Dirigeants d’entreprise : quelles responsabilités en cas de procédure collective ?

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Lorsqu’une entreprise affronte une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, tous les regards se tournent naturellement vers ses dirigeants. Qu’ils soient gérants, présidents, directeurs généraux, de droit ou même « de fait » (c’est-à-dire ceux qui, sans titre officiel, exercent en réalité le pouvoir de direction), ils sont en première ligne. Au-delà de la survie de l’entreprise, c’est souvent leur propre responsabilité personnelle qui est en jeu, qu’il s’agisse de sanctions patrimoniales, professionnelles ou pénales. Quelles sont leurs obligations spécifiques durant ces procédures ? Quels risques financiers encourent-ils sur leur patrimoine personnel ? Peuvent-ils être interdits d’exercer une activité professionnelle ?

La loi encadre strictement le rôle et les responsabilités des dirigeants lorsque leur entreprise est en difficulté. Cet article vise à éclairer les obligations qui leur incombent, les sanctions patrimoniales et professionnelles qu’ils peuvent encourir en cas de faute, ainsi que d’autres mesures susceptibles de les affecter personnellement dans le cadre de certains plans de redressement. Pour tout dirigeant confronté à cette situation, comprendre ces enjeux est absolument fondamental.

Les obligations du dirigeant pendant la procédure

Loin d’être mis à l’écart, le dirigeant reste un acteur central, tenu à des devoirs précis.

Devoir de coopération

La première obligation, et non des moindres, est un devoir général de coopération avec les organes de la procédure (juge-commissaire, administrateur, mandataire judiciaire, liquidateur). Cela implique concrètement de :

  • Fournir toutes les informations nécessaires sur la situation de l’entreprise, ses actifs, ses dettes, ses contrats en cours (articles L. 622-6, L. 623-1 du Code de commerce). La transparence est attendue.
  • Faciliter l’accès aux documents comptables et aux locaux de l’entreprise.
  • Se présenter aux convocations du tribunal, du juge-commissaire ou des mandataires de justice.

Toute obstruction ou rétention d’information peut être interprétée comme un manque de coopération et, potentiellement, comme une faute.

Gestion sous surveillance ou assistance (Sauvegarde / Redressement)

Durant la période d’observation d’une sauvegarde ou d’un redressement, le dirigeant continue généralement à gérer l’entreprise au quotidien, mais ses pouvoirs sont encadrés (articles L. 622-1, L. 631-12).

  • Il doit respecter la mission confiée à l’administrateur judiciaire (surveillance, assistance, voire représentation totale en redressement).
  • Il ne peut accomplir seul les actes qui dépassent la gestion courante. Pour vendre un actif important, consentir une garantie nouvelle ou signer une transaction, l’autorisation du juge-commissaire est indispensable (article L. 622-7).

Agir en outrepassant ces limites expose l’acte à la nullité et le dirigeant à une mise en cause de sa responsabilité.

Obligation de déclarer la cessation des paiements

C’est une obligation légale incontournable pour les dirigeants de sociétés commerciales, artisans, agriculteurs ou professions libérales : dès que l’entreprise est en état de cessation des paiements (impossibilité de payer ses dettes exigibles avec son actif disponible), ils doivent en faire la déclaration au greffe du tribunal compétent dans un délai de 45 jours (article L. 631-4).

Cette déclaration vise à demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Omettre volontairement cette déclaration, ou la retarder sans justification (comme une demande de procédure amiable de conciliation dans le même délai), est considéré comme une faute de gestion susceptible d’entraîner des sanctions.

Les sanctions patrimoniales : quand le dirigeant paie personnellement

Le risque le plus redouté par les dirigeants est sans doute celui de voir leur patrimoine personnel engagé pour combler les dettes de l’entreprise. La loi prévoit principalement deux mécanismes.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (« Comblement de passif »)

Cette action en responsabilité pour insuffisance d’actif n’est possible qu’en cas de liquidation judiciaire, et seulement si les actifs de l’entreprise ne suffisent pas à payer toutes les dettes (« insuffisance d’actif ») (article L. 651-2). Pour que le dirigeant (de droit ou de fait, rémunéré ou non) soit condamné à payer personnellement tout ou partie de ce passif manquant, il faut prouver :

  1. Une faute de gestion : Il ne s’agit pas de sanctionner une simple erreur ou une mauvaise décision économique, mais un comportement fautif caractérisé (violation des lois ou règlements, manquement grave aux devoirs normaux d’un dirigeant…). Depuis une loi de 2016, une simple négligence dans la gestion n’est plus suffisante pour engager cette responsabilité.
  2. Un lien de causalité : Il faut démontrer que cette faute a contribué à l’aggravation de l’insuffisance d’actif, c’est-à-dire qu’elle a empiré la situation financière au point que les créanciers ne peuvent plus être payés.

Qui peut engager cette action ? Le liquidateur, le Ministère Public, ou une majorité des contrôleurs si le liquidateur ne le fait pas (article L. 651-3). L’action doit être engagée dans un délai de trois ans à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire.

Si les conditions sont réunies, le tribunal a le pouvoir de condamner le ou les dirigeants fautifs à verser une somme d’argent destinée à combler le passif. Le montant est laissé à l’appréciation du tribunal, en fonction de la gravité de la faute et de sa contribution au préjudice des créanciers. Il peut s’agir de la totalité de l’insuffisance d’actif ou seulement d’une partie.

