En France, le principe est celui de la liberté des prix. Chaque entreprise est, en théorie, libre de déterminer ses tarifs comme elle l’entend, conformément à l’article L.410-2 du Code de commerce. C’est un pilier de notre économie de marché et de la libre concurrence. Cependant, cette liberté n’est pas absolue. Pour préserver une concurrence loyale et protéger tant les consommateurs que les entreprises elles-mêmes (notamment les plus petites), la loi interdit certaines pratiques tarifaires jugées déstabilisantes ou abusives.
Parmi les interdictions les plus connues et les plus surveillées figurent la revente à perte et l’imposition de prix minimaux. Ces deux pratiques, bien que distinctes, touchent directement à la stratégie tarifaire des entreprises, en particulier dans le secteur de la distribution. Les ignorer ou les mésinterpréter peut entraîner des sanctions pénales et civiles significatives. Cet article vise à clarifier ces deux interdictions majeures pour vous aider à définir vos prix en toute légalité.
La revente à perte : une interdiction stricte, mais avec des exceptions
La revente à perte est probablement l’une des pratiques commerciales les plus médiatisées et contrôlées. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Qu’est-ce que la revente à perte ?
Définie à l’article L.442-5 du Code de commerce, la revente à perte consiste pour un commerçant (typiquement un distributeur, qu’il soit grossiste ou détaillant) à revendre un produit « en l’état » – c’est-à-dire sans transformation substantielle – à un prix inférieur à son prix d’achat effectif.
Attention, cette interdiction ne concerne que la revente de produits achetés. Un fabricant qui vend les produits qu’il a lui-même fabriqués, ou un prestataire de services, n’est pas soumis à cette interdiction spécifique (même s’il peut être concerné par d’autres règles, comme nous le verrons brièvement).
Comment calculer le « prix d’achat effectif » ?
C’est le point clé et parfois complexe. Le « seuil de revente à perte » (SRP) n’est pas simplement le prix figurant sur la facture d’achat. L’article L.442-5 nous dit qu’il faut prendre :
- Le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat.
- Minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur, exprimé en pourcentage du prix unitaire net. Cela inclut non seulement les remises et rabais classiques, mais aussi la rémunération des services de coopération commerciale ou d’autres avantages qui réduisent le coût réel d’acquisition pour le distributeur (c’est ce qu’on appelle parfois le calcul « triple net »).
- Majoré des taxes sur le chiffre d’affaires (TVA), des taxes spécifiques éventuelles liées à la revente (accises, éco-contributions…) et du prix du transport.
Ce calcul vise à refléter le coût réel d’acquisition du produit pour le revendeur.
Le seuil majoré pour les produits alimentaires (Dispositif EGalim)
Pour tenter de mieux répartir la valeur au sein de la chaîne alimentaire et de soutenir les revenus agricoles, les lois EGalim ont introduit une mesure expérimentale (actuellement prolongée jusqu’au 15 avril 2025 par la loi EGalim 3) : pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état aux consommateurs, le seuil de revente à perte est affecté d’un coefficient de 1,10. Autrement dit, le prix de revente minimum autorisé est majoré de 10% par rapport au prix d’achat effectif calculé comme ci-dessus.
Cette mesure vise à limiter la « guerre des prix » sur les produits alimentaires de grande consommation, souvent utilisés comme produits d’appel, et à dégager des marges supplémentaires pour les distributeurs, supposées être en partie répercutées en amont vers les fournisseurs et les agriculteurs. Notons que certaines boissons alcooliques sont exclues de cette majoration.
Quand la revente à perte est-elle légalement autorisée ?
L’interdiction de principe connaît plusieurs exceptions, listées à l’article L.442-5 du Code de commerce, qui permettent de revendre en dessous du seuil dans des circonstances bien précises :
- Alignement sur la concurrence : Uniquement pour les produits alimentaires dans les magasins de moins de 300 m² et les produits non alimentaires dans ceux de moins de 1000 m². Le prix doit être aligné sur celui légalement pratiqué par un concurrent dans la même zone d’activité. Les conditions sont très restrictives.
