Les effets de commerce circulent à travers les frontières. Ils exposent les acteurs économiques à diverses législations nationales. Quand un titre est tiré dans un pays, endossé dans un second et payable dans un troisième, quel droit s’applique? Ces questions exigent des réponses précises. Le régime des conflits de lois offre un cadre pour résoudre ces difficultés.
Le cadre conventionnel international
Le droit des effets de commerce a connu des tentatives d’unification. Les Conventions de Genève de 1930 et 1931 constituent le socle principal.
Les Conventions de Genève
Deux conventions fondamentales encadrent la matière :
- La Convention portant loi uniforme sur les lettres de change et billets à ordre (Convention LU)
- La Convention destinée à régler les conflits de lois (Convention CDL)
La première vise l’harmonisation des législations nationales. La seconde établit des règles spécifiques pour résoudre les conflits persistants.
Ces textes n’ont pas atteint une unification complète pour plusieurs raisons :
- L’absence d’adhésion de nombreux États, notamment anglosaxons
- Les réserves émises par les États signataires
- L’exclusion délibérée de certaines questions (provision, capacité)
- Les divergences d’interprétation jurisprudentielle
La CNUDCI et les tentatives récentes
Face aux limites des Conventions de Genève, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) a élaboré la Convention du 9 décembre 1988 sur les effets de commerce internationaux.
Ce texte n’est pas encore entré en vigueur. Il a privilégié une approche inspirée du droit anglosaxon, ce qui freine l’adhésion des États de tradition civiliste.
La diversité des régimes juridiques persiste. Un guide complet des effets de commerce facilite la compréhension de ces questions complexes.
Conflits sur la validité des obligations cambiaires
La validité d’un effet de commerce soulève trois questions principales en droit international : la capacité des signataires, les conditions de fond et les conditions de forme.
La capacité des signataires
La capacité d’une personne à s’engager par un effet de commerce obéit à sa loi nationale. L’article 2 de la Convention CDL confirme cette règle classique en droit international privé.
Le texte apporte toutefois deux tempéraments :
- Si la loi nationale renvoie à une autre loi, celle-ci s’applique (renvoi au premier degré)
- Le signataire incapable selon sa loi nationale reste tenu s’il a contracté dans un pays dont la loi le juge capable
Cette dernière règle favorise la sécurité des transactions au détriment de la protection des incapables. Elle a suscité des critiques et peut être écartée par les États signataires.
Pour les personnes morales, la capacité de jouissance dépend de la loi nationale qui leur attribue la personnalité juridique. La capacité d’exercice (pouvoirs des représentants) relève également de cette loi.
Les conditions de fond
La Convention CDL reste silencieuse sur les conditions de fond autres que la capacité. Le droit commun des conflits de lois s’applique.
Le consentement et la cause relèvent de la loi d’autonomie, c’est-à-dire celle choisie par les parties. À défaut de choix explicite, deux critères s’opposent :
- La loi du lieu de souscription de l’engagement (lex loci actus)
- La loi du lieu de paiement (lex loci solutionis)
La jurisprudence majoritaire privilégie la loi du lieu de souscription. Cette solution présente l’avantage de soumettre à la même loi la forme et le fond d’une déclaration cambiaire.
La loi d’autonomie gouverne :
- Les vices et modalités du consentement
- Les limites de l’engagement (aval partiel, endossement particulier)
- La validité des clauses sans garantie ou de retour sans frais
- L’existence et la validité de la cause
Les conditions de forme
L’article 3 de la Convention CDL donne compétence à la loi du lieu où l’engagement a été souscrit (lex loci actus). Ce principe impératif connaît deux assouplissements pour préserver la validité des engagements :
- Un engagement irrégulier selon la loi locale reste valable s’il respecte la loi du lieu d’un engagement ultérieur
- Les États peuvent admettre qu’un engagement pris à l’étranger par l’un de leurs ressortissants, conforme à sa loi nationale mais non à la loi locale, demeure valable à l’égard de leurs autres ressortissants
Ces exceptions favorisent la circulation des effets de commerce en validant le maximum d’engagements.
Le lieu de signature s’entend du lieu effectif, non du lieu mentionné sur le titre. En l’absence d’indication, des éléments comme le domicile ou l’établissement commercial du signataire servent à le déterminer.
