Concours de créanciers en indivision : priorités et règles de répartition

Table des matières

La gestion d’un patrimoine en indivision, qu’elle soit d’origine successorale, post-communautaire ou issue d’une acquisition commune, soulève des questions complexes lorsque des créanciers entrent en jeu. La situation se complique davantage lorsque plusieurs catégories de créanciers, aux intérêts divergents, se trouvent en concours sur les mêmes biens. Comprendre la hiérarchie et les droits de chacun est fondamental pour anticiper et résoudre les conflits. Cet article technique se propose de détailler les règles qui régissent les priorités et la répartition des actifs, en s’appuyant sur les principes fondamentaux de la saisie et les particularités du droit de l’indivision. Une mauvaise appréhension de ces mécanismes peut avoir des conséquences financières importantes, tant pour les créanciers que pour les indivisaires eux-mêmes. Pour une introduction générale aux concepts clés de l’indivision et aux droits des créanciers, notre article pilier vous fournira les bases nécessaires.

Distinction fondamentale entre créanciers de l’indivision et créanciers personnels des indivisaires

Pour appréhender correctement l’ordre des paiements, il est impératif de distinguer deux groupes de créanciers dont les droits et les actions possibles sont radicalement différents. Le Code civil, à travers l’article 815-17, établit une séparation nette entre ceux qui peuvent agir sur les biens indivis et ceux qui ne le peuvent pas.

Rappel des définitions et origines des créances

La loi identifie deux types de « créanciers de l’indivision ». D’une part, il y a ceux dont la créance est née avant l’indivision elle-même. Dans le cadre d’une succession, il s’agit par exemple des dettes contractées par le défunt de son vivant. Le créancier, qu’il soit chirographaire ou titulaire d’une sûreté, disposait d’un droit de gage sur le patrimoine de la personne avant que celui-ci ne devienne une masse indivise. D’autre part, la loi vise les créanciers dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis. On pense ici à l’entrepreneur qui a réalisé des travaux de rénovation sur un immeuble indivis ou à un indivisaire qui a avancé des fonds pour payer des charges ou des impôts relatifs au bien.

À l’opposé se trouvent les créanciers personnels des indivisaires. Leur créance est totalement étrangère à l’indivision. Elle est née d’un engagement personnel pris par un ou plusieurs des co-indivisaires. Par exemple, un prêt à la consommation souscrit par l’un des héritiers ou une dette professionnelle qui lui est propre. Ces créanciers n’ont, par principe, aucun lien direct avec la masse indivise.

L’autonomie de la masse indivise : un gage exclusif pour les créanciers de l’indivision

Bien que l’indivision ne dispose pas de la personnalité morale, la jurisprudence et la loi lui reconnaissent une forme d’autonomie patrimoniale. Les biens indivis forment une masse distincte, affectée en priorité au paiement des créanciers de l’indivision. Ce principe, consacré par l’arrêt Frécon de 1912 et repris par l’article 815-17 du Code civil, signifie que les biens indivis constituent le gage quasi exclusif de ces créanciers. Ils peuvent donc agir directement sur l’ensemble de ces biens, comme si l’indivision n’existait pas à leur égard. Ils ne sont pas tenus de diviser leurs poursuites et peuvent faire saisir un bien indivis dans sa totalité, peu importe que leur débiteur initial (le défunt) ou les débiteurs solidaires (les indivisaires pour une dette de conservation) ne soient plus.

Règle de préférence des créanciers de l’indivision : une masse autonome

L’existence de cette masse indivise autonome fonde une hiérarchie stricte entre les créanciers. Cette priorité accordée aux créanciers de l’indivision est l’une des pierres angulaires de la sécurité juridique en la matière.

Paiement par préférence aux créanciers des indivisaires

La conséquence directe de l’autonomie de la masse indivise est un droit de préférence absolu au profit des créanciers de l’indivision. L’article 815-17 du Code civil dispose qu’ils « seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage ». Cela signifie que tant que l’indivision n’est pas liquidée, les créanciers de l’indivision ont le droit d’être désintéressés avant que les créanciers personnels des indivisaires ne puissent espérer recouvrer leurs propres créances. Ce droit de prélèvement sur l’actif indivis constitue une protection essentielle.

Implications pour les créanciers chirographaires et hypothécaires de l’indivision

Cette règle de préférence est si forte que la doctrine majoritaire s’accorde à dire qu’elle s’applique même lorsqu’un créancier de l’indivision est simple chirographaire (sans garantie particulière) et qu’il se trouve en concurrence avec un créancier personnel d’un indivisaire qui, lui, bénéficie d’une hypothèque sur les droits indivis de son débiteur. Le créancier de l’indivision, même sans sûreté, sera payé en priorité. La raison est simple : les deux catégories de créanciers n’ont pas le même gage. Le premier a pour gage la totalité de la masse indivise, tandis que le second n’a pour gage que les droits théoriques de son débiteur dans cette masse, droits dont la consistance ne sera connue qu’après le partage et le paiement de toutes les dettes de l’indivision.

Concours entre créanciers de l’indivision : rangs et paiement

Lorsque les biens indivis sont insuffisants pour désintéresser l’ensemble des créanciers de l’indivision, un concours s’ouvre entre eux. Les règles de répartition dépendent alors de la nature de leurs créances respectives.

