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Faillite personnelle et interdiction de gérer : les risques professionnels pour le dirigeant

Table des matières

Au-delà des conséquences financières directes pour l’entreprise et potentiellement pour le patrimoine personnel du dirigeant, les difficultés peuvent entraîner des sanctions d’une autre nature, tout aussi redoutables : les sanctions professionnelles. Celles-ci ne visent pas directement le portefeuille, mais la capacité même du dirigeant à exercer son métier, à diriger, administrer ou contrôler une entreprise. L’impact sur une carrière peut être dévastateur. Les deux principales mesures sont la faillite personnelle et l’interdiction de gérer. Bien que distinctes des sanctions patrimoniales et pénales, elles constituent une réponse sévère aux manquements graves d’un chef d’entreprise. Leur objectif est clair : écarter du monde des affaires ceux dont la conduite est jugée préjudiciable ou dangereuse. Comprendre ces sanctions, savoir qui peut être visé et pour quels motifs est indispensable pour tout dirigeant soucieux de mesurer les risques liés à ses fonctions.

Qu’est-ce que la faillite personnelle et l’interdiction de gérer ?

Prévues aux articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce, la faillite personnelle et l’interdiction de gérer sont des sanctions civiles, prononcées par le tribunal de la procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire). Elles ne s’appliquent donc pas dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, conçue comme une mesure préventive et incitative.

Bien que civiles, le Conseil constitutionnel les a qualifiées de « sanctions ayant le caractère de punition », reconnaissant leur nature répressive. Elles visent à protéger l’ordre public économique en empêchant des personnes jugées fautives de nuire à nouveau. Leur prononcé n’est jamais automatique ; le tribunal dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider de l’opportunité de la sanction et de son étendue, en fonction de la gravité des faits et de la situation personnelle du dirigeant.

La faillite personnelle est la sanction la plus lourde. Elle emporte une interdiction générale d’exercer toute fonction de direction, d’administration, de gestion ou de contrôle d’une entreprise commerciale, artisanale, agricole ou de toute personne morale.

L’interdiction de gérer, quant à elle, est une sanction plus modulable. Le tribunal peut la prononcer « à la place de la faillite personnelle » (article L. 653-8). Elle permet de cibler l’interdiction sur certaines activités spécifiques ou certains types d’entreprises. Par exemple, le tribunal pourrait interdire à un dirigeant de gérer une société commerciale, tout en lui permettant de diriger une exploitation agricole.

Qui peut être sanctionné ?

Ces sanctions ne concernent que les personnes physiques. Une société ne peut pas être condamnée à une faillite personnelle ou une interdiction de gérer. La liste des personnes visées par l’article L. 653-1 du Code de commerce est large et couvre la plupart des acteurs économiques :

  • Les personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, les agriculteurs.
  • Les personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale (sauf exception ci-dessous). Cela inclut l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) et l’entrepreneur individuel relevant du nouveau statut unique depuis 2022.
  • Les dirigeants de droit ou de fait de personnes morales (sociétés commerciales, sociétés civiles, associations, GIE…). Que le dirigeant soit rémunéré ou non, qu’il ait agi en droit (mandat social) ou en fait (sans mandat mais avec un pouvoir réel et indépendant) est indifférent. La jurisprudence est constante pour inclure les dirigeants de fait.  
  • Les représentants permanents (personnes physiques) désignés par une personne morale lorsque celle-ci est elle-même dirigeante d’une autre entité.  

Il est crucial de noter que même un dirigeant ayant cessé ses fonctions avant l’ouverture de la procédure peut être poursuivi, si les faits qui lui sont reprochés ont été commis pendant son mandat et ont contribué à la situation menant à la procédure collective.  

Une exception majeure existe : ces sanctions ne sont pas applicables aux personnes physiques (ou dirigeants de personnes morales) exerçant une activité professionnelle indépendante qui sont, à ce titre, soumises à des règles disciplinaires propres (par exemple, sous le contrôle d’un ordre professionnel). Sont donc généralement exclus les avocats, notaires, médecins, experts-comptables, etc., pour qui les sanctions relèvent de leurs instances ordinales. Cette exception, parfois critiquée, ne s’applique cependant pas à toutes les professions réglementées ; les pharmaciens, par exemple, bien que soumis à une discipline ordinale, sont considérés comme commerçants et peuvent donc faire l’objet de ces sanctions.  

Dans quels cas la faillite personnelle peut-elle être prononcée ?