Conflits sur les effets des obligations cambiaires
Les effets des engagements cambiaires varient selon le statut des signataires. La Convention CDL établit une distinction fondamentale.
L’accepteur et le souscripteur du billet à ordre
L’article 4, alinéa 1er, de la Convention CDL soumet les effets des obligations de l’accepteur d’une lettre de change ou du souscripteur d’un billet à ordre à la loi du lieu où ces titres sont payables.
Cette solution se justifie par le lien étroit entre l’obligation du débiteur principal et le lieu d’exécution. La Cour de cassation l’a confirmée dans plusieurs arrêts.
La loi du lieu de paiement détermine :
- L’étendue de l’obligation du débiteur principal
- Les exceptions opposables au porteur
- Les recours possibles après prescription des actions cambiaires
- La monnaie de paiement
Cette règle s’applique également à l’acceptation partielle, comme le précise l’article 7 de la Convention CDL.
Les autres obligés
L’article 4, alinéa 2, de la Convention CDL soumet les effets des obligations des autres signataires (tireur, endosseurs, avalistes) à la loi du pays où ils ont apposé leur signature.
Cette solution consacre le principe de la pluralité des rattachements. Chaque engagement cambiaire est régi par sa propre loi, indépendamment des autres engagements issus du même titre.
La loi du lieu de signature détermine :
- L’étendue de la garantie donnée par le signataire
- Les exceptions opposables au porteur
- Le régime des recours contre ce signataire
- L’action en enrichissement sans cause après prescription
Ce mécanisme peut conduire à l’application de lois différentes aux divers signataires d’un même effet de commerce. Cette complexité justifie souvent le recours à un avocat spécialisé en droit des effets de commerce.
Conflits sur l’exécution des obligations cambiaires
L’exécution des obligations cambiaires soulève des questions spécifiques en matière internationale. Trois aspects méritent une attention particulière : la provision, le paiement et les recours cambiaires.
La provision
La provision représente la créance du tireur sur le tiré. Si son importance est capitale en droit français, d’autres systèmes juridiques lui accordent un rôle secondaire.
La Convention LU a abandonné cette question aux législations nationales. La Convention CDL précise uniquement, dans son article 6, que « la loi du lieu de la création du titre détermine si le porteur d’une lettre de change acquiert la créance qui a donné lieu à l’émission du titre ».
La doctrine propose une application distributive des lois compétentes :
- La loi du rapport fondamental entre tireur et tiré détermine l’existence de la provision
- La loi du lieu d’émission régit sa transmission au porteur
Cette solution nuancée préserve la cohérence du régime juridique tout en reconnaissant la diversité des approches nationales.
Le paiement
Le paiement d’un effet de commerce international soulève des questions d’échéance, de présentation et d’exécution.
La Convention CDL confie à la loi du lieu de paiement :
- La réglementation du paiement (article 7)
- Les mesures à prendre en cas de perte ou de vol du titre (article 9)
- Le paiement partiel (article 7)
Cette solution se justifie par le lien naturel entre le lieu d’exécution de l’obligation et les modalités de cette exécution.
La monnaie de paiement pose des difficultés particulières. L’article 41 de la Convention LU y répond en présumant que les parties se réfèrent à la monnaie du lieu de paiement, sauf stipulation contraire.
Ces aspects pratiques déterminent l’efficacité d’instruments comme la lettre de change ou le billet à ordre.
Les recours cambiaires
Les recours cambiaires concernent les actions du porteur contre les garants en cas de défaillance du débiteur principal.
Conditions des recours
L’article 8 de la Convention CDL soumet la forme et les délais du protêt à la loi du pays où cet acte doit être dressé.
Cette solution pragmatique s’explique par deux considérations :
- Le protêt est un acte procédural lié au territoire où il intervient
- Les autorités qui l’établissent appliquent naturellement leur propre loi
Les cas d’ouverture des recours relèvent quant à eux de la loi du lieu d’engagement de chaque garant, conformément à l’article 4, alinéa 2.
Délais d’exercice
L’article 5 de la Convention CDL donne compétence à la loi du lieu de création du titre pour déterminer les délais d’exercice des recours.
Cette règle déroge au principe de la pluralité des rattachements. Elle vise à traiter également tous les garants, certains ne devant pas bénéficier de délais plus brefs que d’autres en raison de la loi du lieu de leur engagement.
