La saisie d’un bateau, bien que moins médiatisée que celle des navires, obéit à un régime juridique tout aussi complexe, source de nombreuses interrogations pour les créanciers et les propriétaires. Contrairement à une idée reçue, les règles applicables ne sont pas une simple déclinaison de celles du droit maritime. Le législateur a prévu un cadre spécifique pour les bateaux de navigation intérieure, distinguant les procédures selon leur taille et renvoyant tantôt au droit commun des saisies, tantôt à des dispositions spéciales. Cette dualité des régimes, entre le droit interne et les conventions internationales, crée un environnement juridique où l’erreur peut avoir des conséquences financières importantes. Il est donc fondamental de bien comprendre la procédure de saisie de navire pour la comparer avec celle, distincte, des bateaux. L’assistance par un avocat compétent dans ces matières s’avère souvent indispensable pour naviguer ces eaux juridiques troubles et sécuriser ses droits. Pour toute question sur ces procédures, n’hésitez pas à consulter nos services d’avocat spécialisé en saisie de navire (incluant les bateaux).
Introduction : spécificités juridiques du bateau
Avant d’aborder les mécanismes de saisie, il est essentiel de cerner la notion même de bateau et les critères qui déterminent le droit applicable. Le particularisme du droit fluvial et de la navigation intérieure impose une approche distincte de celle du droit maritime, notamment en fonction des caractéristiques physiques de l’engin flottant.
Définition du bateau et navigation intérieure
La première étape consiste à qualifier juridiquement l’engin concerné. Selon l’article L. 4000-3 du Code des transports, un bateau est défini comme « toute construction flottante destinée principalement à la navigation intérieure ». Cette navigation s’effectue sur ce que le code nomme les « eaux intérieures », c’est-à-dire les fleuves, rivières, canaux et lacs, en deçà des limites transversales de la mer. Cette définition exclut donc par nature les navires, qui sont équipés pour la navigation maritime. La Convention de Genève du 25 janvier 1965, relative à l’immatriculation des bateaux de navigation intérieure, adopte une vision large, assimilant aux bateaux des engins variés comme les bacs, les dragues, les grues flottantes et autres outillages flottants similaires. L’usage et la destination de l’engin sont donc déterminants pour sa qualification.
Distinction selon le tonnage et le déplacement (droit commun vs règles spéciales)
Toute la complexité du régime de la saisie de bateaux repose sur une distinction fondamentale établie par le Code des transports. Ce n’est pas tant la nature du bateau qui dicte la procédure, mais sa taille. L’article L. 4123-1 du code établit un seuil : les bateaux dont le port en lourd est égal ou supérieur à 20 tonnes, ou dont le déplacement est égal ou supérieur à 10 mètres cubes, sont soumis à un régime de saisie spécial, détaillé dans la partie réglementaire du code. En revanche, les bateaux situés en dessous de ces seuils (petites péniches, bateaux de plaisance fluviaux de faible gabarit) sont considérés comme de simples biens meubles corporels. Leur saisie est alors régie par le droit commun des procédures civiles d’exécution, notamment la saisie-vente mobilière et la saisie conservatoire de droit commun. Cette dichotomie est fondamentale : pour un créancier, identifier correctement le régime applicable est le prérequis de toute action efficace.
Les cas d’insaisissabilité des bateaux
Comme pour d’autres biens, le principe de saisissabilité des bateaux connaît des exceptions. Ces dernières visent à protéger soit l’outil de travail du débiteur, soit les prérogatives de la puissance publique. Un créancier doit impérativement vérifier que le bateau qu’il envisage de saisir n’entre pas dans l’une de ces catégories.
Bateaux instruments de travail
Le droit commun des procédures civiles d’exécution, applicable en matière fluviale, prévoit une protection pour les instruments de travail. En vertu des articles L. 112-2, 5° et R. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution, les biens « nécessaires à l’exercice personnel de l’activité professionnelle du débiteur » sont insaisissables. Cette exception trouve une application directe et fréquente pour les bateliers, artisans dont le bateau constitue souvent l’unique outil de travail et le lieu de vie. Cependant, cette protection n’est pas absolue. La loi prévoit que l’insaisissabilité cesse pour les biens de valeur. La saisissabilité d’un bateau-outil de travail dépendra donc d’une appréciation au cas par cas de sa valeur, ce qui peut donner lieu à contentieux. De plus, un bateau qui constituerait un élément corporel d’un fonds de commerce perdrait également ce caractère d’insaisissabilité.
