Les actifs numériques : défis juridiques et solutions pratiques

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L’essor des actifs numériques représente une révolution économique et technologique qui transforme les patrimoines. Pour les professionnels du droit comme pour leurs clients, ce nouveau territoire juridique soulève des questions complexes. Le règlement européen MICA et le droit français tentent d’encadrer ces actifs, mais de nombreuses zones d’ombre subsistent.

Qu’est-ce qu’un actif numérique ?

Le règlement MICA définit un crypto-actif comme « une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire ».

Plus largement, selon les Principes Unidroit, un actif numérique est un enregistrement électronique qui peut faire l’objet d’une « maîtrise » ou d’un « contrôle ».

En droit français, l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier intègre dans cette catégorie deux types distincts d’actifs :

  • Les jetons négociables, définis comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits »
  • Les crypto-monnaies ou monnaies virtuelles, qui sont des « représentations numériques d’une valeur » non émises par une banque centrale

Cette définition, volontairement large, permet d’englober différentes réalités économiques et techniques.

Les principales catégories d’actifs numériques

Les crypto-monnaies

Les crypto-monnaies comme le Bitcoin ou l’Ether constituent la forme la plus connue d’actifs numériques. Le tribunal de commerce de Nanterre, dans sa décision du 26 février 2020, les a qualifiées de biens fongibles et consomptibles.

Contrairement aux idées reçues, ces crypto-monnaies ne sont pas des monnaies au sens juridique du terme. Cette distinction est déterminante car elle conditionne la nature et le régime juridique des opérations telles que les prêts, les donations ou les garanties.

Une exception existe toutefois pour les jetons de monnaie électronique (e-MTs) reconnus par le règlement MICA, qui peuvent être considérés comme une véritable monnaie électronique.

Les jetons d’utilité (utility tokens)

Les jetons d’utilité confèrent un droit ou un service à la charge de l’émetteur. Ils sont souvent émis dans le cadre d’une ICO (Initial Coin Offering), une forme d’appel public à l’épargne.

Ces jetons peuvent représenter différents droits :

  • Des droits d’usage exclusifs sur une technologie
  • Des points de fidélité
  • Des droits financiers ou politiques

Les jetons non fongibles (NFT)

Les NFT représentent un certificat unique lié à un bien physique ou numérique. Leur caractère non fongible signifie qu’ils ne sont pas interchangeables, contrairement aux crypto-monnaies.

Le NFT n’est pas à proprement parler le bien lui-même, mais plutôt un instrumentum nouvelle génération qui établit un lien entre un détenteur et un sous-jacent. Sa valeur provient de la rareté qu’il crée par sa non-fongibilité.

Un NFT peut représenter :

  • Une œuvre d’art numérique
  • Un terrain dans un métavers
  • Un certificat d’authenticité pour un produit de luxe

Les enjeux juridiques majeurs

La question de la propriété et de la « maîtrise »

La notion de « maîtrise » ou de « contrôle » est centrale dans l’appréhension juridique des actifs numériques. Cette notion, au cœur des Principes Unidroit, correspond à :

  • L’aptitude à bénéficier de l’actif numérique
  • L’aptitude à empêcher les tiers d’en bénéficier
  • L’aptitude à transférer ces prérogatives à un tiers

Cette « maîtrise » passe techniquement par la détention des clés cryptographiques (clé privée et clé publique) ou des codes d’accès aux plateformes qui conservent ces actifs.

En pratique, celui qui détient les clés exerce le pouvoir de fait sur l’actif numérique, ce qui soulève d’importantes questions en droit des régimes matrimoniaux ou en cas d’indivision.

Les actifs numériques et le droit des régimes matrimoniaux

Pour un couple marié sous le régime légal de communauté, la question de la qualification des actifs numériques est cruciale.

Les crypto-monnaies et autres actifs numériques sont généralement considérés comme des biens non monétaires et impersonnels. À ce titre, ils entrent dans la communauté sauf preuve contraire.

En matière de subrogation réelle, leur nature non monétaire entraîne normalement une subrogation automatique. Si un bien propre est cédé contre des crypto-actifs, ces derniers devraient conserver la nature de bien propre.

Une difficulté particulière se pose avec les bifurcations (forks) qui peuvent intervenir en cours de mariage. Par exemple, si des bitcoins propres donnent naissance à des bitcoins cash par bifurcation, ces nouveaux actifs peuvent être analysés comme des accessoires du bien d’origine.

Les opérations à titre onéreux

Les garanties sur actifs numériques

Les actifs numériques peuvent faire l’objet de garanties efficaces à condition d’adapter les mécanismes traditionnels à leur nature particulière.

Pour les tokens de sécurité qualifiés d’instruments financiers, le régime du nantissement de titres financiers s’applique. Pour les autres actifs numériques, le gage avec dépossession de l’article 2355 du code civil semble le plus adapté.