L’action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements

Introduite plus récemment (article L. 631-10-1), cette action peut être engagée en redressement judiciaire. Elle vise le dirigeant dont la faute aurait contribué à l’état de cessation des paiements. Son principal intérêt pratique est de permettre aux mandataires de justice de demander très tôt au président du tribunal des mesures conservatoires sur le patrimoine personnel du dirigeant (saisie de comptes bancaires, inscription d’hypothèque…), afin de garantir un éventuel paiement futur si sa responsabilité est confirmée.

Les sanctions professionnelles : faillite personnelle et interdiction de gérer

Au-delà des conséquences financières, certaines fautes de gestion graves peuvent entraîner des sanctions interdisant au dirigeant d’exercer des fonctions de direction ou de gestion à l’avenir, telles que la faillite personnelle et l’interdiction de gérer. Ces sanctions peuvent être prononcées en redressement ou en liquidation judiciaire.

Faits sanctionnables

Le Code de commerce liste une série de comportements répréhensibles pouvant justifier ces sanctions (articles L. 653-3 à L. 653-6). En voici quelques exemples courants :

  • Avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait mener qu’à la cessation des paiements, dans un intérêt personnel.
  • Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif de l’entreprise.
  • Avoir frauduleusement augmenté le passif.
  • Avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière.
  • Avoir fait disparaître des documents comptables.
  • Ne pas avoir coopéré avec les organes de la procédure.
  • Avoir omis sciemment de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

La Faillite Personnelle

C’est la sanction professionnelle la plus lourde (article L. 653-2). Elle entraîne une interdiction générale de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, et toute personne morale (société, association…). La durée est fixée par le tribunal et ne peut excéder 15 ans.  

L’Interdiction de Gérer

Cette sanction est similaire à la faillite personnelle, mais elle peut être modulée par le tribunal (article L. 653-8). L’interdiction peut ne viser que certains types d’entreprises ou certaines fonctions. Sa durée maximale est également de 15 ans. Elle peut être prononcée à la place ou en complément de la faillite personnelle.

Procédure

Qui peut demander ces sanctions ? Le mandataire judiciaire, le Ministère Public, ou une majorité des contrôleurs (article L. 653-7). L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement d’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire (article L. 653-1). Les débats devant le tribunal sont en principe publics, mais le dirigeant peut demander qu’ils se tiennent en chambre du conseil.

Les sanctions pénales : la banqueroute et les délits associés

En plus des sanctions patrimoniales et professionnelles, les dirigeants peuvent faire l’objet de sanctions pénales en cas de comportements particulièrement graves et frauduleux. Le délit de banqueroute est la sanction pénale la plus emblématique dans ce contexte.

Autres mesures affectant les dirigeants dans les plans de redressement

Dans le cadre spécifique de l’élaboration d’un plan de redressement judiciaire, d’autres mesures peuvent directement viser les dirigeants pour faciliter l’adoption et le succès du plan :

  • Remplacement des dirigeants : Le tribunal peut, à la seule demande du Ministère Public, considérer que le maintien d’un ou plusieurs dirigeants en fonction est un obstacle au redressement. Il peut alors subordonner l’adoption du plan à leur remplacement effectif par les organes sociaux compétents (assemblée générale, conseil d’administration…) (article L. 631-19-1).
  • Incessibilité ou Cession forcée des parts sociales : Si le plan le nécessite (par exemple pour faire entrer un nouvel investisseur), le tribunal peut, toujours sur demande du Ministère Public, rendre incessibles les parts ou actions détenues par les dirigeants, voire ordonner leur cession forcée (même s’ils ne sont pas d’accord). Le prix de cession est alors fixé par un expert désigné par le président du tribunal (article L. 631-19-1).
  • Dilution ou Expropriation des associés (y compris dirigeants-associés) : Pour les très grandes entreprises dont la survie est jugée essentielle, si des associés (y compris des dirigeants-associés) bloquent une augmentation de capital nécessaire au plan, le tribunal dispose de pouvoirs encore plus forts (article L. 631-19-2). Il peut désigner un mandataire pour voter à leur place, ou même ordonner la cession forcée de leurs parts au profit de ceux qui s’engagent à exécuter le plan.

Ces mesures montrent à quel point, dans un objectif de sauvetage de l’activité et de l’emploi, les droits individuels des dirigeants et associés peuvent être mis à l’écart dans le cadre d’un redressement judiciaire.

En conclusion, la position du dirigeant d’une entreprise en procédure collective est délicate. S’il reste un acteur essentiel, il est soumis à des obligations strictes et encourt des risques personnels importants, tant sur le plan financier que professionnel, en cas de fautes avérées. La complexité des règles et la gravité des enjeux rendent indispensable une compréhension fine de ses devoirs et de ses droits.

Les dirigeants confrontés à des difficultés ou dont l’entreprise est déjà en procédure collective font face à des risques personnels significatifs. Il est essentiel de bien comprendre vos obligations et les conséquences potentielles de vos actions passées ou présentes. Notre cabinet possède l’expertise nécessaire pour vous conseiller, vous assister dans vos relations avec les organes de la procédure et défendre vos intérêts personnels. Contactez-nous pour une analyse personnalisée et une assistance dédiée.

Sources

  • Code de commerce (principalement Livre VI, Titre V)

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