- Cessation ou changement d’activité commerciale : Ventes volontaires ou forcées en cas de liquidation.
- Produits saisonniers : Uniquement pendant la période terminale de la saison des ventes (par exemple, vendre à perte des jouets début décembre n’est généralement pas admis) ou entre deux saisons.
- Produits démodés ou dépassés : Produits qui ne répondent plus à la demande générale en raison de l’évolution technique ou de la mode.
- Réapprovisionnement en baisse : Si le commerçant se réapprovisionne sur un produit identique à un prix inférieur, il peut aligner son prix de vente sur ce nouveau prix d’achat effectif plus bas.
- Produits périssables menacés d’altération rapide : Pour les produits listés comme tels (fruits, légumes, viandes fraîches…), MAIS à condition que l’offre à prix réduit ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente.
- Produits soldés : Pendant les périodes légales de soldes.
En dehors de ces cas limitatifs, la revente à perte est interdite.
Quelles sont les sanctions ?
La revente à perte est un délit pénal. Le fait de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est passible d’une amende pouvant atteindre 75 000 € pour une personne physique (et potentiellement beaucoup plus pour une personne morale, via le mécanisme multiplicateur). Si la revente à perte a fait l’objet de publicité, l’amende peut même être portée à la moitié des dépenses de publicité.
La publication de la condamnation peut également être ordonnée. De plus, les concurrents ou les fournisseurs qui s’estiment lésés par une pratique de revente à perte peuvent engager une action en responsabilité civile pour obtenir des dommages et intérêts.
L’objectif de cette interdiction est multiple : protéger les petits commerçants d’une concurrence jugée agressive de la part de plus grandes structures, éviter que des produits soient dévalorisés par des prix artificiellement bas, et prévenir les pressions excessives sur les fournisseurs.
Les prix imposés : quand le fournisseur dicte le prix de revente
Une autre limite majeure à la liberté tarifaire concerne l’interdiction pour un fournisseur (ou toute autre personne) d’imposer un prix de revente minimum à ses distributeurs.
L’interdiction d’imposer un prix de revente minimum
L’article L.442-6 du Code de commerce est très clair : est interdit le fait « d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale ».
Cela signifie qu’un fournisseur ne peut pas dicter à son revendeur le prix plancher auquel il doit vendre le produit au consommateur final. Le distributeur doit rester libre de fixer sa marge et son prix de vente, en tenant compte de ses propres coûts, de sa stratégie commerciale et de la concurrence locale. Cette interdiction s’applique aussi bien aux produits qu’aux prestations de services.
Les méthodes indirectes d’imposition de prix
L’interdiction ne vise pas seulement l’imposition directe d’un tarif (« Vous devez vendre ce produit à 10€ minimum »). Elle couvre également toutes les méthodes indirectes qui aboutissent au même résultat :
- Conditionner des avantages financiers (ristournes, remises, budgets de coopération commerciale) au respect d’un niveau de prix de revente.
- Exercer des pressions ou des menaces sur les distributeurs jugés « trop bas » en prix : menaces de suppression des avantages, de ralentissement des livraisons, de refus de vente, voire de résiliation du contrat.
- Mettre en place des clauses contractuelles qui pénalisent les distributeurs s’ils ne respectent pas une certaine politique de prix (par exemple, des clauses pénales liées au « prix d’appel » interprétées de manière extensive par le fournisseur).
- Utiliser le pré-étiquetage des produits avec un prix de vente conseillé, combiné à une surveillance et à des pressions pour que ce prix soit appliqué comme un minimum.
- Exiger une validation préalable des publicités du distributeur mentionnant les prix, et refuser celles qui affichent des prix jugés trop bas.
La jurisprudence est riche en exemples où de telles pratiques ont été sanctionnées. Le véritable enjeu pour vous, distributeur, est de conserver votre autonomie tarifaire.
