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Comprendre la libre circulation des capitaux et paiements dans l’UE

Table des matières

La libre circulation des capitaux et des paiements constitue l’une des quatre libertés fondamentales garanties par les traités de l’Union européenne. Souvent méconnue des entreprises et des particuliers, cette liberté joue pourtant un rôle décisif dans le bon fonctionnement du marché intérieur européen. Notre cabinet observe régulièrement des situations où cette liberté est entravée par des réglementations nationales parfois contraires au droit européen. Cet article vous présente les principes essentiels de cette liberté de circulation, son champ d’application et les exceptions admises.

Qu’est-ce que la libre circulation des capitaux et paiements ?

Définition et évolution historique du principe

La libre circulation des capitaux correspond au droit pour toute personne d’effectuer des transferts de capitaux et des paiements sans restrictions injustifiées, tant entre les États membres qu’avec les pays tiers. Cette liberté englobe de nombreuses opérations financières, des investissements immobiliers aux transferts bancaires, en passant par les prises de participation dans des sociétés.

Initialement, le Traité de Rome de 1957 prévoyait une libération progressive et partielle des mouvements de capitaux, subordonnée à l’adoption d’actes d’exécution. La libre circulation des capitaux était alors considérée comme le « parent pauvre » des libertés fondamentales. Un tournant majeur s’est produit avec l’adoption de la directive 88/361/CEE, puis du Traité de Maastricht en 1992, qui a consacré cette liberté comme un principe à part entière, applicable non seulement entre États membres mais aussi dans les relations avec les pays tiers. L’article 63 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) énonce aujourd’hui clairement que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».

Les objectifs de cette liberté fondamentale de l’UE

La libre circulation des capitaux poursuit plusieurs objectifs complémentaires :

  • Assurer le bon fonctionnement du marché intérieur en permettant une allocation optimale des ressources financières
  • Faciliter les investissements transfrontaliers et stimuler la croissance économique
  • Soutenir la réalisation de l’Union économique et monétaire
  • Garantir la mobilité des facteurs de production
  • Favoriser le développement des services financiers à l’échelle européenne

La Cour de justice de l’Union européenne a qualifié à plusieurs reprises cette liberté de « principe fondamental », soulignant son importance cruciale pour l’intégration économique européenne. Elle constitue un pilier essentiel pour les acteurs économiques qui souhaitent diversifier leurs investissements ou développer leurs activités au-delà des frontières nationales.

Champ d’application : qui et quoi sont concernés ?

Les opérations visées par la liberté (exemples concrets)

Le champ d’application matériel de la libre circulation des capitaux est particulièrement vaste. Il couvre notamment :

  • Les investissements directs, comme l’acquisition d’actions permettant de participer effectivement à la gestion d’une entreprise
  • Les investissements de portefeuille, correspondant à des placements financiers sans intention d’influer sur la gestion
  • Les investissements immobiliers dans un autre État membre
  • Les opérations de prêts et crédits financiers transfrontaliers
  • Les opérations sur titres et autres instruments financiers
  • Les successions et donations impliquant des éléments transfrontaliers
  • Les transferts de fonds liés à des prestations de services
  • Les cautionnements et autres garanties transfrontalières

La Cour de justice se réfère fréquemment à la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l’annexe I de la directive 88/361/CEE, qui conserve une valeur indicative pour définir ces opérations, bien que cette liste ne soit pas exhaustive.

Application entre États membres et avec les pays tiers

Une particularité remarquable de la libre circulation des capitaux réside dans son application non seulement aux échanges entre États membres de l’UE, mais également aux relations avec les pays tiers. Cette extension du champ d’application territorial constitue une différence majeure par rapport aux autres libertés fondamentales.

Toutefois, des mécanismes spécifiques s’appliquent aux échanges avec les pays tiers, permettant notamment de maintenir certaines restrictions existantes au 31 décembre 1993 (article 64 TFUE), d’adopter des mesures de sauvegarde en cas de difficultés graves pour le fonctionnement de l’Union économique et monétaire (article 66 TFUE), ou encore de prendre des mesures restrictives pour prévenir et lutter contre le terrorisme (article 75 TFUE).

Bénéficiaires et débiteurs de l’obligation de libre circulation

Contrairement à d’autres libertés, le traité ne précise pas explicitement qui peut se prévaloir de la libre circulation des capitaux. La jurisprudence a clarifié que tant les personnes physiques que les personnes morales peuvent en bénéficier, qu’il s’agisse de résidents ou de non-résidents de l’UE, de particuliers ou d’entreprises.

