Vous avez investi du temps, de l’énergie et de la créativité pour développer un design unique pour votre produit ou son emballage ? C’est un premier pas essentiel. Cependant, pour que cette apparence bénéficie de la protection juridique spécifique offerte par le droit des dessins et modèles en France, elle doit répondre à des critères légaux bien définis. Toutes les créations visuelles ne sont pas automatiquement éligibles, et comprendre ces exigences est fondamental avant d’engager des démarches de dépôt auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).
Connaître ces conditions vous permet non seulement d’évaluer les chances de succès de votre dépôt, mais aussi d’anticiper d’éventuelles contestations de la part de concurrents. En effet, un dessin ou modèle enregistré peut toujours être attaqué en nullité s’il s’avère qu’il ne remplissait pas, dès l’origine, les conditions requises. Cet article se propose donc de décortiquer pour vous les deux critères fondamentaux que votre création doit impérativement satisfaire – la nouveauté et le caractère propre – ainsi que les situations spécifiques où, même si ces critères semblent remplis, la protection peut être refusée.
Première condition : la nouveauté
La première exigence posée par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est celle de la nouveauté. C’est une condition qui peut paraître simple en théorie, mais dont les contours pratiques méritent attention.
Le principe : votre création ne doit pas être identique à ce qui existe déjà
Selon l’article L. 511-3 du CPI, « un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué ».
Qu’entend-on par « identique » ? La loi précise que des dessins ou modèles sont considérés comme identiques « lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ». Il ne s’agit donc pas d’une identité absolue, au détail près. Si les différences entre votre création et une création antérieure sont mineures, négligeables, au point de ne pas réellement modifier l’apparence générale, la nouveauté pourrait faire défaut. En revanche, si votre création, tout en s’inspirant peut-être de l’existant, présente des différences notables, même subtiles, elle ne sera pas considérée comme identique et remplira donc, a priori, la condition de nouveauté. L’appréciation se fait au cas par cas, en comparant objectivement les caractéristiques visuelles.
Le point de référence essentiel est la « date de dépôt » de votre demande à l’INPI (ou la date de priorité si vous avez déjà déposé la même création à l’étranger dans les 6 mois précédents). C’est à cette date précise que l’on vérifie si un dessin ou modèle identique avait déjà été rendu public.
Qu’est-ce qu’une « divulgation » ?
La nouveauté est détruite si un dessin ou modèle identique a été « divulgué » avant votre date de dépôt. Mais qu’est-ce qu’une divulgation au sens légal ? L’article L. 511-6 du CPI nous éclaire : « un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s’il a été rendu accessible au public par une publication, un usage ou tout autre moyen ».
La notion est donc très large. Une divulgation peut résulter de :
- Publications : Articles de presse, catalogues commerciaux, brochures, publications sur internet (sites web, réseaux sociaux), publications de brevets ou d’autres dépôts de modèles…
- Usages : Vente du produit, exposition dans une vitrine, présentation lors d’un salon professionnel, utilisation publique…
- Tout autre moyen : Présentation lors d’une conférence, diffusion d’échantillons sans clause de confidentialité…
L’élément déterminant est l’accessibilité au public. Peu importe le lieu de la divulgation (en France ou à l’étranger) ou le support utilisé. Ce qui compte, c’est qu’avant votre dépôt, le public ait eu la possibilité de connaître l’apparence identique à la vôtre. Prouver la date exacte de cette divulgation est souvent un enjeu majeur dans les litiges : une antériorité non datée de manière certaine ne peut généralement pas détruire la nouveauté de votre dépôt.
Attention à ne pas détruire vous-même la nouveauté ! Le « délai de grâce »
C’est un point de vigilance majeur pour les créateurs et les entreprises : vous pouvez vous-même, par vos propres actions, rendre votre création non nouvelle et donc non protégeable par un dépôt ultérieur. Si vous commencez à vendre votre produit, à le présenter sur votre site web ou à l’exposer dans un salon avant d’avoir déposé votre demande à l’INPI, vous effectuez une divulgation.
Heureusement, la loi prévoit un filet de sécurité : le délai de grâce. L’article L. 511-6, alinéa 3 du CPI indique que la divulgation n’est pas prise en considération si elle a eu lieu « dans les douze mois précédant la date de dépôt de la demande ou la date de priorité revendiquée » ET si elle a été faite par le créateur, son ayant cause, ou un tiers sur la base d’informations fournies par eux (ou suite à un abus).
Concrètement, cela signifie que vous disposez d’une période de 12 mois après avoir commencé à montrer ou commercialiser votre création pour déposer votre dessin ou modèle à l’INPI, sans que cette divulgation initiale ne vous soit opposée pour détruire la nouveauté. C’est un délai précieux pour tester le marché, par exemple.
