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L’action de concert en droit français : comprendre ses mécanismes et implications

Table des matières

L’action de concert est un concept central du droit des affaires, souvent perçu comme technique et réservé aux opérations financières d’envergure. Il s’agit pourtant d’un mécanisme dont l’objet et les implications dépassent largement le cadre des marchés boursiers pour toucher au cœur du droit des sociétés. Une action de concert se matérialise lorsque plusieurs personnes, physiques ou morales, coordonnent leurs actions pour mettre en œuvre une stratégie commune vis-à-vis d’une entreprise. Comprendre ce mécanisme est essentiel pour tout dirigeant ou actionnaire, car une telle qualification emporte des conséquences juridiques et financières importantes, notamment en matière de transparence, de sécurité sur le marché financier, et de prise de contrôle. La difficulté réside souvent dans l’identification d’un tel comportement, qui n’est pas toujours formalisé par un contrat écrit.

Cet article a pour objectif de démystifier l’action de concert, de ses fondements légaux à ses effets pratiques. Nous verrons comment le droit appréhende cette notion, quelles sont les obligations qui en découlent et comment son champ d’application s’est progressivement étendu.

Définition et fondements de l’action de concert

Pour cerner la notion d’action de concert, il faut se référer à sa définition légale, mais aussi à l’interprétation qu’en a faite la jurisprudence. C’est la combinaison des textes et de leur application concrète, enrichie par l’actualité des affaires, qui permet de comprendre les situations visées.

Les critères légaux selon le code de commerce

La pierre angulaire de la définition juridique de l’action de concert se trouve à l’article L. 233-10 du Code de commerce. Ce texte, d’apparence simple, est en réalité d’une grande richesse. Il dispose que sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord pour atteindre un objectif précis. Ce travail d’interprétation est la clé. Deux éléments doivent donc être réunis :

  • Un élément objectif : l’accord. La loi vise « un accord conclu en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote ». Il est important de noter que le droit français n’exige pas un contrat formel et écrit. Cet accord peut être tacite et se déduire d’un ensemble de comportements coordonnés. Cette souplesse permet d’appréhender des ententes informelles qui, autrement, échapperaient à la régulation.
  • Un élément subjectif : la finalité. L’accord doit poursuivre un but stratégique, qui peut être double. Les parties doivent avoir l’intention soit de « mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société », soit d’« obtenir le contrôle de cette société ». Une simple coïncidence de votes lors d’une assemblée générale ne suffit pas ; il faut une intention partagée et une stratégie concertée.

C’est bien la réunion de ces deux éléments, un accord et une finalité commune, qui caractérise le fait d’agir de concert. La question de la preuve de cet accord, surtout lorsqu’il est tacite, est souvent au cœur des débats.

Une notion façonnée par la jurisprudence

Face à la difficulté de prouver un accord non formalisé, un long travail de la jurisprudence, consolidé par la loi du 11 décembre 2001, a joué un rôle déterminant. Les tribunaux, et notamment la Cour de cassation, ont admis que l’existence d’une action de concert pouvait être établie par un faisceau d’indices graves, précis et concordants. L’affaire Sacyr/Eiffage est emblématique à cet égard. Les juges y ont reconnu une action de concert en se fondant sur des acquisitions de titres coordonnées, des relations d’affaires préexistantes entre les actionnaires et une politique et une stratégie communes visant à déstabiliser la direction de la société visée lors d’une assemblée générale. Cet arrêt a confirmé qu’une « démarche collective organisée » suffit à prouver l’accord, même en présence des dénégations des personnes concernées.