Le tribunal ne peut prononcer la faillite personnelle que pour des faits précis, limitativement énumérés par la loi. Ces textes sont d’interprétation stricte. Les principaux cas sont les suivants :  

Faits généraux applicables à toutes les personnes visées (Article L. 653-5)

Cet article liste sept catégories de comportements :

  1. Avoir exercé une activité (commerciale, artisanale, agricole, de direction…) contrairement à une interdiction légale. Il s’agit d’avoir violé une incompatibilité (ex: un notaire dirigeant une société commerciale ) ou une interdiction déjà prononcée par la justice.  
  2. Avoir fait des achats pour revendre en dessous du cours, ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure. Les « moyens ruineux » incluent typiquement des emprunts excessifs générant des frais financiers insoutenables, l’escompte systématique d’effets de complaisance, ou l’émission répétée de chèques sans provision.  
  3. Avoir souscrit, pour le compte d’autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l’entreprise. L’exemple classique est l’acceptation d’effets de complaisance, mais cela peut aussi viser des contrats de travail injustifiés.  
  4. Avoir payé ou fait payer, après la date de cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres. C’est la sanction de la violation du principe d’égalité des créanciers une fois les difficultés avérées. La connaissance de l’état de cessation des paiements doit être prouvée.  
  5. Avoir, en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure (mandataire, liquidateur, administrateur), fait obstacle à son bon déroulement. Cela vise le dirigeant qui refuse de communiquer des informations ou documents essentiels. L’abstention doit être volontaire, mais il n’est pas nécessaire de prouver l’intention spécifique d’entraver la procédure.  
  6. Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes l’exigent, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière. C’est un cas fréquent. La comptabilité fictive implique une dissimulation de la réalité économique (ex: double comptabilité, enregistrement de créances très surévaluées ). La disparition peut être une destruction, une dissimulation ou un refus prolongé de remise. L’absence totale de comptabilité est aussi visée. La simple irrégularité ou incomplétude doit être « manifeste » pour tomber sous le coup de ce texte.  
  7. Avoir déclaré sciemment, au nom d’un créancier, une créance supposée (inexistante ou hypothétique). Introduit en 2014 pour contrer les abus liés à la possibilité pour le débiteur de déclarer des créances au nom de ses créanciers.  

Faits spécifiques aux entrepreneurs individuels (Article L. 653-3)

Pour les commerçants, artisans, agriculteurs, et professionnels indépendants (y compris EIRL et nouveau statut d’entrepreneur individuel), deux fautes spécifiques sont prévues, en plus de celles de l’article L. 653-5 :

  1. Avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements. L’abus est ici la clé; il faut distinguer l’obstination déraisonnable de l’optimisme ou de la tentative légitime de redressement. Des prélèvements personnels excessifs peuvent caractériser cet abus.  
  2. Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif. Ces actes sont très proches de certains cas de banqueroute.  

L’article L. 653-3, II, ajoute pour les EIRL et les entrepreneurs individuels du nouveau statut :

  • Avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de l’activité professionnelle visée par la procédure.  
  • Avoir fait des biens ou du crédit de l’entreprise ou du patrimoine affecté un usage contraire à son intérêt à des fins personnelles ou pour favoriser une autre structure ou un autre patrimoine.  

Faits spécifiques aux dirigeants de sociétés (Articles L. 653-4 et L. 653-6)

En plus des cas généraux de l’article L. 653-5, les dirigeants de personnes morales peuvent être sanctionnés pour :

  1. Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres. Cela recouvre largement les situations d’abus de biens sociaux (ABS).  
  2. Avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel sous le couvert de la personne morale.  
  3. Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise où il est intéressé.  
  4. Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements. La différence avec le cas de l’article L. 653-3 est l’exigence ici d’un intérêt personnel prouvé du dirigeant.  
  5. Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. Ces faits sont très similaires à ceux de l’article L. 653-3 et aux actes de banqueroute.  
  6. Ne pas avoir acquitté les dettes mises à sa charge en application de l’article L. 651-2 (condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif).  

Dans quels cas l’interdiction de gérer peut-elle être prononcée (Article L. 653-8) ?

Comme mentionné, le tribunal peut choisir de prononcer une interdiction de gérer à la place de la faillite personnelle pour n’importe lequel des faits listés ci-dessus, s’il estime la faillite personnelle trop sévère ou inadaptée.  

