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Entreprise en difficulté : les premières démarches et interdictions pour les créanciers

Table des matières

L’annonce de l’ouverture d’une procédure collective – sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire – à l’encontre d’un client, d’un fournisseur ou d’un partenaire commercial est souvent source d’une vive inquiétude pour ses créanciers. Vais-je être payé ? Que dois-je faire ? Puis-je continuer à exiger le paiement ? Ces questions sont légitimes et la situation requiert une réaction rapide et informée. Dès le jugement d’ouverture, des règles très strictes s’appliquent et conditionnent vos chances de recouvrer, même partiellement, votre créance. Agir correctement dès le départ est donc essentiel.

Cet article vous éclaire sur les deux points fondamentaux que tout créancier doit maîtriser immédiatement : l’obligation impérative de déclarer sa créance et les interdictions qui s’imposent à vous dès l’ouverture de la procédure.

L’obligation vitale de déclarer votre créance

La première et sans doute la plus importante démarche à accomplir est la déclaration de votre créance. Sans cette déclaration formelle, vous êtes, aux yeux de la procédure, quasiment inexistant.

Pourquoi déclarer ?

Déclarer votre créance est la condition sine qua non pour qu’elle soit reconnue officiellement dans le cadre de la procédure collective. C’est l’acte qui vous permet d’être inscrit sur la liste des créanciers et, par conséquent, d’espérer participer aux éventuelles répartitions de fonds ou d’être inclus dans un plan de sauvegarde ou de redressement.

Oublier de déclarer ou le faire hors délai a des conséquences radicales. Votre créance ne sera pas « éteinte » comme par le passé, mais elle deviendra « inopposable » à la procédure. Concrètement, cela signifie que vous ne pourrez recevoir aucun paiement dans le cadre de cette procédure, que ce soit lors des distributions en liquidation ou via un plan de remboursement. C’est une sanction lourde, prévue par l’article L. 622-26 du Code de commerce.

Quelles créances devez-vous déclarer ?

Le principe est large : vous devez déclarer toutes les créances nées avant la date du jugement d’ouverture de la procédure collective. Cela inclut :

  • Les factures impayées.
  • Les échéances de prêt non remboursées.
  • Les indemnités dues (par exemple, pour rupture de contrat antérieure).
  • Les créances conditionnelles ou même celles qui sont encore contestées.
  • Les créances non encore échues (à terme).

Peu importe la nature (commerciale, civile) ou les modalités de la créance. La règle générale est posée par l’article L. 622-24 du Code de commerce.

Une exception majeure concerne les créances salariales : les salariés n’ont pas à déclarer leurs salaires et indemnités, car un régime spécifique de vérification et de paiement (via l’AGS notamment) est prévu pour eux.

Il faut aussi noter que certaines créances nées après le jugement d’ouverture, si elles ne sont pas considérées comme « utiles » à la procédure selon des critères précis (qui seront détaillés dans un prochain article), doivent également être déclarées comme si elles étaient antérieures. C’est un point technique qui mérite vigilance.

Comment effectuer la déclaration ?

La déclaration de créance obéit à un formalisme précis.

  • Le destinataire : La déclaration doit être adressée exclusivement au mandataire judiciaire (dont le nom et les coordonnées figurent dans le jugement d’ouverture et sa publication) en cas de sauvegarde ou de redressement, ou au liquidateur en cas de liquidation judiciaire. Attention : ne l’envoyez jamais à l’administrateur judiciaire s’il en a été désigné un, car il n’est pas compétent pour la recevoir. Une erreur d’adressage peut rendre votre déclaration inefficace.
  • L’auteur de la déclaration : Qui peut déclarer ?
    • Le créancier lui-même (s’il s’agit d’une société, par son représentant légal : gérant, président…).
    • Tout préposé du créancier (un salarié par exemple) à condition qu’il dispose d’une délégation de pouvoir écrite et spécifique pour accomplir cet acte.
    • Tout mandataire au choix du créancier, comme un avocat, un expert-comptable, ou une société de recouvrement, à condition qu’il justifie d’un pouvoir spécial (sauf pour l’avocat qui est présumé avoir reçu mandat). L’article L. 622-24 alinéa 2 du Code de commerce le précise.
  • La forme et le contenu : La déclaration doit être faite par écrit. L’envoi par lettre recommandée avec accusé de réception est très fortement conseillé pour conserver une preuve de la date d’envoi. Elle doit impérativement contenir, comme le détaillent les articles L. 622-25 et R. 622-23 du Code de commerce :
    • Le montant de la somme réclamée au jour du jugement d’ouverture, en détaillant le principal et les intérêts échus.
    • Pour les intérêts qui continueraient à courir (cas des prêts de plus d’un an, voir ci-dessous), il faut indiquer leur mode de calcul.
    • La nature de la créance (facture, prêt, dommages-intérêts…).
    • Si la créance est assortie d’un privilège ou d’une sûreté (hypothèque, gage, nantissement, privilège spécial…), il faut l’indiquer précisément et joindre les justificatifs (copie de l’inscription hypothécaire, de l’acte de nantissement…). Omettre cette mention conduirait à être admis comme simple créancier chirographaire, perdant le bénéfice de la garantie.
    • Les documents justifiant la créance (copie des factures, contrats, reconnaissance de dette, jugement de condamnation…). Vous pouvez joindre des copies, le mandataire pourra demander les originaux si besoin.

Une déclaration incomplète ou imprécise risque d’être rejetée ou admise pour un montant inférieur.

Dans quel délai déclarer ?