Les présomptions légales : quand l’accord est présumé

Pour faciliter davantage la preuve, l’article L. 233-10 du Code de commerce a établi une série de situations où l’action de concert est présumée. Dans ces cas, il n’est pas nécessaire de prouver l’accord, car la loi elle-même le suppose et un concert est réputé exister. Ces présomptions, qui ne sont pas irréfragables, concernent principalement les liens de pouvoir et de contrôle au sein d’un groupe. L’existence d’un concert est ainsi présumée entre :

  • Une société, son président de conseil d’administration, et ses directeurs généraux ou membres du directoire.
  • Une société mère et les filiales qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce.
  • Des sociétés « sœurs », c’est-à-dire contrôlées par la ou les mêmes personnes.
  • Les associés d’une société par actions simplifiée (SAS) à l’égard des sociétés que cette dernière contrôle.
  • Le **fiduciaire** et le bénéficiaire d’un contrat de fiducie, lorsque le bénéficiaire est aussi le constituant et que l’objet du patrimoine transféré est la propriété des titres de la société.

Ces présomptions visent à appréhender la réalité économique du pouvoir derrière les structures juridiques. Elles sont un outil puissant pour l’Autorité des marchés financiers (AMF) et pour les sociétés elles-mêmes.

Les conséquences juridiques et financières majeures

La qualification d’action de concert n’est pas neutre. Elle déclenche des obligations contraignantes et engage la responsabilité de ses membres. C’est ici que l’assistance d’un avocat en droit bancaire et financier devient souvent nécessaire pour naviguer la complexité des règles applicables en matière de finance d’entreprise.

L’obligation de déclaration des franchissements de seuils

L’une des conséquences les plus directes est l’agrégation des participations. Pour le calcul des seuils de détention du capital ou des droits de vote (5 %, 10 %, 30 %, etc.), les actions de tous les membres du concert sont additionnées. Dès que le groupe franchit l’un de ces seuils, à la hausse ou à la baisse, il doit en faire la déclaration à l’AMF et à la société visée. L’objectif est la transparence du marché : informer les investisseurs et la direction de l’existence d’un bloc d’actionnaires agissant de manière concertée. Le non-respect de cette obligation de déclaration est lourdement sanctionné. La sanction principale, prévue par l’article L. 233-14 du Code de commerce, est la privation des droits de vote attachés aux actions excédant le seuil qui aurait dû être déclaré. Une sanction administrative et une sanction pénale peuvent également s’y ajouter, engageant la responsabilité des dirigeants, une question qui interpelle directement leur assurance responsabilité civile.

Le déclenchement d’une offre publique d’acquisition (OPA) obligatoire

L’implication la plus spectaculaire de l’action de concert est sans doute le déclenchement d’une offre publique d’acquisition. Selon l’article L. 433-3 du Code monétaire et financier, un groupe de personnes agissant de concert qui vient à détenir (ou un seul membre détenant pour le compte du groupe) plus de 30 % du capital ou des droits de vote d’une société cotée sur un marché réglementé est tenu de déposer un projet d’offre publique visant la totalité des titres de la société. Ce seuil critique est conçu pour protéger les actionnaires minoritaires en leur offrant une porte de sortie à un prix équitable lorsqu’un changement de contrôle intervient. Le refus de déposer une telle offre est, là encore, sanctionné par la privation des droits de vote pour toute la participation excédant ce seuil.

La responsabilité solidaire des concertistes

Le III de l’article L. 233-10 du Code de commerce énonce un principe fondamental : « Les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements. » Cela signifie que chaque membre du concert peut être poursuivi pour l’intégralité du manquement commis par le groupe. Par exemple, si une déclaration de franchissement de seuil est omise, l’AMF peut sanctionner n’importe quel membre du concert pour la totalité de l’amende. De même, l’obligation de déposer un projet d’offre publique pèse solidairement sur chaque personne du groupe. Cette solidarité, qui est au cœur du dispositif pénal et administratif, est une arme redoutable qui incite les membres du concert à une grande vigilance dans le respect de leurs obligations.

L’action de concert en situation d’offre publique : un régime spécifique

Le législateur, conscient des dynamiques particulières à l’œuvre lors d’une OPA, a créé un régime spécifique avec l’article L. 233-10-1 du Code de commerce. Cette loi s’applique exclusivement en période d’offre publique et simplifie l’identification du concert en se concentrant sur la finalité de l’accord.

