Loin d’être une simple notion théorique, l’action de concert est une réalité juridique et stratégique au cœur du droit des sociétés et du droit boursier. Elle désigne la situation où plusieurs personnes, physiques ou morales, se coordonnent pour mettre en œuvre une stratégie commune à l’égard d’une entreprise. L’article L. 233-10 du Code de commerce en fournit la définition légale, un texte central dont la portée est bien plus large qu’il n’y paraît. Comprendre ses mécanismes est essentiel pour tout dirigeant ou actionnaire, car une qualification en action de concert emporte des conséquences significatives, notamment en termes de responsabilité solidaire et d’obligations de déclaration. Cet article a pour but de décortiquer les éléments constitutifs de l’action de concert tels que définis par la loi.
Le cadre légal : l’article L. 233-10 du Code de commerce
Présentation générale du texte
L’article L. 233-10 du Code de commerce constitue la pierre angulaire de la notion d’action de concert. Sa rédaction, issue de multiples évolutions qui témoignent de ses origines historiques, se structure en trois temps.
Le premier alinéa (I) pose la définition générale : « Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société. »
Le deuxième alinéa (II) établit une série de situations où un tel accord est présumé exister, ce qu’on appelle les présomptions légales.
Enfin, le troisième alinéa (III) énonce la conséquence juridique principale attachée à cette qualification : la solidarité des concertistes face aux obligations qui leur incombent.
Une notion avant tout « téléologique »
Pour saisir la substance de l’action de concert, il faut comprendre qu’il s’agit d’une notion essentiellement « téléologique ». Ce terme signifie qu’elle s’analyse davantage par sa finalité (son but) que par son contenu précis ou sa forme. La loi ne cherche pas à encadrer un type de contrat spécifique, mais plutôt à appréhender une « action », c’est-à-dire une dynamique, un comportement concerté orienté vers un objectif stratégique.
Cette approche volontairement souple permet aux autorités de marché et aux juges de qualifier une grande diversité de situations, y compris des montages complexes qui, autrement, échapperaient à la réglementation. L’absence de définition stricte est une force : elle permet d’englober l’ingéniosité des opérateurs et de s’adapter aux réalités économiques.
L’élément objectif : l’existence d’un accord
Le premier pilier de l’action de concert, son élément objectif, est l’existence d’un « accord ». C’est le point de départ de toute analyse.
Indifférence de la nature et de la forme de l’accord
La loi vise « un accord » sans aucune autre précision, ce qui signifie que sa nature et sa forme importent peu. Il peut s’agir d’un contrat formel et nommé, comme un pacte d’actionnaires, mais aussi d’un accord innommé, d’une simple entente ou d’un arrangement informel.
Cet accord peut être un document autonome ou être inclus dans un ensemble plus vaste, comme les statuts d’une société en participation (SEP) ou d’une société par actions simplifiée (SAS), qui peuvent servir de véhicule à la concertation des actionnaires.
Absence d’exigence d’un écrit : l’accord tacite ou déduit des comportements
Une différence fondamentale avec certaines approches européennes est qu’en droit français, l’accord n’a pas besoin d’être écrit. Il peut être exprès, mais aussi tacite. Cette distinction est capitale, car elle permet de déduire l’existence de l’accord à partir d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants.
En pratique, cela signifie que la preuve de l’action de concert peut résulter du comportement systématiquement aligné des personnes concernées. L’observation d’un parallélisme des agissements, bien que n’étant pas une preuve suffisante à elle seule, peut constituer un indice majeur de l’existence d’une entente. L’analyse des mécanismes de l’action de concert démontre que c’est souvent l’accumulation de ces indices qui emporte la conviction du juge ou du régulateur.
Les types d’objets de l’accord : acquérir, céder ou exercer des droits de vote
La loi précise que l’accord doit porter sur l’un des trois objets suivants :
- Acquérir des droits de vote : Cela vise tout accord ayant pour but l’achat ou la souscription de titres (actions le plus souvent) donnant le droit de voter aux assemblées générales.
- Céder des droits de vote : Symétriquement, il s’agit des accords organisant la vente de titres.
- Exercer des droits de vote : Cela concerne les conventions de vote, par lesquelles les parties s’engagent à voter dans un sens commun lors des assemblées.