Le temps est compté. Le délai de base pour déclarer votre créance est de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC (Bulletin Officiel Des Annonces Civiles et Commerciales). C’est une publication nationale qu’il faut surveiller.  

Ce délai est porté à quatre mois pour les créanciers qui sont domiciliés hors de France métropolitaine (ou hors du département ou territoire d’outre-mer où la procédure a été ouverte).

Il est donc essentiel de vérifier régulièrement les publications officielles ou de s’assurer que le mandataire judiciaire vous a bien identifié pour recevoir un avertissement (ce qui n’est pas toujours le cas, surtout si vous n’êtes pas un fournisseur régulier).

L’oubli de déclaration : quelles conséquences ?

Comme indiqué précédemment, l’absence de déclaration dans les délais rend votre créance inopposable à la procédure (article L. 622-26 du Code de commerce). Vous perdez votre droit à participer aux paiements organisés dans ce cadre.

Est-il possible de « rattraper » un oubli ? Oui, mais difficilement, grâce à l’action en relevé de forclusion. Vous devez saisir le juge-commissaire dans un délai très strict : six mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC. Pour obtenir ce relevé de forclusion, il vous faudra prouver, selon l’article L. 622-26, soit :

  • Que votre retard n’est pas de votre fait (par exemple, vous n’avez reçu aucune information et ne pouviez raisonnablement pas connaître l’ouverture de la procédure – condition très difficile à remplir pour un professionnel).
  • Soit que le débiteur a volontairement omis de vous mentionner sur la liste de ses créanciers qu’il doit remettre au mandataire judiciaire.

Obtenir un relevé de forclusion est loin d’être automatique. La vigilance est donc la meilleure approche.

Les interdictions immédiates à respecter

Dès le prononcé du jugement d’ouverture, deux interdictions majeures s’appliquent aux créanciers dont la créance est née avant cette date. Les ignorer peut entraîner des sanctions sévères.

Interdiction formelle de recevoir un paiement pour une créance antérieure

C’est la règle cardinale posée par l’article L. 622-7 du Code de commerce : le débiteur a l’interdiction absolue de payer toute créance née avant le jugement d’ouverture. Cette interdiction s’applique aussi aux organes de la procédure (mandataire, administrateur, liquidateur).

Si, par méconnaissance ou négligence, le débiteur vous réglait une ancienne facture après le jugement d’ouverture, ce paiement serait considéré comme nul. Le mandataire ou le liquidateur serait en droit de vous réclamer le remboursement de la somme perçue. Vous vous retrouveriez alors à devoir restituer l’argent, tout en devant déclarer votre créance initiale.

Il existe quelques exceptions très encadrées à ce principe :

  • Le paiement par compensation légale si vous êtes vous-même débiteur de l’entreprise pour une dette « connexe » (ayant la même origine contractuelle par exemple).
  • Certains paiements spécifiques autorisés expressément par le juge-commissaire (par exemple, pour récupérer un matériel indispensable laissé en gage).
  • Les créances alimentaires et les créances de salaires dites « superprivilégiées » (salaires dus avant le jugement pour une période limitée), qui bénéficient de régimes de paiement prioritaires spécifiques.

En dehors de ces cas, n’acceptez aucun paiement direct du débiteur pour une dette ancienne après le jugement d’ouverture.

Interdiction d’engager ou de poursuivre des actions en justice individuelles

La deuxième interdiction majeure, prévue par l’article L. 622-21 du Code de commerce, est l’arrêt ou l’interdiction de toutes les poursuites individuelles exercées par les créanciers antérieurs (et postérieurs non privilégiés).

Cela signifie que :

  • Toutes les actions en justice visant à obtenir la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent (nées avant le jugement) sont immédiatement interrompues si elles étaient en cours, et interdites si vous envisagiez de les lancer. Il faudra passer par la déclaration de créance.
  • Toutes les procédures d’exécution forcée (saisies sur compte bancaire, saisies de meubles ou d’immeubles…) sont également stoppées ou interdites.
  • Les actions en résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent (par exemple, demander la résolution d’une vente parce que le prix n’a pas été payé) sont aussi paralysées.

L’objectif est de geler le passif et d’éviter la « course » des créanciers, pour permettre une gestion collective et organisée de la situation.

Quelles actions restent possibles ?

  • Les actions qui ne tendent pas au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution pour non-paiement. Par exemple : une action pour faire constater la nullité d’un contrat pour vice du consentement, une action en revendication d’un bien dont vous êtes propriétaire (sous réserve des règles spécifiques de la revendication).
  • Les actions directes que la loi vous accorde contre un tiers (par exemple, l’action directe du sous-traitant contre le maître d’ouvrage, ou de la victime d’un dommage contre l’assureur de responsabilité civile du débiteur). Ces actions contournent la procédure collective du débiteur direct.

La déclaration de créance et le respect scrupuleux des interdictions de paiement et de poursuites sont des étapes fondamentales et techniques dès l’annonce d’une procédure collective touchant l’un de vos débiteurs. Une erreur ou un retard peuvent avoir des conséquences financières importantes et compromettre définitivement vos chances de recouvrement. Face à la complexité de ces règles et aux délais stricts imposés, l’assistance d’un avocat est souvent indispensable pour sécuriser vos droits de créancier dès le début de la procédure. Notre cabinet peut vous assister dans ces démarches et analyser précisément votre situation. Contactez-nous pour en savoir plus.

Sources

  • Code de commerce, notamment articles L. 622-7, L. 622-17, L. 622-21, L. 622-24, L. 622-25, L. 622-26, R. 622-21, R. 622-23, R. 622-24.

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