Bateaux d’état
Une seconde exception concerne les bateaux appartenant à l’État ou exploités par lui. L’immunité d’exécution dont bénéficie l’État s’étend à ses biens, y compris ses bateaux. Toutefois, cette immunité ne couvre que les bateaux affectés à une mission de service public et non commerciale. Un bateau appartenant à un État mais utilisé pour une activité commerciale (transport de marchandises, tourisme) pourrait, en principe, être saisi. La Convention de Genève de 1965, en son article 13, consacre cette distinction en excluant de son champ d’application les bateaux affectés exclusivement à un service public non commercial. Le critère n’est donc pas la propriété, mais bien l’affectation du bateau.
La saisie conservatoire de bateaux
La saisie conservatoire est une mesure préventive. Elle ne vise pas à vendre le bateau, mais à l’immobiliser pour garantir une créance dont le bien-fondé n’est pas encore établi par un titre exécutoire. Son objectif est de faire pression sur le débiteur ou de s’assurer que le bien sera toujours présent lorsque le créancier obtiendra une décision de justice définitive.
Cadre légal : droit commun et convention de genève de 1965 (protocole n°2)
Pour les bateaux dépassant les seuils de tonnage ou de déplacement, l’article R. 4123-1 du Code des transports opère un renvoi direct au droit commun. La saisie conservatoire est donc régie par les articles L. 511-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution. C’est une différence majeure avec le régime des navires, qui disposent de règles de saisie conservatoire spécifiques. En présence d’un élément international, le Protocole n°2 annexé à la Convention de Genève de 1965 peut s’appliquer. Ce protocole concerne la saisie des bateaux immatriculés dans un État contractant (France, Autriche, Suisse, Pays-Bas, etc.). Il établit des règles matérielles et des règles de conflit de lois, précisant que la procédure de saisie et de mainlevée est régie par la loi du pays où la mesure est effectuée (lex fori).
Conditions de mise en œuvre (créance vraisemblable, danger de recouvrement)
Pour obtenir l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur un bateau en droit français, un créancier doit remplir deux conditions cumulatives, conformément à l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution :
- Une créance qui paraît fondée en son principe. Il n’est pas nécessaire d’avoir une certitude, une simple vraisemblance suffit.
- Des circonstances susceptibles de menacer son recouvrement. Le créancier doit démontrer un risque, comme l’insolvabilité apparente du débiteur ou sa volonté d’organiser sa disparition.
Le Protocole n°2 de la Convention de Genève pose des conditions similaires : le requérant doit établir la « vraisemblance de son droit » et un « danger que, faute de mesures immédiates, il ne devienne aléatoire ou sensiblement plus difficile » de recouvrer la créance. La notion de péril dans le recouvrement est donc centrale dans les deux régimes.
Procédure et compétence (juge de l’exécution, président du tribunal de commerce)
La saisie conservatoire d’un bateau nécessite une autorisation judiciaire préalable, obtenue par une requête non contradictoire pour préserver l’effet de surprise. La compétence d’attribution est partagée. Le juge de principe est le juge de l’exécution (JEX) du lieu où demeure le débiteur. Cependant, si la créance est de nature commerciale et qu’aucun procès n’a encore été engagé, le président du tribunal de commerce est également compétent. Ce partage de compétence vise à orienter le contentieux vers la juridiction la plus pertinente au regard de la nature de la dette. Territorialement, si le débiteur réside à l’étranger, le juge compétent sera celui du lieu d’exécution de la mesure, c’est-à-dire du port ou du lieu où le bateau est amarré.
Publicité de la saisie
Pour être pleinement efficace et opposable aux tiers (notamment un éventuel acquéreur ou d’autres créanciers), la saisie conservatoire doit faire l’objet d’une publicité. Le Protocole n°2 de la Convention de Genève prévoit explicitement, en son article 5, que la saisie doit être inscrite sur le registre d’immatriculation du bateau. Le droit français est muet sur ce point pour la saisie conservatoire, mais la pratique, par analogie avec la saisie-exécution, consiste à demander l’inscription de l’ordonnance de saisie au greffe du tribunal de commerce du lieu d’immatriculation. Cette formalité, bien que non prescrite à peine de nullité, est une précaution indispensable pour sécuriser les droits du créancier saisissant.
