blooming orange petaled flowers at daytime

Sanctions et défense en matière d’abus de position dominante

Table des matières

L’abus de position dominante expose les entreprises à des sanctions financières considérables. Les amendes peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial. Google a ainsi été condamné à verser 2,4 milliards d’euros pour avoir favorisé son comparateur de prix dans les résultats de recherche. Face à ces risques, et pour mieux appréhender les bases de la concurrence déloyale, les entreprises doivent connaître les défenses possibles et les évolutions récentes de la jurisprudence.

L’autorité de la concurrence dispose de pouvoirs étendus: mesures d’enquête, injonctions, sanctions pécuniaires. Son approche évolue vers une analyse plus économique des pratiques. Cette tendance ouvre des perspectives de défense nouvelles pour les entreprises en position dominante.

Quelles sont les possibilités de justification d’un comportement apparemment abusif? Comment se défendre efficacement? Cet article analyse les stratégies juridiques disponibles et les bonnes pratiques à adopter.

Les mécanismes de sanction des abus de position dominante

Le rôle central de l’Autorité de la concurrence

L’Autorité de la concurrence constitue l’acteur principal du contrôle des abus de position dominante en France. Elle agit soit par auto-saisine, soit sur plainte d’une entreprise victime, d’un organisme professionnel ou du ministre de l’Économie.

L’article L. 462-6 du code de commerce donne compétence à l’Autorité pour appliquer l’interdiction des abus de position dominante. Cette disposition s’applique en droit français interne. Le règlement européen 1/2003 lui confère également compétence pour appliquer l’article 102 du TFUE en droit de l’Union européenne.

La procédure devant l’Autorité comprend plusieurs phases:

  • Phase d’instruction menée par les rapporteurs
  • Notification des griefs aux parties concernées
  • Présentation d’observations par les parties
  • Séance devant le collège de l’Autorité
  • Décision motivée

Cette procédure respecte le principe du contradictoire et les droits de la défense.

Les sanctions encourues

L’Autorité dispose d’un arsenal de sanctions:

  • Amendes financières: Elles peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial. L’Autorité tient compte de la gravité des faits, de la durée des pratiques et de l’éventuelle réitération.
  • Injonctions: L’Autorité peut ordonner de mettre fin aux pratiques abusives, modifier des contrats ou accorder l’accès à une infrastructure essentielle.
  • Mesures conservatoires: En cas d’urgence, l’Autorité peut prononcer des mesures temporaires pour préserver la concurrence en attendant sa décision finale.
  • Procédure de transaction: Elle permet à l’entreprise qui ne conteste pas les griefs de bénéficier d’une réduction d’amende.
  • Engagements: L’entreprise peut proposer des engagements pour mettre fin aux préoccupations de concurrence. Cette procédure permet d’éviter une condamnation formelle.

Par exemple, dans sa décision 09-D-24, l’Autorité a condamné France Télécom à 27,6 millions d’euros d’amende pour avoir pratiqué des prix excessifs sur les liaisons entre La Réunion et la métropole.

Le recours juridictionnel

Les décisions de l’Autorité peuvent faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris. Ce recours n’est pas suspensif, sauf décision contraire du premier président de la cour.

La cour d’appel exerce un contrôle complet sur la qualification juridique des faits et sur le montant des sanctions. Elle peut confirmer, annuler ou réformer la décision de l’Autorité.

Les arrêts de la cour d’appel peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation. La Cour de cassation contrôle l’application du droit mais ne réexamine pas les faits.

Les exemptions et justifications possibles

L’exemption légale de l’article L. 420-4 du code de commerce

Contrairement au droit de l’Union européenne, le droit français prévoit une exemption légale pour les abus de position dominante. L’article L. 420-4, I, du code de commerce dispose que ne sont pas soumises à l’interdiction de l’article L. 420-2 les pratiques:

  1. Qui résultent de l’application d’un texte législatif ou réglementaire
  2. Dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause

Cependant, cette exemption reste largement théorique. Ni le Conseil ni l’Autorité de la concurrence n’ont jamais accordé d’exemption à un abus de position dominante sur ce fondement.

La justification par la nécessité objective

Sous l’influence de la jurisprudence européenne, l’Autorité admet qu’un comportement apparemment abusif puisse avoir « des justifications objectives ».

Dans sa décision 93-D-36 du 28 septembre 1993, le Conseil a considéré que des limitations de commercialisation des pièces détachées pour appareils photographiques « étaient justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d’un service après-vente de qualité ».

Cette justification s’examine au stade de la qualification de l’abus et non au stade d’une exemption postérieure.

Les justifications économiques (nouvelle approche)

La nouvelle approche des autorités de concurrence met l’accent sur l’analyse économique des comportements. L’entreprise peut justifier ses pratiques en démontrant qu’elles produisent des gains d’efficience qui l’emportent sur les effets anticoncurrentiels.

L’article L. 420-4, III, du code de commerce, modifié par la loi du 29 décembre 2016, prévoit désormais que ne sont pas soumises à l’article L. 420-2 les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’ils sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte ».