Les débiteurs principaux de cette obligation sont les États membres et leurs autorités publiques, qui doivent s’abstenir d’adopter des mesures restrictives injustifiées. Les institutions de l’Union européenne sont également tenues de respecter cette liberté dans l’élaboration du droit dérivé. La question de l’applicabilité directe aux personnes privées reste plus incertaine, bien que certaines entraves d’origine privée puissent être concernées, notamment lorsqu’elles émanent d’établissements bancaires ou financiers.

Articulation avec les autres libertés de circulation

Le lien spécifique avec la liberté d’établissement (investissements)

La libre circulation des capitaux entretient des relations étroites avec la liberté d’établissement, particulièrement en matière d’investissements dans des sociétés. La Cour de justice a développé une jurisprudence nuancée pour déterminer laquelle de ces libertés prime dans une situation donnée.

Lorsqu’une réglementation nationale concerne une participation permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et d’en déterminer les activités, c’est la liberté d’établissement qui s’applique à titre principal. En revanche, si la participation en cause ne confère pas cette influence, la restriction sera examinée au regard de la libre circulation des capitaux.

Ainsi, selon une jurisprudence constante, une participation inférieure à 10% du capital d’une société relève généralement de la libre circulation des capitaux, tandis que des participations plus importantes peuvent relever de la liberté d’établissement. Cette distinction est particulièrement importante dans les relations avec les pays tiers, où seule la libre circulation des capitaux est applicable.

Distinction et complémentarité avec la libre prestation de services

La libre circulation des capitaux se distingue de la libre prestation des services, tout en lui étant complémentaire. Comme l’a précisé la Cour de justice dans l’arrêt Luisi et Carbone, les paiements constituent des transferts de devises qui représentent une contre-prestation dans le cadre d’une transaction sous-jacente, tandis que les mouvements de capitaux sont des opérations financières visant essentiellement le placement ou l’investissement.

Dans certains cas, une même réglementation nationale peut affecter simultanément ces deux libertés. La Cour identifie alors généralement une atteinte principale à l’une des libertés, les atteintes à l’autre étant considérées comme secondaires. Par exemple, les restrictions aux services bancaires relèvent principalement de la libre prestation de services, tandis que l’imposition des revenus de placements et d’investissements effectués dans un autre État membre se rapporte principalement à la libre circulation des capitaux.

Les restrictions possibles à la libre circulation

Le principe d’interdiction des restrictions

L’article 63 TFUE pose un principe général d’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. Cette interdiction vise non seulement les mesures discriminatoires, qui traitent différemment les opérations nationales et transfrontalières, mais également les mesures indistinctement applicables qui ont un effet restrictif sur les échanges.

Sont ainsi prohibées les réglementations nationales qui :

  • Établissent une discrimination en fonction de la nationalité ou de la résidence des personnes
  • Opèrent une distinction en fonction du lieu d’établissement d’une société
  • Différencient le traitement selon la situation d’un bien
  • Imposent des autorisations préalables injustifiées pour les transferts de capitaux
  • Limitent les participations dans certaines entreprises
  • Prévoient un traitement fiscal défavorable pour les investissements transfrontaliers

Les dérogations prévues par les traités (ordre public, sécurité publique)

Le traité prévoit néanmoins plusieurs dérogations à ce principe d’interdiction. L’article 65, paragraphe 1, TFUE permet notamment aux États membres :

  • D’appliquer les dispositions de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis
  • De prendre les mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique

Ces dérogations sont d’interprétation stricte et ne peuvent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements. L’ordre public et la sécurité publique ne peuvent être invoqués qu’en cas de « menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société », comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Église de Scientologie.

Les raisons impérieuses d’intérêt général admises par la jurisprudence

Au-delà des dérogations expressément prévues par le traité, la Cour de justice a reconnu que certaines raisons impérieuses d’intérêt général peuvent justifier des restrictions à la libre circulation des capitaux. Parmi ces justifications, on trouve notamment :

  • La cohérence du régime fiscal national
  • L’efficacité des contrôles fiscaux et la lutte contre l’évasion fiscale
  • La protection des actionnaires minoritaires
  • La sauvegarde d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États
  • La protection de l’environnement et l’aménagement du territoire
  • La garantie de la sécurité des approvisionnements énergétiques
  • La promotion de la recherche et du développement
  • La protection des consommateurs

En revanche, des objectifs purement économiques, comme la réduction des recettes fiscales ou le renforcement de la structure concurrentielle du marché, ne constituent pas des raisons impérieuses d’intérêt général admissibles.

Conditions de justification des mesures restrictives (proportionnalité)

Pour être justifiée, une restriction à la libre circulation des capitaux doit satisfaire à plusieurs conditions cumulatives :

  1. Être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi (critère d’aptitude)
  2. Ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (critère de nécessité)
  3. Être appliquée de manière non discriminatoire, sauf justification particulière
  4. Reposer sur des critères objectifs, précis et connus à l’avance
  5. Respecter les droits fondamentaux, notamment le droit à un recours effectif

La Cour de justice exerce un contrôle particulièrement rigoureux du respect du principe de proportionnalité. Elle examine si des mesures moins contraignantes permettraient d’atteindre le même objectif, comme par exemple la substitution d’un système de déclaration préalable à un régime d’autorisation, ou encore la possibilité de recourir aux mécanismes d’assistance mutuelle entre administrations fiscales prévus par le droit de l’Union.

Cas pratiques : quand faire appel à un avocat ?

Blocages de transferts de fonds

Les blocages injustifiés de transferts de fonds entre États membres constituent une violation caractéristique de la libre circulation des capitaux. Ces situations peuvent se présenter sous diverses formes :

  • Refus d’une banque de procéder à un virement international sans justification valable
  • Retards excessifs dans l’exécution des transferts transfrontaliers
  • Exigences documentaires disproportionnées pour les transferts vers certains pays
  • Application de frais discriminatoires pour les opérations transfrontalières

Face à de telles situations, l’intervention d’un avocat en droit européen des affaires s’avère souvent nécessaire pour évaluer la légalité des restrictions appliquées et engager les démarches appropriées auprès des autorités nationales ou européennes compétentes.

Réglementations nationales restrictives sur les investissements étrangers

Les États membres mettent parfois en place des mécanismes de contrôle des investissements étrangers, notamment dans des secteurs considérés comme stratégiques. Ces dispositifs, comme les « golden shares » (actions spécifiques conférant des droits spéciaux à l’État) ou les régimes d’autorisation préalable, peuvent être contraires au droit de l’Union s’ils ne respectent pas les conditions strictes posées par la jurisprudence.

Un avocat pourra vous accompagner pour :

  • Évaluer la conformité d’un régime d’autorisation au droit européen
  • Contester une décision de refus d’autorisation d’investissement
  • Structurer une opération d’investissement de manière à limiter les risques juridiques
  • Représenter vos intérêts dans le cadre d’un contentieux devant les juridictions nationales ou européennes

Fiscalité discriminatoire liée aux mouvements de capitaux

Les questions fiscales constituent un domaine particulièrement sensible en matière de libre circulation des capitaux. De nombreuses réglementations fiscales nationales peuvent créer des entraves injustifiées :

  • Imposition plus lourde des dividendes d’origine étrangère
  • Traitement fiscal défavorable des successions ou donations transfrontalières
  • Non-déductibilité de certaines charges liées à des investissements réalisés dans d’autres États membres
  • Application de retenues à la source discriminatoires

La complexité de ces situations requiert l’expertise d’un avocat pour identifier les discriminations, évaluer les possibilités de contestation et, le cas échéant, engager les recours appropriés pour obtenir la restitution des impositions indûment prélevées.

Si vous êtes confronté à une restriction potentielle à la libre circulation des capitaux, n’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options et déterminer la meilleure stratégie juridique à adopter. Notre équipe d’avocats saura vous guider efficacement dans ce domaine complexe mais fondamental pour vos opérations transfrontalières.

Sources

  • Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), articles 63 à 66
  • Directive 88/361/CEE du Conseil du 24 juin 1988 pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité
  • Directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal
  • CJUE, 14 mars 2000, Église de Scientologie, aff. C-54/99
  • CJUE, 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, aff. C-446/04
  • CJUE, 17 octobre 2013, Welte, aff. C-181/12
  • CJUE, 6 mars 2018, SEGRO et Horvath, aff. jtes C-52/16 et C-113/16

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