Les accords de distribution, de franchise ou d’approvisionnement sont au cœur de la stratégie de nombreuses entreprises. Pourtant, ces contrats dits « verticaux » peuvent receler des clauses qui, sans une analyse attentive, risquent d’entrer en conflit avec le droit de la concurrence. Loin d’être de simples documents contractuels, ils définissent les rapports de force sur un marché. Cet article a pour but de survoler les grands principes qui gouvernent ces accords, afin de vous donner une grille de lecture claire des enjeux et des points de vigilance. Pour une expertise sur une situation de concurrence déloyale, un accompagnement est souvent indispensable. Nous aborderons ici les définitions, le cadre légal et les différents types d’accords, sachant que chaque sujet est traité plus en détail dans nos articles dédiés.
Comprendre les restrictions verticales en droit de la concurrence
Pour naviguer correctement dans ce domaine, il faut d’abord maîtriser les concepts fondamentaux qui le structurent. Le droit de la concurrence a pour but de garantir un jeu équilibré sur le marché, au bénéfice des entreprises et des consommateurs.
Définition et distinction avec les accords horizontaux
Une restriction verticale est une clause dans un accord entre entreprises opérant à des niveaux différents de la chaîne de production ou de distribution. Pensez à la relation entre un fabricant et son distributeur, ou entre un franchiseur et son franchisé. Ces accords organisent la manière dont un produit ou service atteint le client final.
La distinction avec un accord horizontal est fondamentale. Ce dernier est conclu entre des concurrents directs, c’est-à-dire des entreprises situées au même niveau de la chaîne économique (par exemple, deux fabricants de vélos). Les accords horizontaux, comme les cartels sur les prix, sont généralement considérés avec une bien plus grande méfiance par les autorités.
Aspects pro et anti-concurrentiels des restrictions verticales
Contrairement à une idée reçue, une restriction verticale n’est pas illicite par nature. Elle peut même avoir des effets bénéfiques pour la concurrence. Par exemple, une exclusivité territoriale peut inciter un distributeur à investir davantage dans la promotion d’une marque, certain de ne pas voir ses efforts « cannibalisés » par un concurrent voisin. Cela peut stimuler l’innovation et améliorer la qualité de la distribution.
Cependant, le risque anticoncurrentiel est réel. Ces clauses peuvent conduire à un cloisonnement des marchés, à une réduction de la concurrence entre les distributeurs d’une même marque (concurrence intra-marque) et, en fin de compte, à des prix plus élevés ou à moins de choix pour le consommateur. L’analyse de ces accords est donc un exercice d’équilibre, visant à peser leurs effets potentiels. Ces pratiques sont parfois liées à des ententes anticoncurrentielles plus larges, qui font l’objet d’une surveillance stricte.
Le cadre réglementaire européen : focus sur le règlement (UE) 2022/720
L’Union européenne a établi un cadre précis pour analyser les accords verticaux. La pièce maîtresse de ce dispositif est un règlement qui établit une « zone de sécurité » pour de nombreux accords.
Principes fondamentaux de l’exemption par catégorie
Le règlement d’exemption par catégorie (souvent appelé VBER, pour Vertical Block Exemption Regulation) pose un principe simple : si un accord vertical respecte certaines conditions, il est présumé être légal et échappe à l’interdiction des ententes. La condition principale est liée à la puissance des entreprises sur le marché. En règle générale, si la part de marché du fournisseur et celle de l’acheteur ne dépassent pas chacune 30 % sur leurs marchés respectifs, l’accord peut bénéficier de cette exemption.
Cette approche permet d’offrir une sécurité juridique appréciable aux entreprises, en évitant une analyse au cas par cas pour la majorité des contrats. Pour une analyse détaillée de ce texte, vous pouvez consulter notre article sur le règlement (UE) 2022/720 sur les restrictions verticales.
