Comme toute entreprise humaine ou structure juridique, la copropriété de navire a une durée de vie limitée. Que ce soit par la volonté des copropriétaires, par la force des événements ou sur décision de justice, l’aventure commune autour du navire prendra fin un jour. Comment cela se passe-t-il concrètement ? Quelles sont les causes qui peuvent mener à la dissolution de ce régime si particulier ? Et quelles en sont les conséquences, notamment la vente du navire et le partage des actifs ou passifs restants ? La dissolution de la copropriété de navire peut survenir pour diverses raisons, qu’elles soient d’ordre économique, juridique ou même personnelle. Pour une compréhension globale des droits et obligations liés à ce régime, consultez notre guide essentiel sur la copropriété de navire. Parfois, des désaccords persistants entre les copropriétaires, qui avaient pourtant mis en place la copropriété de navire avec des objectifs communs, peuvent entraîner des tensions insurmontables. Finalement, une fois la décision de dissolution prise, il devient essentiel de procéder à une évaluation précise du navire et des biens associés afin d’assurer un partage équitable des actifs et des passifs. Pour une compréhension complète du cycle de vie de ce régime, incluant ses étapes initiales, nous vous invitons à consulter notre page dédiée à la création et au fonctionnement de la copropriété de navire.
Par ailleurs, l’aspect fiscal est indissociable de toute activité économique. Comment les revenus (ou les pertes) générés par l’exploitation du navire en copropriété sont-ils imposés ? Qui déclare quoi ? Nous aborderons les principes généraux du régime fiscal applicable aux quirataires. Nous évoquerons également un dispositif fiscal spécifique, la « Loi Pons », qui a marqué une époque même s’il n’est plus applicable aux nouveaux investissements, car il peut encore avoir des échos dans certaines situations.
Mettre fin à la copropriété : les causes de dissolution
La loi du 3 janvier 1967, texte de référence en la matière, énumère plusieurs causes pouvant mettre un terme à l’exploitation en commun du navire (article 26). Il faut y ajouter d’autres situations issues de la logique juridique ou d’autres articles de la même loi.
La cause la plus évidente est la volonté des copropriétaires eux-mêmes. Ils peuvent décider de vendre le navire et de mettre fin à la copropriété. Cette décision, appelée « licitation volontaire », doit être prise par une majorité représentant plus de la moitié de la valeur du navire (article 27). La majorité requise est ici calculée en valeur, et non en nombre de parts comme pour les décisions de gestion courante.
La dissolution peut aussi être forcée par les événements ou par des tiers. C’est le cas lors de la « vente forcée aux enchères » du navire (article 26). Cela se produit généralement à la suite d’une saisie opérée par un créancier de la copropriété (par exemple, un fournisseur impayé) ou par le créancier personnel d’un ou plusieurs quirataires si la part saisie excède la moitié de la valeur du navire (article 55). De même, si des créanciers personnels de plusieurs quirataires saisissent des parts représentant au total plus de la moitié du navire, la vente de la totalité du bâtiment est en principe ordonnée, sauf si les autres copropriétaires s’y opposent en invoquant des motifs sérieux et légitimes devant le juge (article 29).
La décision de justice peut également provoquer la dissolution. Nous avions évoqué précédemment (article 13) que le tribunal pouvait nommer un gérant provisoire en cas de blocage. Si le blocage persiste, si aucune majorité ne peut plus se dégager pour assurer le fonctionnement normal ou si les décisions de la majorité sont annulées de façon répétée (par exemple pour abus), un copropriétaire peut demander au tribunal d’ordonner la dissolution et la licitation (vente) du navire. La jurisprudence a confirmé cette possibilité en cas de désaccord profond et irrémédiable entre les copropriétaires sur l’avenir du navire (voir par exemple Cass. Com. 8 juin 1999, DMF 1999. 905).
Enfin, d’autres causes entraînent logiquement la fin de la copropriété, même si elles ne figurent pas toutes explicitement à l’article 26 :
- La perte totale du navire (naufrage, incendie…). L’objet même de la copropriété disparaît.
- L’arrivée du terme si les copropriétaires avaient prévu une durée limitée à leur accord initial.
- La réunion de toutes les parts (quirats) entre les mains d’une seule personne, que ce soit par rachats successifs, succession, etc. Il ne peut y avoir copropriété avec un seul propriétaire.
Il est important de noter, a contrario, ce qui ne met pas fin automatiquement à la copropriété. Selon l’article 21 de la loi de 1967, ni le décès, ni l’incapacité, ni l’ouverture d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire) à l’encontre d’un quirataire n’entraîne de plein droit la dissolution. La copropriété continue avec les héritiers, le représentant légal ou le mandataire judiciaire, sauf dispositions contraires prévues dans le pacte initial entre les copropriétaires.
Les conséquences de la dissolution : vente et liquidation
Sauf cas de perte physique du navire, la dissolution de la copropriété aboutit presque toujours à sa vente aux enchères publiques. C’est le moyen de transformer le bien commun en liquidités pour pouvoir ensuite régler les dettes et partager le solde éventuel.