Attention cependant : ce délai de grâce ne vous protège pas contre les dépôts que pourraient faire des tiers pendant cette période s’ils ont eu connaissance de votre création. De plus, il ne vous protège pas contre les divulgations antérieures à votre propre première divulgation. C’est pourquoi, même avec ce délai, déposer le plus tôt possible reste souvent la stratégie la plus sûre.
La divulgation doit-elle être mondiale ? Une nuance importante
Le critère de nouveauté est dit « absolu » : en théorie, une divulgation identique n’importe où dans le monde, à n’importe quelle époque, pourrait détruire la nouveauté. Imaginez retrouver un vase romain identique à votre création dans un musée… Cependant, la loi introduit une nuance essentielle pour éviter des situations absurdes et garantir une certaine sécurité juridique.
L’article L. 511-6, alinéa 1er précise qu’« il n’y a pas divulgation lorsque le dessin ou modèle n’a pu être raisonnablement connu, selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé, par des professionnels agissant dans l’Union européenne » avant la date de votre dépôt.
Cela signifie qu’une divulgation très ancienne, très confidentielle, ou ayant eu lieu dans une région du monde très éloignée et sans écho en Europe, pourrait ne pas être considérée comme une antériorité destructrice si l’on peut démontrer qu’elle n’était pas raisonnablement accessible aux professionnels de votre secteur opérant dans l’UE. L’appréciation dépendra des circonstances : un motif textile oublié d’une petite tribu amazonienne n’aura sans doute pas le même impact qu’un modèle de voiture largement diffusé au Japon mais peu connu en Europe. Cette règle vise à limiter la recherche d’antériorités à ce qui est raisonnablement accessible pour les acteurs du marché européen. Pour une protection au-delà des frontières, des stratégies spécifiques sont à envisager, notamment au niveau de l’Union Européenne et à l’international.
Deuxième condition : le caractère propre
Avoir une création nouvelle (non identique à l’existant) est nécessaire, mais pas suffisant. Votre dessin ou modèle doit également présenter un caractère propre. C’est la seconde condition cumulative posée par l’article L. 511-2 du CPI.
Le principe : votre création doit produire une impression visuelle différente
Qu’est-ce que le caractère propre ? L’article L. 511-4 nous dit qu’« un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt […] ».
L’idée ici n’est plus de vérifier s’il existe une copie conforme, mais si votre création, dans sa globalité, se distingue suffisamment de ce qui existait déjà. Il faut qu’elle apporte quelque chose de visuellement différent, qu’elle ne donne pas une simple impression de « déjà-vu » ou de variation banale d’une forme antérieure. Une création peut donc être techniquement « nouvelle » (avec quelques différences mineures par rapport à l’existant) mais manquer de caractère propre si l’impression générale qu’elle dégage reste trop proche d’un modèle antérieur.
Le critère de l’ »observateur averti »
L’appréciation de cette « impression visuelle d’ensemble différente » n’est pas laissée à l’appréciation subjective de n’importe qui. La loi fait référence à l’observateur averti. Qui est-il ? La jurisprudence précise qu’il ne s’agit ni d’un expert technique ultra-spécialisé, ni du consommateur moyen peu attentif (comme en droit des marques). C’est une figure intermédiaire : un utilisateur du type de produit concerné, qui possède une certaine connaissance du secteur, qui est attentif aux différentes formes existantes sur le marché, sans pour autant avoir des compétences techniques pointues. Son degré de vigilance est plus élevé que celui du consommateur lambda.
C’est donc à travers les yeux de cet utilisateur informé et attentif que le juge (ou l’INPI si un examen était réalisé, ce qui n’est pas le cas en France pour le fond) comparera votre création à celles qui existaient avant pour déterminer si elle se distingue suffisamment.
L’importance de la « marge de liberté du créateur »
L’appréciation du caractère propre n’est pas uniforme dans tous les secteurs. La loi (article L. 511-4, alinéa 2) précise qu’« il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle ».
Cela signifie que plus le créateur est contraint dans ses choix de design (par des normes techniques impératives, des exigences fonctionnelles fortes, des codes stylistiques très établis dans un secteur), plus de petites différences ou des variations subtiles pourront suffire à donner à sa création un caractère propre. L’observateur averti, connaissant ces contraintes, sera plus sensible aux détails qui manifestent un choix créatif, même minime. Par exemple, dans le domaine très réglementé des pièces de rechange automobiles ou dans certains secteurs de la mode où les tendances sont très marquées, la marge de manœuvre du designer est faible ; de légères variations distinctives pourront alors plus facilement conférer le caractère propre. Inversement, dans un domaine où la liberté créative est grande, il faudra des différences plus marquées pour que l’impression visuelle d’ensemble soit jugée différente.