Ce qui reste autorisé : prix conseillés et prix maximaux
Il est essentiel de distinguer les prix minimums imposés (interdits) de deux autres notions :
- Les prix conseillés (ou indicatifs) : Un fournisseur a le droit de suggérer un prix de vente à ses distributeurs. Cette pratique est licite à condition que le prix soit véritablement indicatif et que le distributeur reste totalement libre de le suivre ou non, sans subir de pression ou de représailles s’il choisit de pratiquer un prix inférieur. Si le « conseil » devient une exigence déguisée, on retombe dans l’interdiction du prix imposé.
- Les prix maximaux : Imposer un prix de vente plafond à ses distributeurs est, en revanche, généralement autorisé en droit français (et sous certaines conditions en droit de l’Union européenne). L’objectif peut être de garantir un prix accessible au consommateur ou d’assurer une cohérence d’image pour la marque.
La différence est fondamentale : le prix minimum imposé restreint la concurrence par les prix vers le bas, tandis que le prix maximum imposé la limite vers le haut.
Sanctions : un cumul possible
L’imposition d’un prix minimal est, comme la revente à perte, une infraction pénale, passible d’une amende de 15 000 € pour une personne physique (article L.442-6 du Code de commerce).
But ce n’est pas tout. Si cette pratique s’inscrit dans un cadre plus large, elle peut aussi être qualifiée :
- D’entente anticoncurrentielle (accord vertical entre le fournisseur et ses distributeurs visant à fixer les prix), sanctionnable par l’Autorité de la concurrence sur la base de l’article L.420-1 du Code de commerce (avec des amendes potentiellement beaucoup plus élevées).
- D’abus de position dominante, si le fournisseur détient une position dominante sur le marché concerné (article L.420-2 du Code de commerce).
Les sanctions pénales et administratives (celles de l’Autorité de la concurrence) peuvent se cumuler pour les mêmes faits.
Au-delà de la revente à perte et des prix imposés : autres pratiques tarifaires interdites
Pour avoir une vision complète, il faut savoir que d’autres formes de prix bas peuvent être sanctionnées, non pas au titre des délits spécifiques que nous venons de voir, mais au titre du droit des pratiques anticoncurrentielles :
- Les prix prédateurs : Il s’agit pour une entreprise (souvent en position dominante) de fixer ses prix à un niveau très bas (généralement en dessous de ses coûts variables) dans le but délibéré d’éliminer un concurrent du marché, quitte à subir des pertes à court terme pour ensuite remonter ses prix une fois le concurrent évincé. Cette pratique est typiquement sanctionnée comme un abus de position dominante (article L.420-2 du Code de commerce), en s’inspirant notamment de la jurisprudence européenne (arrêt Akzo).
- Les offres de prix abusivement bas au consommateur : Visant spécifiquement les ventes directes par des producteurs, transformateurs ou prestataires de services (donc pas la revente en l’état), l’article L.420-5 du Code de commerce interdit de pratiquer des prix abusivement bas par rapport aux coûts de production, transformation et commercialisation, si cela a pour objet ou pour effet d’éliminer un concurrent ou de l’empêcher d’accéder au marché.
Ces notions sont plus complexes et relèvent d’une analyse économique approfondie, mais il est utile de savoir qu’elles existent et complètent le dispositif de lutte contre les prix jugés déloyaux.
Définir une politique de prix compétitive tout en respectant le cadre légal est un exercice délicat. Les interdictions de la revente à perte et des prix imposés sont des limites claires, mais leur application pratique peut soulever des questions complexes, notamment concernant le calcul du seuil ou l’identification des pratiques indirectes. Notre cabinet peut vous aider à valider la conformité de vos stratégies tarifaires, à rédiger des clauses contractuelles protectrices et à vous défendre en cas de contrôle ou de litige lié à ces pratiques. Assurez la sécurité juridique de votre politique de prix : contactez-nous pour un diagnostic personnalisé.
Sources
- Code de commerce
- Ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018
- Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 (dite EGalim 2)
- Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 (dite EGalim 3)