Qui peut participer à ces enchères ? En principe, tout le monde : les tiers intéressés comme les copropriétaires eux-mêmes, qui peuvent ainsi chercher à racheter la totality du navire. Il existe cependant une exception notable : lorsque la dissolution résulte d’une décision volontaire des copropriétaires (licitation volontaire, art. 27), ils ont le droit d’organiser une « licitation fermée », c’est-à-dire des enchères réservées aux seuls copropriétaires. En revanche, lorsque la vente est ordonnée par le juge (dissolution judiciaire, art. 28), il semble que le tribunal ne puisse fixer que les conditions de la vente (lieu, date, mise à prix) mais pas en restreindre l’accès aux seuls copropriétaires. Les enchères restent alors ouvertes à tous.
Une fois le navire vendu et le prix encaissé, il faut procéder à la liquidation des affaires de la copropriété. Étonnamment, la loi de 1967 ne détaille pas cette phase. Ce sont donc les quirataires (ou leurs représentants) qui doivent s’entendre sur les modalités : apurer les comptes, payer les créanciers restants selon leur rang (privilégiés, hypothécaires, chirographaires), puis répartir le solde éventuel (le « boni » de liquidation) entre eux au prorata de leurs parts. S’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord, le tribunal peut être saisi pour nommer un liquidateur judiciaire qui se chargera de ces opérations.
Le statut juridique de la copropriété : une société particulière ?
Avant d’aborder la fiscalité, il est utile de rappeler brièvement la nature juridique de la copropriété de navire. Comme évoqué, la doctrine et la jurisprudence s’accordent majoritairement aujourd’hui pour la considérer comme une forme de société « sui generis », c’est-à-dire d’un type particulier, non directement assimilable aux formes classiques (SARL, SA, SNC…). Elle réunit les éléments caractéristiques du contrat de société définis par l’article 1832 du Code civil : mise en commun de biens (la jouissance des parts du navire), intention de collaborer (l’affectio societatis), et vocation à partager les bénéfices ou les économies (et à contribuer aux pertes).
Plus important encore, la Cour de cassation a explicitement reconnu que la copropriété de navire régie par la loi de 1967 est dotée de la personnalité morale (Cass. Com. 15 avril 2008, n° 07-12.487). Cela signifie qu’elle est considérée comme un sujet de droit distinct de ses membres, capable par exemple d’agir en justice, de posséder certains biens en propre (même si son patrimoine est souvent limité), et d’avoir un intérêt collectif propre qui peut être défendu. Cette reconnaissance de la personnalité morale confère également un cadre juridique permettant aux copropriétaires de navire d’exercer des droits et des recours dans le respect de leurs intérêts collectifs et individuels. Les droits des copropriétaires de navire sont ainsi protégés, leur permettant de revendiquer un usage équitable des biens communs et de participer aux décisions qui affectent la copropriété. Cette situation favorise également une meilleure gestion et une défense plus efficace des intérêts de chaque membre face à des tiers. En outre, la reconnaissance de la personnalité morale permet de structurer les relations entre copropriétaires et d’assurer une prise de décision collective plus harmonieuse. Les droits des quirataires de navire sont également renforcés par cette législation, leur offrant la possibilité de faire valoir leurs revendications spécifiques. Ainsi, non seulement la gouvernance de la copropriété est facilitée, mais les intérêts de chaque individu au sein de la communauté sont également mieux protégés.
Enfin, rappelons que sa nature peut être civile ou commerciale. Elle sera généralement commerciale si l’activité est une expédition maritime à but lucratif (transport de passagers ou marchandises), conformément à l’article L. 110-2 du Code de commerce. En revanche, la plaisance est une activité civile. La pêche peut être civile ou commerciale selon les cas. Cette distinction a principalement une incidence sur la compétence des tribunaux (tribunal de commerce ou tribunal judiciaire).
La fiscalité de la copropriété et des quirataires
Le régime fiscal de la copropriété de navire repose sur le principe de la translucidité fiscale, similaire à celui des sociétés de personnes (comme les SNC ou les sociétés civiles n’ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés). C’est ce que prévoit l’article 8 du Code général des impôts (CGI). Cela signifie que la copropriété elle-même n’est pas imposée sur ses bénéfices. Ce sont les quirataires qui sont personnellement redevables de l’impôt sur le revenu (IR) ou de l’impôt sur les sociétés (IS) pour la part des bénéfices qui correspond à leurs droits dans la copropriété.
Cette imposition personnelle s’applique même si les bénéfices ne sont pas distribués mais mis en réserve. La quote-part de chaque quirataire est imposée dans la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC).
Comment est calculé le bénéfice imposable ? La démarche se fait en deux temps (CGI, art. 61 A, 35-1-7° et 39 E) :
- D’abord, au niveau de la copropriété : elle doit tenir une comptabilité et produire une déclaration faisant ressortir le résultat global de l’exploitation, mais avant de déduire l’amortissement technique du navire lui-même.
