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Choisir la bonne structure : sociétés et coopératives en agriculture

Table des matières

L’époque où l’agriculture était quasi exclusivement l’affaire d’exploitants individuels isolés est révolue. Aujourd’hui, pour mutualiser les investissements, partager le travail et les risques, optimiser la fiscalité ou préparer la transmission de l’exploitation, de nombreux agriculteurs choisissent de se regrouper. Mais sous quelle forme juridique ? Le droit français offre une palette variée de structures sociétaires adaptées au monde agricole, allant des sociétés civiles spécifiques aux coopératives, en passant par des formes hybrides.

Choisir la structure adéquate est une décision importante, avec des implications sur la responsabilité, le fonctionnement, la fiscalité et les relations entre associés. Cet article présente les principales options qui s’offrent aux agriculteurs souhaitant exercer leur activité de manière collective ou simplement mieux la structurer, en explorant les sociétés civiles, les sociétés commerciales, les SICA et le modèle coopératif omniprésent. Cette décision s’inscrit pleinement dans le cadre juridique global de l’agriculture moderne.

Les sociétés civiles : un cadre privilégié pour l’agriculture

Puisque l’activité agricole est de nature civile, il est logique que les sociétés civiles constituent le cadre juridique le plus courant pour l’organisation des exploitations. Au-delà de la société civile de droit commun, le législateur a créé plusieurs formes spécifiques pour répondre aux besoins particuliers du secteur.

Les formes spécifiques de sociétés civiles agricoles

  • Le GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) : Créé dès 1962, le GAEC a pour objet de permettre à des agriculteurs de réaliser un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations familiales. Il favorise la mise en commun des moyens d’exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel) et du travail des associés. Les GAEC peuvent être totaux (toute l’activité des associés est mise en commun) ou partiels. Leur constitution est soumise à un agrément administratif et ils doivent respecter certaines règles, notamment en termes de taille (principe de transparence permettant à chaque associé exploitant de bénéficier des aides comme s’il était resté individuel, dans certaines limites). La responsabilité des associés pour les dettes sociales est en principe indéfinie, mais peut être limitée dans les statuts à un multiple de leurs apports.
  • L’EARL (Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée) : Introduite en 1985, l’EARL est une forme très prisée car elle offre un avantage majeur : la responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports. Cela signifie que leur patrimoine personnel est protégé en cas de difficultés financières de l’exploitation. L’EARL peut être constituée par une seule personne (on parle alors parfois d’EURL agricole, même si le terme exact reste EARL unipersonnelle) ou par plusieurs associés (jusqu’à 10), qui doivent être majoritairement exploitants agricoles. C’est une structure souple, adaptée tant à la protection d’un exploitant individuel qu’à l’organisation d’une petite équipe. En complément des formes sociétaires, d’autres outils juridiques spécifiques existent pour protéger le patrimoine de l’exploitant.
  • Le GFA (Groupement Foncier Agricole) : Contrairement au GAEC et à l’EARL qui visent l’exploitation, le GFA a pour objet principal la détention et la gestion du patrimoine foncier agricole. Il permet de rassembler des terres, d’en assurer la conservation et de les louer, le plus souvent via un bail rural à long terme, à un ou plusieurs exploitants (qui peuvent être membres du GFA ou des tiers). Le GFA est un outil très utilisé pour faciliter la transmission familiale du patrimoine foncier en évitant son morcellement, ou pour permettre à des non-agriculteurs d’investir dans la terre tout en assurant son exploitation agricole.
  • Le GFR (Groupement Foncier Rural) : Similaire au GFA, le GFR a un champ d’action légèrement plus large puisqu’il peut détenir et gérer des immeubles à usage agricole et forestier. Il offre donc une solution pour la gestion combinée de ces deux types de patrimoine.

Ces différentes formes répondent donc à des objectifs distincts : GAEC et EARL pour l’activité d’exploitation elle-même, avec des différences notables en termes de responsabilité et de conditions d’accès ; GFA et GFR pour la gestion du patrimoine foncier.

La société civile de droit commun (SCEA)

À côté de ces formes spécifiques, il est toujours possible de créer une Société Civile d’Exploitation Agricole (SCEA), basée sur le droit commun des sociétés civiles (articles 1832 et suivants du Code civil). Plus souple dans sa constitution et son fonctionnement que les GAEC ou EARL (pas d’agrément, pas de limitation du nombre d’associés, possibilité d’associés non-exploitants majoritaires sous conditions), la SCEA présente cependant un inconvénient majeur : la responsabilité des associés pour les dettes sociales est indéfinie et conjointe (chacun est responsable sur son patrimoine personnel à proportion de sa part dans le capital social). Elle peut être une option intéressante pour des projets spécifiques ou lorsque la limitation de responsabilité n’est pas le critère principal.

Les sociétés commerciales : une utilisation plus limitée en production

Est-il possible d’exercer une activité agricole sous une forme commerciale classique comme la SARL (Société à Responsabilité Limitée) ou la SA/SAS (Société Anonyme / par Actions Simplifiée) ? Oui, techniquement, rien ne l’interdit. Cependant, ces formes sont relativement rares pour l’activité de production agricole primaire. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. D’abord, le choix d’une forme commerciale peut faire perdre le bénéfice de certains statuts, aides ou régimes fiscaux spécifiquement attachés à la nature civile de l’activité agricole. Pour comprendre ces spécificités et les implications de votre activité, il est essentiel de saisir la définition légale d’une activité agricole. Ensuite, la culture et la tradition du secteur privilégient les formes civiles ou coopératives. Enfin, la complexité et les obligations comptables et juridiques des sociétés commerciales peuvent sembler moins adaptées à la réalité de nombreuses exploitations.