Traitement des créanciers chirographaires (règle du marc le franc)

Si plusieurs créanciers chirographaires de l’indivision se présentent et que l’actif est insuffisant, ils sont payés au prix de la course, c’est-à-dire proportionnellement au montant de leur créance. C’est l’application de la règle dite « du marc le franc ». Aucun créancier chirographaire n’a de priorité sur un autre en raison de l’antériorité de sa créance. L’actif net de l’indivision, après paiement des créanciers privilégiés et hypothécaires, est réparti entre eux au prorata. Par exemple, si l’actif net est de 100 000 € et que le total des créances chirographaires est de 150 000 €, chaque créancier ne recevra que les deux tiers du montant de sa créance.

Priorité des créanciers hypothécaires de l’indivision

S’il existe des créanciers titulaires d’une hypothèque constituée sur un bien indivis (soit par le défunt, soit par l’ensemble des indivisaires), ils bénéficient d’un droit de préférence et d’un droit de suite sur ce bien. Ils seront donc payés en priorité sur le prix de vente de l’immeuble hypothéqué, selon le rang de leur inscription. S’il existe plusieurs créanciers hypothécaires, ils sont désintéressés suivant l’ordre de leurs inscriptions. Les créanciers chirographaires de l’indivision ne pourront se faire payer que sur le solde éventuel du prix de vente, ou sur les autres actifs de l’indivision.

Concours entre créanciers personnels des indivisaires : après partage

Les créanciers personnels d’un indivisaire se trouvent dans une position d’attente. Leur droit de poursuite est gelé tant que dure l’indivision. Ils ne peuvent saisir ni un bien indivis, ni même la quote-part abstraite de leur débiteur. Leur seule prérogative est de provoquer le partage au nom de leur débiteur par le biais de l’action oblique. C’est seulement après la liquidation que leurs droits peuvent s’exercer pleinement.

Le principe de division des poursuites après partage

Une fois le partage effectué, l’indivision cesse. Les biens qui la composaient sont répartis et attribués à titre privatif aux anciens indivisaires. Un créancier personnel peut alors engager des poursuites sur les biens qui ont été spécifiquement alloués à son débiteur. Le droit de poursuite est dit « divisé » car il ne peut plus porter sur la masse globale, mais uniquement sur le lot de l’indivisaire concerné. C’est à ce stade que se règlent les éventuels conflits entre plusieurs créanciers personnels du même indivisaire, en appliquant les règles classiques de la distribution du prix de vente, où les créanciers privilégiés et hypothécaires priment les créanciers chirographaires.

Impact du privilège de séparation des patrimoines

Dans le cadre spécifique d’une indivision successorale, les créanciers du défunt disposent d’une arme redoutable : le privilège de la séparation des patrimoines, régi par les articles 878 et suivants du Code civil. En inscrivant ce privilège, ils créent une cloison étanche entre le patrimoine du défunt et celui de l’héritier. L’avantage est double. Avant le partage, ce privilège leur confère un droit de suite, ce qui les protège si un bien indivis est vendu. Après le partage, et c’est là sa force principale, ils échappent au concours des créanciers personnels de l’héritier sur les biens issus de la succession. Concrètement, même si l’héritier est insolvable et criblé de dettes personnelles, les créanciers du défunt qui ont inscrit leur privilège seront payés en priorité absolue sur les biens successoraux qui lui ont été attribués.

Problématiques spécifiques : créanciers hypothécaires et procédures collectives

L’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) à l’encontre d’un indivisaire vient ajouter un niveau de complexité supplémentaire, modifiant les droits et actions de chaque partie.

Incidence de la procédure collective d’un indivisaire sur les droits des créanciers de l’indivision

Si l’indivision existait avant l’ouverture de la procédure collective, le principe est clair : les créanciers de l’indivision ne sont pas affectés par cette procédure. Ils sont considérés comme « hors procédure ». L’arrêt des poursuites individuelles qui frappe les créanciers personnels du débiteur en procédure collective ne leur est pas applicable. Ils conservent leur droit de saisir les biens indivis et de se faire payer avant tout partage. Ils ne sont même pas tenus de déclarer leur créance au passif de la procédure collective de l’indivisaire. Cette solution protège la masse indivise, qui continue de fonctionner comme un patrimoine autonome affecté à ses propres dettes.

Situation des créanciers personnels des indivisaires en cas de procédure collective

Pour les créanciers personnels, la situation est différente. L’ouverture de la procédure collective à l’encontre de leur débiteur indivisaire a pour effet de les regrouper au sein de la masse représentée par le mandataire judiciaire ou le liquidateur. C’est ce dernier qui exercera les droits des créanciers personnels. Conformément aux règles de l’indivision, le liquidateur ne peut pas saisir directement les biens indivis. Sa seule option est d’exercer l’action oblique et de provoquer le partage au nom de l’indivisaire débiteur pour ensuite appréhender la part qui lui reviendra et la répartir entre les créanciers personnels. Le lien entre saisie-attribution et procédures collectives illustre bien cette interaction où le droit de l’insolvabilité vient encadrer les voies d’exécution classiques.

La hiérarchisation des créanciers en présence d’une indivision répond à une logique de protection des différents patrimoines. La complexité des règles et les nombreux cas particuliers exigent une analyse fine de chaque situation. En cas de conflit, l’assistance d’un avocat expert en voies d’exécution est déterminante pour préserver vos droits et mettre en œuvre la stratégie de recouvrement la plus adaptée.

Sources

  • Code civil, notamment ses articles 815-17, 878 et suivants (relatifs au privilège de la séparation des patrimoines).
  • Code de commerce, notamment ses articles L. 622-21 et suivants (relatifs aux effets de la procédure collective sur les créanciers).

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