Les cas où la protection est exclue malgré tout
Même si votre création semble à première vue nouvelle et dotée d’un caractère propre, certaines caractéristiques ou certains types de créations sont exclus de la protection par le droit des dessins et modèles. Il est essentiel de les connaître. Une fois enregistré, découvrez également l’étendue et les limites des droits exclusifs conférés par votre dessin ou modèle.
Les créations contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
Comme pour les marques ou les brevets, l’article L. 511-7 du CPI exclut de la protection les dessins ou modèles dont l’exploitation serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. On pense par exemple à des designs incitant à la haine, à la violence, ou utilisant des symboles officiels de manière illégitime.
Les caractéristiques invisibles en utilisation normale
Une règle spécifique concerne les « pièces d’un produit complexe » (c’est-à-dire un produit composé de plusieurs éléments remplaçables, comme une voiture, un ordinateur…). L’article L. 511-5 du CPI précise que l’apparence d’une telle pièce n’est protégeable que si, une fois intégrée dans le produit final, elle « reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit par l’utilisateur final » (l’entretien ou la réparation ne sont pas considérés comme une utilisation normale). Ainsi, l’apparence d’une pièce purement interne, comme un composant de moteur ou l’intérieur d’un appareil électroménager non visible de l’extérieur, ne peut pas être protégée par un dessin ou modèle, même si elle est nouvelle et présente un caractère propre. Cette règle vise notamment à favoriser la concurrence sur le marché des pièces détachées non visibles.
Les formes « exclusivement imposées par la fonction technique »
C’est une exclusion fondamentale, prévue à l’article L. 511-8, 1° du CPI. Si l’apparence de votre produit (ou d’une de ses parties) est totalement et uniquement déterminée par la fonction technique qu’elle doit remplir, sans laisser aucune place à un choix créatif ou esthétique arbitraire, alors cette apparence ne peut pas être protégée par un dessin ou modèle. L’idée est d’éviter que le droit des dessins et modèles ne serve à monopoliser une solution technique, qui relève potentiellement du brevet (protégé pour une durée plus courte).
La nuance est importante : l’exclusion ne vise que les formes exclusivement dictées par la technique. Si le designer avait le choix entre plusieurs formes permettant d’atteindre le même résultat technique, et qu’il a fait un choix formel spécifique (même si cette forme a aussi une utilité), alors la protection par dessin ou modèle reste possible. La simple présence d’une fonction technique n’exclut pas la protection ; il faut que cette fonction soit la seule raison d’être de la forme considérée. La jurisprudence récente de l’Union Européenne (arrêt « Doceram ») confirme qu’il faut prouver que la fonction technique est le seul facteur ayant déterminé les caractéristiques, l’existence d’autres formes possibles n’étant qu’un indice parmi d’autres.
Les formes nécessaires à l’interconnexion
Une autre exclusion liée à la fonction technique (article L. 511-8, 2°) concerne l’apparence d’un produit « dont la forme et la dimension exactes doivent être nécessairement reproduites pour qu’il puisse être mécaniquement associé à un autre produit » (ex: l’embout spécifique d’un câble pour se connecter à un appareil précis). L’objectif est ici de garantir l’interopérabilité entre produits de marques différentes et de favoriser la concurrence sur les marchés des pièces de rechange et des accessoires compatibles.
Une exception importante existe cependant pour les systèmes modulaires : si le dessin ou modèle a pour but de permettre « des assemblages ou connexions multiples à des produits qui sont interchangeables au sein d’un ensemble conçu de façon modulaire » (pensez aux briques de jeu de construction), alors la forme de connexion peut être protégée.
Vérifier si votre création remplit les conditions de nouveauté et de caractère propre, et si elle n’entre pas dans l’une des exclusions légales, est une étape essentielle avant d’investir dans un dépôt. Une analyse préalable peut vous éviter des déconvenues et des frais inutiles. Notre cabinet peut vous aider à évaluer la protégeabilité de vos dessins et modèles et à définir la meilleure stratégie de protection grâce à son expertise en droit de la propriété intellectuelle.
Sources
- Code de la propriété intellectuelle (CPI), articles L. 511-2, L. 511-3, L. 511-4, L. 511-5, L. 511-6, L. 511-7, L. 511-8.
- Jurisprudence française et de l’Union Européenne interprétant ces dispositions.