Obtenir un titre exécutoire ne garantit pas le paiement. Le parcours du créancier ne s’achève pas avec l’injonction de payer européenne (IPE) – il commence réellement à ce stade. Entre obstacles juridiques et difficultés pratiques, l’exécution transfrontalière reste un chemin semé d’embûches pour les créanciers européens.
Acquisition de la force exécutoire : conditions et formalités
L’injonction de payer européenne devient exécutoire en l’absence d’opposition du débiteur dans le délai imparti. Le règlement (CE) n°1896/2006 fixe cette période à trente jours, augmentée d’un délai supplémentaire lié à l’acheminement de l’opposition. En France, ce délai additionnel est de dix jours, selon l’article 1424-14 du Code de procédure civile.
La juridiction d’origine constate alors le caractère exécutoire de l’injonction au moyen du formulaire type G (annexe VII du règlement). En pratique, c’est le greffier qui délivre ce certificat et appose la formule exécutoire, sans demande préalable du créancier.
Une particularité mérite attention : l’exécution d’une IPE ne peut être envisagée qu’après vérification de sa bonne notification. La CJUE l’a clairement établi dans son arrêt du 4 septembre 2014 (affaires C-119/13 et C-120/13) : une injonction non signifiée conformément aux normes minimales des articles 13 à 15 du règlement ne peut suivre le régime procédural normal.
Principe de libre circulation des injonctions de payer européennes
L’IPE incarne l’aboutissement d’un principe fondamental de l’espace judiciaire européen : la reconnaissance mutuelle des décisions. L’article 19 du règlement consacre cette « suppression de l’exequatur », permettant l’exécution directe dans tous les États membres sans procédure intermédiaire.
Ce mécanisme supprime deux obstacles traditionnels :
- La nécessité d’une déclaration constatant la force exécutoire
- La possibilité de contester la reconnaissance
L’IPE devient ainsi un « titre exécutoire européen spécifique », comparable à celui obtenu via la procédure européenne de règlement des petits litiges. Cette circulation quasi-libre repose sur l’uniformisation préalable de la procédure, garante d’une confiance mutuelle entre États membres.
L’article 22 §3 du règlement interdit expressément tout réexamen au fond dans l’État d’exécution. Le débiteur ne peut donc remettre en cause le bien-fondé de la créance devant les juridictions de l’État d’exécution.
Motifs de refus d’exécution : exceptions limitées
Le principe de libre circulation connaît deux exceptions prévues à l’article 22 du règlement.
D’abord, l’incompatibilité avec une décision antérieure peut justifier un refus d’exécution. Trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- Une décision antérieure entre les mêmes parties et pour la même cause
- Cette décision remplit les conditions de reconnaissance dans l’État d’exécution
- L’incompatibilité n’a pas pu être invoquée durant la procédure dans l’État d’origine
Fait notable, aucune différence de traitement n’existe selon la provenance de la décision incompatible (État membre ou pays tiers).
Ensuite, le paiement effectué par le débiteur constitue un motif légitime de refus. Toutefois, le règlement reste muet sur les modalités de preuve du paiement, créant une insécurité juridique relevée par plusieurs commentateurs.
Exécution proprement dite : renvoi aux droits nationaux
Malgré l’harmonisation procédurale, l’exécution concrète reste gouvernée par le droit national de l’État d’exécution (article 21 §1). L’injonction européenne s’exécute dans les mêmes conditions qu’une décision nationale équivalente, sans discrimination possible.
Cette règle reflète la persistance de la territorialité en matière d’exécution forcée. Chaque État conserve sa souveraineté sur les procédures coercitives applicables sur son territoire.
En pratique, le créancier doit comprendre et naviguer dans le système juridique du pays d’exécution, souvent avec l’aide d’un juriste local. Ce renvoi aux droits nationaux peut transformer l’exécution transfrontalière en parcours du combattant, surtout pour les PME et les particuliers.
Difficultés pratiques : la transparence patrimoniale
Le rapport de la Commission européenne (COM(2015) 495 final) identifie clairement l’obstacle majeur : le manque de transparence patrimoniale. Comment saisir des biens dont on ignore l’existence ou la localisation?
Les arsenaux juridiques nationaux varient considérablement en matière d’investigations patrimoniales. Ces différences reflètent des arbitrages distincts entre droit à l’exécution du créancier et protection de la vie privée du débiteur.
Depuis 1998, la Commission européenne envisage une action législative sur ce point. Le Livre vert de 2008 sur « l’exécution effective des décisions judiciaires dans l’Union européenne » a exploré diverses pistes. Le Parlement européen a également adopté des résolutions en 2009 et 2011 appelant à une harmonisation.
Pourtant, aucun instrument législatif européen dédié n’a émergé. Cette lacune complique l’exécution transfrontalière et maintient des disparités significatives entre États membres.
Perspective d’évolution de la coopération judiciaire européenne
Les solutions actuelles ne permettent pas encore une exécution véritablement efficace. Plusieurs pistes d’amélioration mériteraient d’être explorées :
- L’adoption d’un instrument législatif spécifique sur la transparence patrimoniale
- L’harmonisation des procédures d’exécution, au moins dans leurs principes fondamentaux
- Le renforcement de la coopération entre huissiers de justice et autorités d’exécution
L’expérience montre qu’un recours précoce à un professionnel du droit – avocat ou huissier – augmente significativement les chances de recouvrement dans un contexte transfrontalier. Notre cabinet accompagne régulièrement des créanciers dans ces procédures complexes, en mobilisant notre réseau de partenaires dans toute l’Europe.
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Sources
- Règlement (CE) n°1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer
- CJUE, 3e ch., 4 sept. 2014, Eco cosmetics GmbH & Co. KG c/ Virginie Laetitia Barbara Dupuy, aff. C-119/13, et Raiffeisenbank St. Georgen reg. Gen. mbH c/ Tetyana Bonchyk, aff. C-120/13
- CJUE, 4e ch., 22 oct. 2015, Thomas Cook Belgium NV c/ Thurner Hotel GmbH, aff. C-245/14
- Code de procédure civile, articles 1424-1 à 1424-15
- Rapport de la Commission au Parlement européen, COM(2015) 495 final, 13 oct. 2015
- Livre vert de la Commission « L’exécution effective des décisions judiciaires dans l’Union européenne: la transparence du patrimoine des débiteurs », COM(2008) 128 final
- PAYAN G., « Droit européen de l’exécution en matière civile et commerciale », Bruylant, 2012
- PAYAN G., « La transparence patrimoniale en droit(s) européen(s): réalisations et perspectives », Ius & Actores, Larcier, 2016/1-2