Mainlevée de la saisie et effets
L’effet principal de la saisie conservatoire est l’immobilisation du bateau. Il ne peut plus naviguer. Le propriétaire peut cependant en obtenir la mainlevée (la levée de la mesure) de plusieurs manières. Il peut contester la mesure devant le juge qui l’a autorisée s’il estime que les conditions (créance paraissant fondée, péril) n’étaient pas réunies. Plus fréquemment, il peut obtenir la mainlevée en fournissant une garantie suffisante, généralement une caution bancaire ou la consignation d’une somme d’argent, pour couvrir le montant de la créance alléguée. Cette garantie se substitue au bateau, qui est alors libéré et peut reprendre son exploitation. La saisie est ainsi une mesure provisoire qui fige une situation dans l’attente d’une solution sur le fond du litige.
La saisie-exécution de bateaux
À la différence de la mesure conservatoire, la saisie-exécution est une procédure d’exécution forcée. Son but final est de faire vendre le bateau aux enchères publiques afin de payer le créancier avec le produit de la vente. C’est une procédure plus lourde, plus formelle, et qui suppose que le créancier dispose déjà d’une décision de justice définitive.
Fondement juridique (code des transports et renvoi au droit commun ou saisie immobilière)
La saisie-exécution des bateaux de plus de 20 tonnes est spécifiquement réglementée par les articles R. 4123-2 et suivants du Code des transports. Cette procédure est proche de celle de la saisie-exécution des navires et s’inspire, pour partie, de la saisie immobilière. Une question se pose lorsque ces textes spéciaux sont silencieux : faut-il appliquer le droit commun de la saisie-vente mobilière ou celui de la saisie immobilière ? L’importance économique des bateaux concernés et leur assimilation à des « immeubles par nature » pour certains aspects de leur régime juridique plaident en faveur d’une application subsidiaire des règles de la saisie immobilière. Cette voie d’exécution aboutit à la vente forcée de bateaux, une étape ultime et encadrée.
Conditions (titre exécutoire, propriété du bateau)
La condition sine qua non de la saisie-exécution est la détention par le créancier d’un titre exécutoire, comme le prévoit l’article L. 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Il s’agit le plus souvent d’une décision de justice passée en force de chose jugée (qui n’est plus susceptible de recours suspensif d’exécution) ou d’un acte notarié revêtu de la formule exécutoire. Une simple créance, même paraissant fondée, est insuffisante. En outre, la saisie doit porter sur un bateau appartenant au débiteur condamné dans le titre. La saisie du bien d’autrui est en principe impossible, sauf pour des créanciers bénéficiant d’un droit de suite, comme un créancier hypothécaire.
Procédure (commandement de payer, procès-verbal, notification, publicité)
La procédure de saisie-exécution est formaliste et se déroule en plusieurs étapes clés :
- Le commandement de payer : L’huissier de justice signifie d’abord au débiteur un commandement de payer, acte qui le somme de régler sa dette.
- Le procès-verbal de saisie : Si le paiement n’intervient pas dans un délai de vingt-quatre heures, l’huissier peut procéder à la saisie. Il se rend à bord et dresse un procès-verbal de saisie détaillé et établit un gardien.
- La notification et l’assignation : Le créancier doit, dans un délai de trois jours, notifier une copie du procès-verbal au propriétaire et l’assigner devant le juge de l’exécution du lieu de saisie afin de faire ordonner la vente.
- La publicité : Le procès-verbal doit être transcrit dans les trois jours au greffe du tribunal de commerce du lieu d’immatriculation du bateau. Cette transcription rend le bateau indisponible : il ne peut plus être vendu ni hypothéqué par son propriétaire. La saisie est également dénoncée aux autres créanciers inscrits sur le bateau, qui sont invités à faire valoir leurs droits dans la procédure.
Le non-respect de ces délais et de ces formes peut entraîner la nullité de toute la procédure. La rigueur est donc de mise.
La saisie d’un bateau, qu’elle soit conservatoire ou en exécution, est une procédure technique où chaque étape est encadrée par des délais et des conditions strictes. La distinction fondamentale liée au tonnage, le recours au droit commun ou à des régimes spéciaux, et l’interaction avec le droit international créent un paysage juridique complexe. Face à un débiteur propriétaire d’un tel actif, ou en tant que propriétaire menacé de saisie, l’anticipation et le conseil d’un expert sont indispensables pour défendre efficacement ses intérêts. Pour un accompagnement sur mesure dans la mise en œuvre de ces voies d’exécution, nos services d’avocat spécialisé en saisie de navire (incluant les bateaux) sont à votre disposition.
Sources
- Code des transports
- Code des procédures civiles d’exécution
- Code de commerce
- Convention de Genève du 25 janvier 1965 relative à l’immatriculation des bateaux de navigation intérieure, et son Protocole n°2