la propriété industrielle par la loi de 2007, avec des articles rédigés à l’identique pour les brevets, marques, dessins et modèles et certificats d’obtention végétale (CPI, art. L. 521-4, art. L. 615-5, art. L. 623-27-1 et art. L. 716-7).
Les textes applicables en propriété littéraire et artistique se distinguaient encore, malgré un rapprochement concernant les logiciels et bases de données (CPI, art. 332-4 et art. 343-1). Désormais, les articles L. 332-1, L. 343-1, L. 521-4, L. 615-5, L. 623-37-1 et L. 716-7 du CPI proposent des dispositions identiques.
Le droit d’information et autres mesures complémentaires
Le droit d’information
Introduit par la loi de 2007, le droit d’information permet au demandeur d’obtenir, sur décision de justice, divers documents ou informations détenus par le défendeur ou des tiers impliqués dans la contrefaçon (CPI, art. L. 331-1-2, art. L. 521-5, art. L. 615-5-2, art. L. 623-27-2, art. L. 716-4-9, art. L. 722-5).
La jurisprudence a précisé son périmètre. La Cour de cassation a validé une interprétation extensive : « La juridiction saisie au fond d’une action en contrefaçon peut ordonner la production d’informations et éléments, de nature commerciale ou comptable, susceptibles de permettre de déterminer l’origine et l’étendue de la contrefaçon » (Com. 8 oct. 2013, n° 12-23.349).
La loi de 2014 a clarifié que le droit à l’information peut s’exercer avant une décision au fond.
Les mesures d’instruction
Des mesures d’instruction peuvent compléter ou se substituer à la saisie-contrefaçon. Selon des dispositions ajoutées à tous les articles relatifs à la procédure, « la juridiction peut ordonner, d’office ou à la demande de toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon, toutes les mesures d’instruction légalement admissibles même si une saisie-contrefaçon n’a pas préalablement été ordonnée » (CPI, art. L. 716-4-8).
Ces dispositions, présentes dans tous les domaines de la propriété intellectuelle (CPI, art. L. 332-1-1, art. L. 343-1-1, art. L. 521-4-1, art. L. 615-5-1-1, art. L. 623-27-1-1 et art. L. 722-4-1), transposent la possibilité de demander la production d’éléments de preuve prévue par l’article 142 du code de procédure civile.
L’intervention en douane
La retenue en douane constitue un complément efficace à la saisie-contrefaçon. La loi du 11 mars 2014 a renforcé les moyens d’action des autorités douanières, notamment en permettant le « coup d’achat » (acquisition de biens contrefaits) et l’accès aux locaux des prestataires postaux et des entreprises de fret express.
Cette retenue peut fonctionner en parallèle avec la saisie-contrefaçon. Toutefois, si une mainlevée de la retenue douanière intervient, les informations obtenues ne peuvent être utilisées dans le cadre d’une saisie-contrefaçon que si celle-ci a fait l’objet d’une demande préalable à la mainlevée (Com. 18 déc. 2019, n° 18-10.272).
Sources
- Code de la propriété intellectuelle : articles L. 332-1, L. 343-1, L. 521-4, L. 615-5, L. 716-4-7
- Répertoire de procédure civile, « Saisie-contrefaçon », Xavier DAVERAT (mars 2020)
- Cour de cassation, chambre commerciale, 14 décembre 2010, n° 09-72.946
- Cour d’appel de Paris, 4 avril 1991
- Accords ADPIC du 15 décembre 1993, article 50
- Cour de cassation, 1re chambre civile, 28 novembre 2012, n° 11-20.531
- Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle
- Loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon
- Loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon
- Cour de cassation, chambre commerciale, 8 octobre 2013, n° 12-23.349
- Cour de cassation, chambre commerciale, 18 décembre 2019, n° 18-10.272