- Ensuite, au niveau de chaque quirataire : il est imposé sur sa quote-part de ce résultat, mais il peut déduire de cette quote-part l’amortissement correspondant à sa propre part (quirat), calculé sur le prix de revient de son acquisition. Il peut également déduire les frais financiers qu’il a personnellement supportés pour acquérir ses parts (intérêts d’emprunt, par exemple). Le Conseil d’État a d’ailleurs confirmé que chaque copropriétaire a des obligations comptables propres et peut faire l’objet d’une vérification de comptabilité individuelle (CE 26 mai 2010, n° 304342).
Que se passe-t-il si certains quirataires ne sont pas soumis à l’IR (par exemple, des sociétés soumises à l’IS) ou si l’administration fiscale ne connaît pas l’identité ou l’adresse de certains quirataires non indéfiniment responsables ? Dans ce cas, la fraction des bénéfices correspondant à leurs parts est imposée au nom de la « société » de quirataires elle-même, à l’impôt sur les sociétés (CGI, art. 206-4).
Lors de la cession de ses parts, le quirataire sera imposé sur la plus-value éventuelle. Celle-ci est calculée en déduisant du prix de vente le prix de revient des parts, diminué des amortissements qui ont été fiscalement déduits pendant la période de détention.
Le cas historique de la « Loi Pons » (Loi du 5 juillet 1996)
Il est impossible d’évoquer la fiscalité de la copropriété de navire sans mentionner, même si c’est pour mémoire, le dispositif d’incitation fiscale connu sous le nom de « Loi Pons » (du nom du ministre de l’époque). Votée en 1996 (Loi n° 96-607), elle visait à lutter contre le déclin de la flotte de commerce française en encourageant l’investissement privé.
Son mécanisme principal (introduit aux articles 163 unvicies, 217 nonies et 238 bis HN du CGI) permettait aux souscripteurs de parts de copropriétés de navires de déduire de leur revenu imposable (pour les personnes physiques) ou de leur bénéfice imposable (pour les sociétés soumises à l’IS) les sommes investies. C’était un avantage fiscal très attractif.
Cependant, ce dispositif était soumis à des conditions très strictes :
- Il ne concernait que les navires armés au commerce (neufs ou d’occasion avec une durée d’utilisation suffisante), battant pavillon français.
- Les souscripteurs devaient être des personnes physiques domiciliées en France ou des sociétés soumises à l’IS, mais pas celles dont l’activité était déjà l’armement ou l’affrètement.
- L’exploitant du navire (gérant ou affréteur) devait être une société soumise à l’IS et s’engager à détenir lui-même au moins 20% des parts.
- L’opération devait recevoir un agrément préalable du ministère du Budget, après avis des ministères concernés (Marine marchande, Équipement naval), attestant de l’intérêt économique du projet et de son coût normal.
- Les souscripteurs devaient s’engager à conserver leurs parts pendant une durée minimale (généralement 4 ans après la livraison du navire).
Ce régime « Loi Pons » s’est avéré coûteux pour les finances publiques et a été supprimé pour les investissements n’ayant pas fait l’objet d’une demande d’agrément avant le 15 septembre 1997. Il a été remplacé par d’autres mécanismes de soutien, notamment le « GIE fiscal ». Toutefois, les opérations agréées avant cette date ont pu continuer à bénéficier du dispositif si les parts ont été souscrites avant fin 2000. Bien qu’il ne soit plus possible de lancer de nouvelles opérations sous ce régime, il peut encore être pertinent en cas de contentieux sur des opérations anciennes ou si l’éligibilité à ce régime avait été considérée comme une caractéristique essentielle lors de la vente de parts (la Cour de cassation a récemment admis qu’une erreur sur l’éligibilité à un dispositif fiscal pouvait vicier une vente si les parties en avaient fait une qualité substantielle ― Com. 22 juin 2022, n° 20-11.846).
Anticiper la fin d’une copropriété ou comprendre son traitement fiscal nécessite une analyse juridique et fiscale attentive. Pour vous accompagner dans ces étapes, ainsi que pour toute question relative au droit commercial maritime et fluvial, notre cabinet est à votre écoute.
Sources
- Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer (articles pertinents, notamment 13, 21, 26, 27, 28, 29, 55)
- Code des transports (Dispositions recodifiant potentiellement certains articles des textes précédents)
- Code civil (notamment article 1832 sur la définition de la société)
- Code de commerce (notamment article L. 110-2 sur les actes de commerce)
- Code général des impôts (articles pertinents, notamment 8, 35, 39 E, 61 A, 206-4)
- Loi n° 96-607 du 5 juillet 1996 relative à l’encouragement fiscal en faveur de la copropriété de navire (pour référence historique, articles 163 unvicies, 217 nonies, 238 bis HN du CGI tels qu’issus de cette loi)
- Jurisprudence pertinente (ex : Cass. Com. 8 juin 1999, DMF 1999. 905 sur la dissolution pour désaccord ; Cass. Com. 15 avril 2008, n° 07-12.487 sur la personnalité morale ; CE 26 mai 2010, n° 304342 sur la vérification fiscale individuelle ; Cass. Com. 22 juin 2022, n° 20-11.846 sur l’erreur relative à l’éligibilité fiscale)