En revanche, les sociétés commerciales deviennent beaucoup plus pertinentes dès que l’activité dépasse la simple production : transformation industrielle des produits, activités de négoce importantes (achat de produits extérieurs pour les revendre), développement de réseaux de commercialisation, etc. Dans ces cas, la logique commerciale prédomine et la structure juridique doit être adaptée. Il est fréquent de voir des groupes agricoles structurés avec une société civile pour la production et une société commerciale pour la transformation ou la vente.

La SICA : une forme hybride

Entre les sociétés purement agricoles et les structures commerciales classiques, existe une forme intermédiaire intéressante : la SICA (Société d’Intérêt Collectif Agricole), régie par les articles L. 531-1 et suivants du Code rural.

La SICA a pour objet de créer et gérer des installations et équipements, de fournir des services, ou de participer à des activités favorisant la production, la transformation ou la commercialisation de produits agricoles, dans l’intérêt des exploitations agricoles de ses membres. Sa particularité est qu’elle peut associer des agriculteurs (qui doivent détenir la majorité des voix dans les organes de décision) et des personnes physiques ou morales non-agricoles (fournisseurs, clients, transformateurs, collectivités…).

Elle peut être constituée sous forme de société civile ou de société commerciale (en pratique, souvent des SARL). La SICA permet donc de créer des partenariats structurés entre le monde agricole et ses partenaires économiques en amont ou en aval, pour mener à bien des projets collectifs (par exemple, une unité de méthanisation, un atelier de transformation partagé, une plateforme logistique…).

Le modèle coopératif : un pilier de l’agriculture française

Impossible d’évoquer les structures collectives en agriculture sans parler des coopératives. Historiquement ancrées dans le paysage rural français depuis la fin du XIXe siècle, elles jouent un rôle économique absolument majeur. Selon les filières, elles assurent une part très significative de l’approvisionnement des exploitations en intrants (semences, engrais, aliments du bétail), de la collecte, de la transformation et de la mise en marché des productions (lait, céréales, viande, vin…). Plus de 60% de la production agricole française transiterait par une coopérative. On trouve aussi des coopératives de services, comme les CUMA (Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole) qui permettent de partager des équipements coûteux.

Quel est leur statut juridique ? Après des débats historiques, la loi a tranché en 1972 : les coopératives agricoles et leurs unions constituent « une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales » (article L. 521-1 du Code rural). Elles obéissent à des règles spécifiques, définies principalement dans le Livre V du Code rural.

Leur fonctionnement repose sur des principes fondamentaux :

  • L’adhésion est généralement libre pour les agriculteurs de la circonscription.
  • Le pouvoir est démocratique : chaque associé coopérateur dispose en principe d’une voix à l’assemblée générale, quel que soit le montant de son capital ou son volume d’activité (principe « un homme, une voix »).
  • La finalité n’est pas la maximisation du profit pour rémunérer le capital, mais la fourniture de services ou la valorisation des productions des associés au meilleur prix. Les excédents éventuels (après dotation aux réserves obligatoires) sont prioritairement distribués aux associés sous forme de « ristournes », calculées au prorata des opérations réalisées avec la coopérative.

Face aux défis économiques modernes (concentration, concurrence accrue, besoin de financement), le droit coopératif agricole a cependant dû évoluer. Des réformes successives (notamment une ordonnance de 2006) ont visé à moderniser leur gouvernance (rôle des administrateurs, transparence), à renforcer leur assise financière en leur permettant d’émettre des instruments comme des titres participatifs ou des parts sociales pouvant être souscrites, sous conditions, par des tiers non-coopérateurs, et à faciliter les opérations de restructuration (fusions, scissions).

Enfin, une particularité historique notable : le droit a longtemps reconnu la validité des clauses compromissoires (permettant de recourir à l’arbitrage en cas de litige) dans les statuts et contrats des coopératives agricoles, bien avant que cela ne soit admis largement dans les contrats civils conclus à titre professionnel (généralisation par la loi NRE de 2001).

Le choix de la structure juridique est une étape déterminante pour toute exploitation agricole, qu’elle soit individuelle ou collective. Chaque forme a ses avantages, ses inconvénients et ses contraintes.

Un conseil adapté à votre situation et à vos projets est essentiel pour faire le bon choix. Contactez-nous pour en discuter et sécuriser le cadre juridique de votre activité.

Sources

  • Code rural et de la pêche maritime :
    • Sociétés civiles : L. 323-1 et s. (GAEC), L. 324-1 et s. (EARL), L. 322-1 et s. (GFA), L. 322-23 et s. (GFR)
    • SICA : L. 531-1 et s.
    • Coopératives agricoles : L. 521-1 et s. (Statut et fonctionnement), L. 523-1 et s. (Financement)
  • Code civil : Articles 1832 et s. (Droit commun des sociétés civiles)

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