Pour bénéficier de cette justification, l’entreprise doit démontrer que:

  • Les gains d’efficience sont réels
  • La pratique est indispensable pour obtenir ces gains
  • Les consommateurs bénéficient d’une partie de ces gains
  • La concurrence n’est pas éliminée

Par exemple, la commercialisation d’offres téléphoniques « de convergence » associant des services mobiles et des services d’accès à internet peut se justifier par les gains d’efficience qu’elle procure aux consommateurs (décision 09-D-15).

Stratégies de défense face à une accusation d’abus

Contester la délimitation du marché pertinent

La définition du marché constitue une étape cruciale. Une délimitation trop étroite peut artificiellement conférer une position dominante à l’entreprise.

Les arguments possibles incluent:

  • Élargir le marché de produits en démontrant la substituabilité avec d’autres produits
  • Élargir le marché géographique en prouvant l’absence de barrières à la circulation des produits
  • Contester la méthode utilisée par l’Autorité pour définir le marché

Dans l’affaire Google/Android, la Commission européenne a retenu un marché limité aux systèmes d’exploitation pour smartphones. Google a contesté cette définition en soutenant que son système concurrençait également iOS d’Apple.

Contester l’existence d’une position dominante

Même sur un marché correctement délimité, l’entreprise peut contester son existence d’une position dominante:

  • Relativiser l’importance des parts de marché
  • Démontrer l’absence de barrières à l’entrée significatives
  • Prouver l’existence d’un contre-pouvoir des acheteurs
  • Mettre en évidence la forte concurrence potentielle

La jurisprudence admet qu’une part de marché importante ne suffit pas toujours à établir une position dominante, notamment sur les marchés dynamiques caractérisés par l’innovation.

Contester le caractère abusif du comportement

L’entreprise peut démontrer que son comportement relève d’une concurrence normale:

  • Prouver l’absence d’effet anticoncurrentiel, réel ou potentiel
  • Montrer que la pratique s’inscrit dans une « compétition par les mérites »
  • Justifier la pratique par des considérations objectives (qualité, sécurité)
  • Démontrer les gains d’efficience résultant de la pratique

Dans sa décision 10-D-39, l’Autorité a considéré qu’une pratique tarifaire d’Orange n’était pas abusive car elle n’avait eu qu’une durée limitée et n’avait pas pu produire d’effets significatifs sur le marché.

Présenter des engagements

La procédure d’engagements offre une voie de sortie sans reconnaissance de culpabilité. L’entreprise propose des mesures qui répondent aux préoccupations de concurrence.

Cette procédure présente plusieurs avantages:

  • Éviter une condamnation formelle
  • Échapper aux amendes
  • Contribuer à la définition des remèdes
  • Préserver l’image de l’entreprise

Google a ainsi proposé des engagements concernant ses pratiques dans le secteur de la publicité en ligne (décision 10-D-30).

Bonnes pratiques et mesures préventives

Évaluer régulièrement sa position concurrentielle

Les entreprises doivent:

  • Analyser périodiquement leur position sur les marchés où elles opèrent
  • Surveiller l’évolution de leur part de marché
  • Évaluer le degré de concentration du marché
  • Identifier les barrières à l’entrée existantes

Cette évaluation permet d’adapter la stratégie commerciale au statut concurrentiel de l’entreprise.

Mettre en place un programme de conformité

Un programme de conformité comprend:

  • La formation des équipes commerciales et marketing
  • L’établissement de procédures internes de validation des pratiques sensibles
  • La réalisation d’audits réguliers des pratiques commerciales
  • La documentation des justifications objectives des pratiques

Ce programme permet de prévenir les risques et de constituer des éléments de preuve en cas de contentieux.

Documenter les justifications économiques

Face à l’approche plus économique des autorités, les entreprises doivent:

  • Documenter les gains d’efficience de leurs pratiques
  • Recueillir des données sur les bénéfices pour les consommateurs
  • Évaluer les alternatives moins restrictives possibles
  • Préparer des études économiques à l’appui de leurs arguments

Ces éléments seront précieux en cas de procédure devant l’Autorité.

Anticiper les évolutions du droit de la concurrence

Le droit de l’abus de position dominante évolue constamment:

  • Suivre les décisions récentes de l’Autorité et de la Commission
  • Anticiper les nouvelles préoccupations (économie numérique, données)
  • Adapter les pratiques commerciales aux évolutions jurisprudentielles
  • Consulter régulièrement des experts en droit de la concurrence

Cette veille juridique permet d’ajuster les stratégies avant qu’elles ne deviennent problématiques.

La défense contre une accusation d’abus de position dominante nécessite une expertise juridique spécialisée. Notre cabinet vous accompagne dans l’évaluation de vos pratiques et dans la conception de stratégies de défense adaptées. Pour sécuriser votre développement commercial, contactez-nous pour un diagnostic personnalisé de votre situation.

Sources

  • Code de commerce, articles L. 420-2 et L. 420-4
  • Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 102
  • Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002
  • Décisions de l’Autorité de la concurrence

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR