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Comptes joints et saisies : quels risques pour le remboursement de vos crédits dans le couple ?

Table des matières

Pour de nombreux couples, l’ouverture d’un compte joint est une étape pratique pour gérer les dépenses du quotidien. Cependant, cette facilité de gestion peut se transformer en source de risques juridiques importants lorsqu’un des co-titulaires contracte une dette personnelle. La saisie de ce compte par un créancier soulève alors des questions complexes, notamment lorsque la dette est liée au remboursement d’un crédit. La protection offerte au conjoint non-débiteur dépendra entièrement du régime matrimonial des époux et de la nature de la dette. Comprendre ces mécanismes est donc essentiel pour anticiper et se défendre contre une saisie qui pourrait affecter l’ensemble des fonds du ménage.

Le compte joint : définition et règles générales

Le compte joint est un compte bancaire ouvert au nom de plusieurs personnes, appelées co-titulaires. Sa principale caractéristique est le principe de solidarité active et passive. La solidarité active permet à chaque co-titulaire d’utiliser les fonds disponibles sur le compte comme s’il en était le seul propriétaire, sans nécessiter l’autorisation des autres. La solidarité passive, quant à elle, implique que chaque co-titulaire est responsable de la totalité du solde débiteur du compte.

D’un point de vue juridique, le compte joint n’est pas spécifiquement défini par le Code monétaire et financier. Son fonctionnement repose sur une convention passée entre la banque et les co-titulaires. Cette convention doit explicitement prévoir la solidarité, car selon l’article 1310 du Code civil, celle-ci ne se présume pas. Sans un accord écrit, un compte ne peut être considéré comme joint.

C’est précisément cette solidarité qui crée des difficultés en cas de saisie. Lorsqu’un créancier d’un seul des co-titulaires cherche à recouvrer sa créance, il peut tenter une saisie-attribution sur le compte joint. Le risque est alors que des fonds appartenant au conjoint non-débiteur, ou des fonds communs, soient appréhendés pour une dette qui ne les concerne pas. Les règles applicables pour se prémunir contre ce risque varient considérablement selon le régime matrimonial du couple.

Saisie-attribution sur compte joint en régime communautaire

Pour les époux mariés sous un régime de communauté, comme la communauté réduite aux acquêts qui est le régime légal par défaut, la saisissabilité du compte joint dépend de la nature de la dette : est-elle une dette de la communauté ou une dette propre à l’un des époux ?

En principe, l’article 1413 du Code civil dispose que les dettes contractées par un époux pendant le mariage peuvent être poursuivies sur les biens communs. Cela signifie qu’un créancier peut saisir les comptes propres de l’époux débiteur, mais aussi les comptes communs, y compris le compte joint. Les fonds qui y sont déposés sont en effet présumés être des acquêts de communauté, conformément à l’article 1402 du Code civil.

Toutefois, la loi prévoit des protections. L’article 1414 du Code civil précise que les gains et salaires du conjoint non-débiteur ne peuvent être saisis, sauf si la dette a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants. Concrètement, si un créancier saisit un compte joint alimenté par les salaires des deux époux pour une dette non ménagère, une somme équivalente au dernier salaire versé du conjoint non-débiteur doit lui être laissée à disposition.

La situation se complique pour les dettes propres. Il s’agit notamment des dettes antérieures au mariage ou de celles nées d’un emprunt souscrit par un époux sans le consentement de l’autre. C’est ici que l’article 1415 du Code civil joue un rôle protecteur essentiel. Ce texte prévoit qu’un emprunt ou un cautionnement souscrit par un seul époux n’engage que ses biens propres et ses revenus. La communauté n’est donc pas tenue.

Dans ce cas, la jurisprudence est très claire : le créancier ne peut saisir le compte joint que s’il est en mesure de prouver que les fonds qui s’y trouvent sont des revenus propres de l’époux débiteur. La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que la charge de la preuve pèse sur le créancier. Faute pour lui d’identifier l’origine personnelle des fonds, la saisie doit être annulée. C’est une protection très forte pour le couple, car en pratique, il est souvent impossible pour un créancier extérieur de tracer l’origine des différentes sommes créditées sur un compte joint.