Le concert offensif et le concert défensif

Ce texte distingue deux types d’action de concert, qui s’opposent de manière symétrique :

  • Le concert offensif : il regroupe les personnes qui ont conclu un accord avec l’initiateur de l’offre en vue d’obtenir le contrôle de la société cible. Il s’agit des alliés de l’attaquant.
  • Le concert défensif : il réunit les personnes qui se sont accordées avec la société cible dans le but de faire échouer l’offre. Ce sont les défenseurs de la société visée.

Cette distinction binaire permet à l’AMF d’identifier plus facilement les camps en présence et d’assurer le respect des règles propres à la période d’offre, qui est par nature une période de haute politique stratégique.

Des obligations d’information et d’abstention renforcées

Pendant une OPA, les membres de ces deux types de concert sont soumis à des obligations strictes. Ils doivent notamment déclarer quotidiennement à l’AMF toutes les opérations qu’ils réalisent sur les titres de la société cible. De plus, ils sont tenus à des obligations d’abstention, comme l’interdiction pour le camp de l’initiateur d’acquérir des titres à un prix supérieur à celui de l’offre. Ces règles visent à garantir l’égalité entre les actionnaires et la loyauté des débats boursiers.

L’extension de la notion au-delà du droit boursier

Initialement conçue pour le droit boursier, l’action de concert a vu son influence s’étendre progressivement au droit commun des sociétés, qu’elles soient cotées ou non. Cette évolution a été marquée par son intégration dans la définition du contrôle.

Le lien avec la notion de contrôle conjoint

La loi a intégré l’action de concert dans la définition même du contrôle conjoint. L’article L. 233-3 du Code de commerce précise que « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ». Cette reconnaissance est fondamentale, car elle fait de l’action de concert un outil d’analyse du pouvoir dans toute société, et non plus seulement dans les sociétés cotées. De ce point de vue, elle permet de qualifier une situation de contrôle partagé, même en l’absence de liens capitalistiques majoritaires pour chaque partie, dès lors qu’une stratégie commune est mise en œuvre.

Un outil pour la gestion des conflits d’intérêts

Cette extension au droit commun ouvre des perspectives intéressantes, notamment pour la gestion des conflits d’intérêts. Dans une société, qu’elle soit une PME de famille ou une start-up à vocation commerciale avec plusieurs investisseurs (parfois via une association en participation), des alliances peuvent se former. La notion d’action de concert, une fois un groupe formé, pourrait être utilisée pour analyser ces dynamiques. Par exemple, une interdiction de vote pesant sur un actionnaire directement intéressé par une convention réglementée pourrait-elle être étendue à ses concertistes, qui partagent de fait le même intérêt économique ? Bien que la jurisprudence soit encore prudente, cette approche permettrait de faire prévaloir l’intérêt social face à des stratégies de groupe qui viseraient à le contourner. C’est un champ d’analyse pertinent pour tout dirigeant ou associé soucieux de la bonne gouvernance de son entreprise.

La qualification d’une situation en action de concert est un exercice délicat qui repose sur une analyse factuelle et juridique approfondie. Ce travail d’analyse est crucial. Les conséquences d’une telle qualification étant importantes, il est recommandé de solliciter un conseil juridique pour évaluer les risques, sécuriser vos opérations d’investissement et anticiper les éventuels contentieux ou procédures d’arbitrage. Notre cabinet se tient à votre disposition pour vous accompagner dans ces problématiques complexes.

Sources

  • Code de commerce, notamment les articles L. 233-3, L. 233-7, L. 233-9, L. 233-10, L. 233-10-1 et L. 233-14.
  • Code monétaire et financier, notamment l’article L. 433-3.
  • Code pénal, sur les aspects de responsabilité des dirigeants et le risque pénal associé.
  • Règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
  • Directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition (Directive OPA).
  • Directive 2013/35/UE (dite Directive Transparence), remplaçant la directive 88/627/CEE du 12 décembre 1988.
  • Jurisprudence relative à l’association d’actionnaires et aux groupes de sociétés.
  • Discussions doctrinales sur la proposition de 13e directive et son actualité.

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