Les restrictions caractérisées (liste noire) : ce qui est interdit
L’exemption a ses limites. Le règlement liste des restrictions dites « caractérisées » (ou « hardcore restrictions ») qui sont si graves qu’elles font perdre à l’ensemble de l’accord le bénéfice de l’exemption, quelle que soit la part de marché des entreprises. La plus connue est l’interdiction d’imposer un prix de revente fixe ou minimal au distributeur. Un fournisseur peut suggérer un prix de vente conseillé, mais il ne peut en aucun cas empêcher le distributeur de vendre moins cher. D’autres restrictions de cette « liste noire » concernent les limitations de territoire ou de clientèle, sauf exceptions très encadrées.
Les conditions d’exemption et les restrictions exclues
Au-delà de la liste noire, le règlement identifie également des « restrictions exclues ». Il s’agit de clauses qui ne sont pas couvertes par l’exemption par catégorie, mais qui n’invalident pas pour autant le reste de l’accord. Celles-ci doivent faire l’objet d’une évaluation individuelle pour déterminer leur légalité. C’est le cas par exemple de certaines obligations de non-concurrence dont la durée est indéterminée ou supérieure à cinq ans.
Les accords d’exclusivité et le droit de la concurrence
Les clauses d’exclusivité sont fréquentes dans les contrats de distribution. Elles peuvent prendre plusieurs formes, avec des conséquences juridiques distinctes.
Distribution exclusive et règles d’entente
Dans un système de distribution exclusive, un fournisseur s’engage à ne vendre ses produits qu’à un seul distributeur sur un territoire ou pour un groupe de clients donné. En contrepartie, le distributeur peut se voir interdire de promouvoir activement les produits en dehors de sa zone d’exclusivité. Ce type d’accord est souvent pro-concurrentiel, mais il est surveillé pour éviter un cloisonnement total des marchés.
Accords de non-concurrence et d’achat exclusif
Une clause d’achat exclusif (ou « approvisionnement exclusif ») oblige un distributeur à se fournir pour un certain type de produits quasi exclusivement auprès d’un seul fournisseur. Ces accords, parfois qualifiés de « contrats de bière » par référence à leur origine historique dans le secteur des cafés-hôtels-restaurants, peuvent avoir un effet de verrouillage du marché. Leur validité dépend de leur durée et du contexte concurrentiel. L’analyse est similaire pour l’obligation de non-concurrence, qui interdit au distributeur de vendre des marques concurrentes.
Les accords de distribution sélective et le droit de la concurrence
Pour les produits de luxe, de haute technologie ou nécessitant un conseil spécifique, les fournisseurs recourent souvent à la distribution sélective.
Critères de sélection des distributeurs et jurisprudence
Un réseau de distribution sélective permet au fournisseur de ne vendre ses produits qu’à des distributeurs agréés, sélectionnés sur la base de critères définis. Pour être valable, le système doit reposer sur des critères objectifs, qualitatifs (comme la formation du personnel ou la qualité des installations), appliqués de manière non discriminatoire à tous les candidats. Le but doit être de préserver la qualité et l’image de marque du produit, et non de restreindre artificiellement le nombre de revendeurs.
Liberté commerciale des distributeurs et étanchéité du réseau
Même dans un réseau sélectif, le distributeur agréé doit conserver sa liberté commerciale, notamment en ce qui concerne la fixation de ses prix de revente. Le fournisseur peut en revanche interdire à ses distributeurs agréés de revendre les produits à des revendeurs non agréés, afin de garantir l’ « étanchéité » du réseau.
Les accords de franchise et le droit de la concurrence
La franchise est une forme spécifique d’accord vertical qui combine la concession d’une marque et la transmission d’un savoir-faire.
Clauses non restrictives et protection du savoir-faire
De nombreuses clauses restrictives dans un contrat de franchise sont admises car elles sont jugées indispensables à la protection du concept. Il est légitime pour un franchiseur d’imposer des normes communes pour préserver l’identité et la réputation du réseau, ou de protéger la confidentialité de son savoir-faire. Ces clauses ne sont généralement pas considérées comme des atteintes à la concurrence.
