La mise en demeure constitue un mécanisme juridique fondamental pour constater l’inexécution d’une obligation. Au carrefour du droit des obligations et des procédures d’exécution, cet outil interpelle un débiteur défaillant avant d’engager des poursuites formelles. Mais comment ce concept se manifeste-t-il hors des frontières françaises et quelles sont les conséquences pratiques et les effets juridiques qui en découlent, qui varient significativement d’un pays à l’autre ?
1. Un concept aux multiples visages
Dans le système juridique français, la mise en demeure représente « l’état du débiteur qui se trouve en retard pour exécuter son obligation » (Code civil, art. 1231). Elle met à la charge du destinataire des dommages-intérêts et des risques. Cependant, cette notion, apparemment simple, se révèle complexe à l’international.
2. La mise en demeure dans différents systèmes juridiques
Common law : un « mystère » français
Les juristes anglo-saxons considèrent la mise en demeure comme une spécificité française difficilement traduisible. Selon J.C. Reitz, elle reste « un véritable mystère » pour les praticiens de common law. Les expressions « Legal formal notice », « Demand » ou « Putting in default » tentent de capturer cette notion sans jamais l’englober complètement.
Reitz note que « en remplissant sa fonction principale, qui est de protéger le débiteur contre l’accumulation de la responsabilité pour dommages, la règle traite les débiteurs avec une indulgence spéciale inconnue de la common law ».
Droit belge et suisse : des similarités
Les systèmes belge et suisse présentent des mécanismes similaires au droit français. En Belgique, la mise en demeure se définit comme « l’interpellation du débiteur en termes énergiques, par laquelle le créancier lui rappelle, d’une manière claire et non équivoque, la nécessité d’exécuter en nature son obligation » (P. Wéry).
Le droit suisse reconnaît également cette notion, avec des effets juridiques comparables sur le débiteur défaillant.
Droit allemand : une approche différente
En Allemagne, l’équivalent de la mise en demeure (Abmahnung) présente des caractéristiques distinctes. Contrairement au système français, l’Abmahnung peut être considérée comme un acte commercial agressif, voire un acte de concurrence déloyale dans certains contextes.
Les critères de forme et de contenu sont particulièrement rigoureux, avec des conséquences juridiques potentiellement plus sévères qu’en France.
3. Conseils pratiques pour les situations transfrontalières
Formulations adaptées
Dans un contexte international, il convient d’adapter la terminologie aux spécificités du pays destinataire:
- En contexte anglophone: privilégier « Formal notice » ou « Notice of default »
- En contexte germanophone: utiliser « Mahnung » pour un rappel ou « Abmahnung » pour une mise en demeure formelle
- En contexte hispanophone: employer « Requerimiento »
L’expression de la volonté d’obtenir l’exécution doit être explicite. Selon l’article 1344 du Code civil français, la mise en demeure doit contenir « une interpellation suffisante ».
Exigences formelles à respecter
Les modalités d’envoi varient considérablement:
- En Allemagne: l’envoi par courrier recommandé avec accusé de réception reste privilégié
- Au Royaume-Uni: l’envoi électronique avec preuve de réception suffit généralement
- En Suisse: le recours à un huissier n’est pas nécessaire, contrairement à certaines procédures françaises
L’article 43 du règlement (UE) n°1215/2012 précise que les actes extrajudiciaires peuvent être transmis aux fins de notification selon les procédures prévues par ce règlement. Au-delà des exigences formelles, comprendre comment rédiger et notifier efficacement une mise en demeure est crucial, particulièrement lorsque des spécificités culturelles et légales entrent en jeu.
Traduction et terminologie appropriées
La traduction juridique requiert une précision absolue. Un document mal traduit peut perdre son effet juridique.
Exemple: en Espagne, une mise en demeure traduite littéralement comme « puesta en mora » pourrait être requalifiée en simple rappel de paiement, sans les effets juridiques recherchés.
4. Évolutions et tendances
Harmonisation européenne
L’Union européenne tend vers une harmonisation des procédures civiles. Le règlement (CE) n°1393/2007 sur la signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale illustre cette volonté.
Cette normalisation facilite la transmission des actes entre États membres, mais ne résout pas les divergences conceptuelles entre systèmes juridiques.
Impact sur les relations commerciales internationales
Dans les contrats commerciaux internationaux, la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CVIM) ne prévoit pas expressément le mécanisme de mise en demeure. Son article 47 permet toutefois à l’acheteur d’impartir au vendeur un délai supplémentaire de durée raisonnable pour l’exécution de ses obligations.
Cette approche pragmatique reflète la nécessité d’adapter les concepts juridiques aux réalités commerciales transfrontalières.
Le droit algérien, influencé par le droit français, prévoit à l’article 179 de son code civil que « sauf disposition contraire, la réparation n’est due que si le débiteur est mis en demeure », reprenant ainsi le principe français.
Les entreprises engagées dans des transactions internationales doivent donc rester vigilantes et adapter leurs pratiques aux spécificités locales, malgré les tentatives d’harmonisation.
Sources
- Deharo G., « Répertoire de procédure civile – Mise en demeure », Dalloz, septembre 2022
- Reitz J.C., « The Mysteries of the Mise en Demeure », 63 Tul. L. Rev. 85 (1988)
- Wéry P., « Droit des obligations. Volume 1. Théorie générale du contrat », 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2021
- Van Ommeslaghe P., « Traité de droit civil belge. Tome II. Les obligations », Bruxelles, Larcier, 2013
- Liron R., « Essai sur la nature de la demeure du créancier d’après le droit suisse », éd. H. Jaunin, 1953
- Règlement (UE) n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale
- Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CVIM), Nations Unies, 1980
- Code civil algérien, article 179