Saisie-attribution sur compte joint en régime de séparation de biens

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux conserve la propriété de ses biens personnels et reste seul tenu de ses dettes, comme le prévoit l’article 1536 du Code civil. Le principe est donc un cloisonnement strict des patrimoines et des passifs.

Cependant, le compte joint introduit une nuance de taille. L’article 1538 du Code civil établit une présomption d’indivision : les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. Cette présomption s’applique directement au solde d’un compte joint.

La conséquence pour un créancier est directe. Lorsqu’il pratique une saisie-attribution sur un compte joint détenu par des époux séparés de biens, il ne peut, par défaut, appréhender que la moitié du solde créditeur. La jurisprudence considère que c’est au créancier de prouver que la part de son débiteur dans les fonds est supérieure à 50 %. S’il ne peut pas rapporter cette preuve, la saisie sera limitée à la moitié des sommes disponibles, l’autre moitié étant protégée au titre de la propriété du conjoint non-débiteur.

Une exception de taille existe cependant pour les dettes dites ménagères, régies par l’article 220 du Code civil. Ce texte, qui relève du régime primaire applicable à tous les couples mariés, instaure une solidarité entre les époux pour les dépenses liées à l’entretien du ménage ou à l’éducation des enfants. Cette solidarité s’applique même en régime de séparation de biens. Pour ce type de dette, un créancier peut donc saisir la totalité du solde du compte joint, car les deux époux sont considérés comme co-débiteurs solidaires.

Comment protéger votre compte joint en cas de dette ?

La gestion d’un compte joint, bien que commode, mérite une certaine vigilance pour limiter les risques en cas de difficultés financières de l’un des conjoints. Quelques réflexes peuvent offrir une protection accrue.

La première stratégie consiste à assurer une identification claire des fonds. Comme la charge de la preuve de l’origine des fonds peut être déterminante, conserver des comptes personnels distincts pour les revenus professionnels, les héritages ou les donations reçues est une mesure de prudence. Verser ces sommes sur des comptes personnels avant d’alimenter le compte joint pour les seules dépenses communes permet de conserver une traçabilité qui sera précieuse en cas de contestation d’une saisie.

La séparation des usages des comptes est également une bonne pratique. Réserver le compte joint aux dépenses courantes du ménage (loyer, factures, courses) et utiliser des comptes personnels pour les activités professionnelles, les investissements ou les dépenses strictement personnelles permet de matérialiser la distinction entre les dettes de la communauté ou du ménage et les dettes propres.

Enfin, en cas de notification d’une saisie-attribution sur votre compte joint, il est primordial de réagir rapidement. L’intervention d’un avocat permet de vérifier la validité de la procédure et, le cas échéant, de la contester devant le juge de l’exécution. L’avocat pourra soulever les arguments pertinents selon votre régime matrimonial : invoquer la protection de l’article 1415 du Code civil en régime communautaire ou la présomption d’indivision de l’article 1538 en séparation de biens. Cette démarche est souvent la seule voie pour obtenir la mainlevée de la saisie et protéger les fonds qui ne devraient pas répondre de la dette.

Si vous êtes confronté à une saisie ou si vous souhaitez anticiper ces risques, un accompagnement par un avocat compétent en droit du crédit est une démarche protectrice. Notre cabinet peut analyser votre situation pour défendre efficacement vos droits.

Sources

  • Code civil (articles 220, 1310, 1402, 1413, 1414, 1415, 1536, 1538)
  • Code des procédures civiles d’exécution
  • Jurisprudence de la Cour de cassation (notamment Civ. 1ère, 3 avril 2001, n° 99-13.733 ; Civ. 1ère, 20 mai 2009, n° 08-12.922 ; Civ. 1ère, 15 juin 2017, n° 16-20.739)

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