L’article L. 653-8 prévoit aussi des cas spécifiques où seule l’interdiction de gérer (et non la faillite personnelle) peut être prononcée :

  1. Avoir, de mauvaise foi, omis de remettre au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements obligatoires dans le mois suivant le jugement d’ouverture (liste des créanciers, inventaire, etc., prévus à l’art. L. 622-6).  
  2. Avoir sciemment omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation dans le délai de 45 jours suivant la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation. L’adverbe « sciemment », ajouté par la loi Macron de 2015, implique que le dirigeant doit avoir eu conscience de l’état de cessation des paiements et avoir volontairement omis d’agir. Une simple négligence ou une erreur d’appréciation sur la date exacte ne suffit plus. La preuve de cet élément intentionnel incombe au demandeur. L’appréciation se fait au regard de la date de cessation des paiements fixée par le jugement d’ouverture ou de report.  

Quels sont les effets et l’étendue de ces sanctions ?

Les conséquences varient entre la faillite personnelle et l’interdiction de gérer.

Effets de la faillite personnelle (Article L. 653-2)

  • Interdiction générale : Interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale, artisanale, agricole ou toute personne morale. C’est une interdiction très large.  
  • Perte du droit de vote : Le dirigeant sanctionné ne peut plus voter dans les assemblées de la société en procédure collective. Un mandataire désigné par le tribunal vote à sa place.  
  • Cession des titres : Le tribunal peut ordonner la cession des actions ou parts sociales détenues par le dirigeant dans la société.  
  • Incapacité élective (facultative) : Le tribunal peut aussi prononcer l’incapacité d’exercer une fonction publique élective (maire, député, conseiller…) pour une durée égale à celle de la faillite personnelle, dans la limite de 5 ans. Cette mesure doit être spécifiquement motivée.  
  • Reprise des poursuites individuelles : Les créanciers dont les créances n’ont pas été payées dans la liquidation judiciaire recouvrent leur droit de poursuivre individuellement le débiteur personne physique déclaré en faillite personnelle (art. L. 643-11, III).  

Effets de l’interdiction de gérer (Article L. 653-8)

  • Interdiction ciblée : L’interdiction porte sur la direction, la gestion, l’administration ou le contrôle, mais le tribunal peut la limiter à certains types d’entreprises ou d’activités.  
  • Perte du droit de vote et cession des titres : Ces mesures sont possibles, comme pour la faillite personnelle.  
  • Pas d’incapacité élective : Cette sanction n’est pas prévue pour l’interdiction de gérer.  
  • Pas de reprise automatique des poursuites : L’interdiction de gérer seule n’entraîne pas le recouvrement du droit de poursuite individuelle des créanciers.  

Durée et réhabilitation (Article L. 653-11)

  • Durée limitée : Que ce soit pour la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer, le tribunal doit fixer la durée de la sanction, qui ne peut excéder 15 ans. Auparavant, la faillite personnelle pouvait être prononcée à vie.  
  • Fin de la sanction : La mesure prend fin automatiquement à l’expiration de la durée fixée, ou si le passif est intégralement payé.  
  • Réhabilitation / Relèvement : L’intéressé peut demander au tribunal qui a prononcé la sanction d’être relevé de celle-ci (totalement ou partiellement) avant son terme. Pour cela, il doit prouver qu’il a apporté une contribution suffisante au paiement du passif. L’appréciation du caractère « suffisant » est laissée au juge. Si l’intéressé a été condamné uniquement à une interdiction de gérer, il peut aussi demander le relèvement en démontrant sa capacité à diriger ou contrôler une entreprise (par exemple, via une formation). Un relèvement total équivaut à une réhabilitation. La procédure et les conditions de réhabilitation sont détaillées ailleurs.  

Il est à noter que certains faits, comme le détournement d’actif ou les irrégularités comptables, peuvent entraîner à la fois une sanction professionnelle (faillite personnelle ou interdiction de gérer) et une sanction pénale au titre de la banqueroute. Ces sanctions sont distinctes de celles abordées dans notre guide global sur les sanctions des dirigeants.

La complexité des règles et la gravité des enjeux soulignent l’importance d’être bien conseillé lorsqu’une procédure collective est envisagée ou ouverte. Si vous êtes confronté à une telle situation, notre cabinet peut vous assister pour défendre vos droits et limiter les risques de sanctions.

Sources

  • Code de commerce, articles L. 653-1 à L. 653-11 (Faillite personnelle et autres mesures d’interdiction)
  • Code de commerce, articles R. 653-1 à R. 653-4 (Procédure relative à la faillite personnelle et aux autres mesures d’interdiction)

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