La dépossession peut être réalisée par :

  • Le transfert des actifs sur une adresse contrôlée par le créancier
  • La mise en place d’un dispositif de multisignatures exigeant l’accord du créancier pour toute opération

Pour compenser la volatilité de certains actifs, une clause d’arrosage peut être prévue pour ajuster l’assiette de la garantie en cas de baisse de valeur. Ces ajustements visent à protéger les intérêts des parties en évitant que des fluctuations extrêmes ne compromettent l’intégrité des garanties. De plus, dans un contexte plus large, l’amortissement des actifs en entreprise joue un rôle crucial dans la gestion de la valeur des biens, permettant ainsi une meilleure planification financière et une anticipation des pertes potentielles. Une telle approche favorise une stabilité accrue dans le processus d’évaluation des garanties sur le long terme. L’impact de la dépréciation d’actifs peut néanmoins se faire sentir de manière significative sur les états financiers d’une entreprise, affectant ainsi sa capacité à attirer des investissements. En intégrant une vision proactive de la gestion des actifs, les entreprises peuvent mieux naviguer à travers les défis liés à cette dépréciation et optimiser leur rentabilité. Cela permet également d’assurer une transparence financière qui renforce la confiance des parties prenantes. En s’appuyant sur les principes de l’amortissement comptable, les entreprises peuvent établir une stratégie de valorisation des actifs qui reflète leur utilisation réelle au fil du temps. Cela permet non seulement de respecter les exigences réglementaires, mais aussi de démontrer une gestion financière rigoureuse aux investisseurs. En conséquence, maîtriser ces principes devient essentiel pour garantir une évaluation précise et cohérente des performances économiques, même face aux fluctuations du marché.

Les cessions et apports en société

La monnaie virtuelle utilisée dans une opération de vente transforme juridiquement celle-ci en contrat d’échange plutôt qu’en vente au sens strict.

Pour l’apport d’actifs numériques en société, la qualification dépend de leur nature :

  • Pour un jeton de monnaie électronique (e-MTs), il pourrait s’agir d’un apport en numéraire
  • Pour les autres actifs numériques, il s’agit d’un apport en nature nécessitant éventuellement l’intervention d’un commissaire aux apports

La transmission des actifs numériques

Les donations

La donation d’actifs numériques présente des défis spécifiques liés à leur nature et à leur volatilité.

En pratique, deux aspects techniques sont essentiels :

  • La nécessité d’identifier précisément les actifs donnés et leur valeur
  • Le transfert effectif du pouvoir de fait sur ces actifs

Pour réaliser une donation efficace, le notaire doit veiller à ce que le donataire ouvre un compte auprès d’une plateforme et que le transfert soit effectué en temps réel, avec une capture d’écran annexée à l’acte.

Pour limiter les risques liés à la volatilité, plusieurs options sont envisageables :

  • Une clause de rapport forfaitaire
  • Une obligation de conversion ou de remploi
  • Une donation-partage qui fixe définitivement la valeur des biens donnés

Les legs

Pour les legs d’actifs numériques, le testament mystique ou international semble particulièrement adapté en raison de la confidentialité qu’il offre.

Ces formes testamentaires permettent de sécuriser les informations sensibles (codes d’accès, clés) sans les exposer dans le testament lui-même, tout en garantissant leur transmission aux héritiers désignés.

Fiscalité et conformité

Obligations déclaratives

L’article 1649 bis C du code général des impôts impose une obligation de déclaration des actifs numériques détenus auprès d’entreprises établies à l’étranger.

Pour les cessions, l’article 150VH bis du code général des impôts prévoit que les plus-values réalisées lors d’une cession à titre onéreux d’actifs numériques sont passibles de l’impôt sur le revenu.

Depuis le 1er janvier 2023, le taux d’imposition est de 12,8% (hors prélèvements sociaux) pour les vendeurs non-professionnels, avec possibilité d’opter pour le barème progressif.

Lutte contre le blanchiment

Les professionnels du droit doivent être particulièrement vigilants face aux risques de blanchiment liés aux actifs numériques.

Le réflexe TRACFIN s’impose pour tout paiement effectué au moyen d’actifs numériques, une obligation particulièrement respectée par les notaires.

L’anonymat relatif de certaines transactions et la difficulté à tracer l’origine des fonds exigent une vigilance accrue dans le cadre des obligations de compliance. Il est essentiel d’établir des procédures rigoureuses pour identifier les actifs non financiers et s’assurer de la provenance des fonds. De plus, une formation continue des équipes sur les meilleures pratiques de conformité contribuera à renforcer la sécurité des transactions. Un suivi régulier des opérations suspectes permettra également d’anticiper et de prévenir toute activité illégale.

Le rôle des professionnels du droit

Face à la complexité et à l’évolution constante de ce domaine, les professionnels du droit ont un rôle essentiel :

  • Conseil sur les risques et opportunités liés aux actifs numériques
  • Sécurisation juridique des opérations
  • Vérification de la réglementation applicable
  • Adaptation des actes traditionnels à ces nouveaux actifs

Les notaires, en particulier, disposent d’un écosystème numérique (acte authentique électronique, registres dématérialisés, coffre-fort électronique) qui les positionne comme des acteurs privilégiés de cette économie.

La maîtrise des aspects techniques est indispensable pour garantir la validité et l’efficacité des actes juridiques ayant pour objet des actifs numériques.

Pour un accompagnement personnalisé dans vos projets d’acquisition, de cession ou de transmission d’actifs numériques, notre équipe se tient à votre disposition pour sécuriser vos opérations et optimiser leur traitement juridique et fiscal.

Sources

  • Code monétaire et financier, articles L. 54-10-1 et suivants
  • Règlement (UE) 2023/1114 du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs (MICA)
  • Code général des impôts, articles 150VH bis et 1649 bis C
  • Principes UNIDROIT relatifs aux actifs numériques (mai 2023)

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