Ces deux premières catégories sont souvent qualifiées d’accords « capitalistiques », tandis que la dernière relève des accords « politiques ». Dans tous les cas, l’objet de l’accord doit être lié à la vie de la société et à l’expression du pouvoir qui y est attaché.
L’élément subjectif : la double finalité stratégique
Au-delà de l’accord (l’élément objectif), sa finalité (l’élément subjectif) est déterminante pour caractériser l’action de concert. L’article L. 233-10 en distingue deux, qui peuvent être alternatives ou cumulatives.
Mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société
C’est la finalité la plus large. La « politique commune » ne se limite pas à la seule gestion de l’entreprise. Elle peut concerner une multitude d’aspects stratégiques : une politique de distribution de dividendes, une orientation commerciale spécifique, une stratégie d’investissement ou de désinvestissement, etc.
L’essentiel est que les concertistes partagent une vision commune et agissent de concert pour l’imposer ou l’influencer. Ils se comportent comme un bloc homogène d’associés « actifs », cherchant à peser sur les décisions de l’entreprise au-delà de leurs participations individuelles.
Obtenir le contrôle de cette société
Cette seconde finalité, ajoutée plus tardivement au texte de loi, est venue expliciter ce qui était déjà une réalité. La « politique commune » la plus aboutie est bien souvent celle qui vise la prise de contrôle de la société. Le contrôle peut être exercé de manière unitaire ou, précisément, dans le cadre d’un contrôle conjoint par des actionnaires concertistes.
Cette finalité est souvent plus facile à démontrer en pratique, car elle se matérialise par des opérations de ramassage de titres en bourse ou la préparation d’une offre publique d’acquisition (OPA).
Qui peut agir de concert ?
Si la loi parle de « personnes », plusieurs situations particulières méritent d’être analysées pour déterminer qui peut être qualifié de concertiste.
La question de la personnalité juridique
En principe, seules les entités dotées de la personnalité juridique (personnes physiques ou sociétés) peuvent être formellement parties à un accord. Cependant, la pratique a montré que cette règle pouvait être contournée.
Par exemple, si un fonds commun de placement (FCP), qui n’a pas de personnalité juridique, ne peut être concertiste, sa société de gestion, qui le représente, peut parfaitement l’engager dans une action de concert et en assumer les conséquences.
Le cas particulier des indivisions ou des FCPE
Des questions similaires se sont posées pour des groupements dépourvus de personnalité juridique comme les indivisions successorales. Lorsque des héritiers reçoivent des actions, ils sont souvent amenés à voter via un mandataire unique. La jurisprudence et la doctrine tendent à les considérer comme des concertistes présumés, car ils agissent en bloc.
De même, les Fonds Communs de Placement d’Entreprise (FCPE), qui représentent l’actionnariat salarié, peuvent être considérés comme agissant de concert avec d’autres actionnaires, notamment dans le cadre de la défense contre une OPA hostile. La loi encadre cependant strictement ces possibilités, qui sont souvent analysées au prisme des présomptions légales.
Le concertiste sans action et le bénéficiaire effectif
Peut-on être concertiste sans détenir soi-même la moindre action ? La qualité d’actionnaire n’est pas une condition formellement exigée par le texte. On peut ainsi admettre qu’une action de concert préexiste à l’acquisition effective des titres.
Plus encore, la notion moderne de « bénéficiaire effectif » prend une importance croissante. Le droit s’intéresse de plus en plus à la réalité économique du pouvoir, en cherchant à identifier la personne physique qui, en dernier ressort, contrôle la chaîne de participations. Cette approche « économique » permet de considérer que la qualité de bénéficiaire effectif peut suffire pour qualifier une personne de concertiste, même si elle ne détient pas directement les titres. L’analyse de ces situations complexes requiert une expertise fine et l’assistance d’un avocat en droit des sociétés peut s’avérer déterminante pour évaluer les risques et les obligations qui en découlent.
L’action de concert est donc une notion vivante et adaptable, dont les contours sont définis non seulement par la loi, mais aussi par une riche jurisprudence qui en précise constamment l’application. Pour une entreprise et ses actionnaires, ignorer ses implications serait une erreur potentiellement coûteuse.
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Sources
- Code de commerce, notamment l’article L. 233-10