Les restrictions caractérisées en franchise
Toutefois, les contrats de franchise ne sont pas une zone de non-droit. Ils sont soumis aux mêmes interdictions que les autres accords verticaux. La fixation des prix de revente des produits ou services par le franchiseur est interdite. De même, les clauses de non-concurrence post-contractuelles doivent être limitées dans leur durée, leur objet et leur champ géographique pour être valides, comme le précise notre guide sur l’obligation de non-concurrence en droit commercial.
Le cas particulier du secteur automobile
Le secteur de la construction et de la réparation automobile a longtemps bénéficié d’un régime d’exemption spécifique en raison de la complexité technique des produits.
Régime de l’après-vente automobile
Bien que le règlement sectoriel spécifique ait évolué, des règles particulières demeurent, notamment pour le marché de l’après-vente. L’objectif est de garantir une concurrence effective entre les réparateurs agréés et les réparateurs indépendants. Cela passe par l’obligation pour les constructeurs de donner accès aux informations techniques, aux outils de diagnostic et aux pièces de rechange dans des conditions raisonnables et non discriminatoires.
Sanctions et prévention des risques
Ignorer les règles du droit de la concurrence peut avoir des conséquences lourdes. Les entreprises qui participent à une entente illicite s’exposent à des sanctions financières importantes de la part des autorités de concurrence, qui peuvent atteindre un pourcentage élevé de leur chiffre d’affaires mondial. De plus, les clauses illicites d’un contrat sont nulles, ce qui peut déstabiliser l’ensemble de la relation commerciale. Dans certains cas, de telles pratiques peuvent même être requalifiées en abus de position dominante si l’une des entreprises dispose d’un pouvoir de marché très important.
La complexité des règles et la gravité des sanctions rendent un audit régulier de vos contrats de distribution essentiel. Pour sécuriser vos pratiques commerciales et vous assurer de leur conformité, l’intervention d’un avocat est une démarche prudente. Contactez notre cabinet pour une analyse de votre situation et un conseil sur-mesure.
Foire aux questions
Qu’est-ce qu’une restriction verticale ?
C’est une clause contractuelle entre des entreprises qui ne sont pas concurrentes directes (ex : un fabricant et son distributeur) qui restreint les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services.
Puis-je imposer un prix de vente à mes revendeurs ?
Non, l’imposition d’un prix de revente fixe ou minimal est une restriction caractérisée, presque toujours illégale. Vous pouvez uniquement communiquer un prix conseillé non contraignant.
Un contrat de distribution exclusive est-il légal ?
Oui, en général, à condition que les parts de marché du fournisseur et du distributeur ne dépassent pas 30 %. Au-delà, une analyse au cas par cas est nécessaire pour vérifier qu’il ne restreint pas excessivement la concurrence.
Mon fournisseur peut-il m’interdire de vendre en ligne ?
Une interdiction totale de la vente en ligne est généralement considérée comme une restriction caractérisée. Toutefois, le fournisseur peut imposer des critères de qualité pour la vente en ligne, similaires à ceux exigés pour les points de vente physiques.
Quelle est la durée maximale pour une clause de non-concurrence ?
Dans le cadre du règlement d’exemption, une clause de non-concurrence ne doit pas dépasser cinq ans. Au-delà, ou si elle est post-contractuelle, sa validité dépend de conditions strictes (indispensable, limitée dans l’espace et dans le temps, etc.).
Qu’est-ce que le règlement d’exemption (UE) 2022/720 ?
C’est un texte européen qui établit une « zone de sécurité » : les accords verticaux qui respectent ses conditions (notamment des seuils de part de marché de 30 % et l’absence de restrictions caractérisées) sont présumés légaux au regard du droit de la concurrence.