Cette disposition ne concerne que les actions récursoires, non les actions directes contre le débiteur principal qui relèvent de la loi du lieu de paiement.
Force majeure
La force majeure peut excuser le retard dans l’accomplissement des formalités nécessaires à l’exercice des recours.
Trois solutions s’opposent pour déterminer la loi applicable :
- La loi du lieu de création du titre (article 5)
- La loi du lieu d’établissement du protêt (article 8)
- La loi régissant les conditions de recours contre chaque garant
La doctrine tend à privilégier une application distributive selon l’aspect concerné : conditions matérielles, formalités ou effets juridiques.
Stratégies juridiques dans un contexte international
Face à la complexité des conflits de lois, les opérateurs économiques peuvent adopter des stratégies préventives.
Choix de la loi applicable
Si le droit international privé reconnaît une large place à l’autonomie de la volonté, celle-ci reste limitée en matière d’effets de commerce.
Les parties peuvent néanmoins :
- Choisir judicieusement le lieu d’émission du titre
- Désigner explicitement la loi applicable au rapport fondamental
- Stipuler des clauses relatives au paiement international
Ces choix stratégiques permettent d’anticiper certains conflits de lois.
Clauses de prévention des risques
Des clauses spécifiques peuvent réduire les risques liés aux conflits de lois :
- Clause d’élection de domicile
- Clause attributive de juridiction
- Clause de monnaie de compte et de paiement
- Clause de hardship ou d’indexation
Ces stipulations contractuelles complètent utilement le régime légal des effets de commerce.
Impact de la dématérialisation
La dématérialisation des effets de commerce modifie l’approche des conflits de lois. Les titres électroniques soulèvent des questions spécifiques :
- Localisation de l’émission et de la signature
- Détermination du lieu de paiement
- Application des règles de forme
La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 introduit en droit français le titre transférable électronique, mais son articulation avec les règles de droit international privé reste à préciser.
Les effets de complaisance dans un contexte international
Les effets de complaisance soulèvent des difficultés particulières en droit international.
La qualification d’un effet comme « de complaisance » dépend de critères qui varient selon les systèmes juridiques. La sanction de cette pratique diffère également.
Trois lois potentiellement applicables s’opposent :
- La loi du lieu d’émission
- La loi du lieu de paiement
- La loi du for (tribunal saisi)
La doctrine majoritaire privilégie la loi du lieu d’émission pour apprécier la licéité de l’effet. Cette solution s’harmonise avec le principe général de soumission des conditions de fond à la loi du lieu d’engagement.
Conseils pratiques pour les entreprises
Les entreprises actives à l’international doivent adopter une approche méthodique face aux conflits de lois.
Audit préventif des pratiques
Avant toute opération internationale impliquant des effets de commerce, un audit préventif s’impose :
- Identifier les pays concernés par l’émission, la circulation et le paiement
- Vérifier l’adhésion de ces pays aux conventions internationales
- Examiner les spécificités de leurs législations nationales
Cette analyse préalable permet d’anticiper les difficultés potentielles.
Documentation appropriée
Une documentation juridique adaptée sécurise les transactions internationales :
- Convention-cadre régissant les relations commerciales
- Stipulations claires sur la loi applicable
- Mentions spécifiques sur les effets de commerce utilisés
Ces précautions réduisent significativement l’incertitude juridique.
Recours à des experts
La complexité des conflits de lois justifie le recours à des conseils spécialisés :
- Expert en droit international privé
- Avocat connaissant les législations concernées
- Conseiller bancaire familier des pratiques internationales
Ces intervenants apportent une expertise précieuse dans la structuration des opérations.
La sécurisation de vos opérations internationales impliquant des effets de commerce exige une expertise pointue. Notre cabinet vous accompagne dans l’identification des risques juridiques et l’élaboration de solutions adaptées. N’hésitez pas à contacter nos avocats spécialisés pour un conseil personnalisé.
Sources
- Conventions de Genève du 7 juin 1930 (loi uniforme et conflits de lois)
- Convention des Nations Unies du 9 décembre 1988 sur les effets de commerce internationaux
- Code de commerce, articles L. 511-1 à L. 511-81
- Loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises
- GIBIRILA D., Effet de commerce, Répertoire de droit commercial, Dalloz, janvier 2023
- CHÉMALY R., Conflits de lois en matière d’effets de commerce, Rec. cours La Haye, 1988