Engager une procédure judiciaire ou organiser sa défense implique de faire appel à un avocat, un investissement en temps, en confiance, et bien sûr, financier. La question du coût de cette intervention est centrale. Une autre, tout aussi essentielle, en découle : en cas de succès, quelle part de ces frais pourrez-vous récupérer auprès de la partie adverse ? L’idée répandue selon laquelle « le perdant paie l’avocat du gagnant » est une simplification qui ignore les subtilités régissant la charge des dépens en droit français. La réalité, gouvernée par la notion de succombance, est bien plus nuancée.
En vérité, la majeure partie des sommes que vous versez à votre avocat ne sont pas des « dépens », ce terme désignant une catégorie très précise de frais que la partie perdante est, par principe, condamnée à rembourser. Comprendre cette distinction est fondamental pour anticiper le coût réel d’un litige. Cet article a pour objectif de clarifier ce qui est inclus ou non dans les dépens, afin de vous permettre d’aborder toute procédure civile avec une vision juste et éclairée de ses enjeux financiers.
La distinction essentielle : dépens, frais irrépétibles et honoraires de l’avocat
Pour évaluer ce que vous pourriez récupérer en cas de victoire, il est impératif de distinguer trois notions clés, souvent confondues par le justiciable : les dépens, les honoraires de l’avocat, et les frais irrépétibles.
Les dépens : une liste limitative de frais de procédure
Mais que recouvrent exactement les dépens ? Le Code de procédure civile, en son article 695, en dresse une liste précise et surtout, limitative. Cela signifie que seuls les frais explicitement énumérés dans cet article peuvent être qualifiés de dépens. On y trouve principalement :
- Les droits, taxes ou redevances perçus par les greffes des juridictions.
- Les frais de traduction d’actes lorsque la loi l’impose.
- Les indemnités versées aux témoins.
- La rémunération des techniciens désignés par le juge (par exemple, un expert judiciaire).
- Les émoluments des officiers publics ou ministériels (comme les commissaires de justice pour certains actes).
- La rémunération réglementée des avocats, dans des cas devenus très spécifiques, incluant le droit de plaidoirie.
Le principe, posé par l’article 696 du même code, est que la partie qui succombe au procès est condamnée aux dépens. Il s’agit d’une condamnation quasi automatique, qui ne nécessite pas une motivation particulière du juge.
Les honoraires : la rémunération du travail de l’avocat
Les honoraires constituent la part la plus importante de la rémunération de l’avocat. Ils couvrent l’ensemble de son travail intellectuel et de ses diligences stratégiques : l’analyse de votre dossier, les recherches juridiques, les rendez-vous, les conseils, la rédaction des conclusions (l’argumentaire écrit soumis au juge), la préparation des plaidoiries, les négociations éventuelles, et le suivi général de l’affaire. Ces honoraires sont librement convenus entre le cabinet et son client. Cette convention d’honoraires écrite, acte essentiel, précise les modalités de calcul (taux horaire, forfait, honoraire de résultat) et garantit la transparence de la relation. Le point fondamental à retenir est que ces honoraires ne font jamais partie des dépens.
L’article 700 du code de procédure civile : le remboursement des frais non compris dans les dépens
Puisque les honoraires de votre avocat ne sont pas des dépens, comment espérer en obtenir le remboursement ? C’est ici qu’intervient le mécanisme de l’article 700 du Code de procédure civile. Ce texte permet à la partie qui gagne le procès de demander au juge de condamner la partie adverse à lui verser une somme destinée à couvrir les frais qu’elle a engagés et qui ne sont pas inclus dans les dépens. Il s’agit principalement des honoraires d’avocat. Cependant, contrairement aux dépens, ce remboursement n’est ni automatique, ni intégral. Le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation souverain pour fixer le montant de cette indemnité, en tenant compte de l’équité et de la situation économique des parties. Il peut même décider de n’accorder aucune somme. L’indemnité allouée est forfaitaire et couvre rarement la totalité des honoraires payés. La demande doit être expressément formulée et chiffrée. Notre cabinet a consacré un article complet pour détailler le fonctionnement et les enjeux de l’indemnité forfaitaire régie par l’article 700 du Code de procédure civile.
Quelle part des frais d’avocat est réellement incluse dans les dépens ?
Une fois la distinction établie, il apparaît clairement que la part des frais d’avocat effectivement comprise dans les dépens est très faible. Elle se limite aujourd’hui à deux éléments bien définis.
Les émoluments tarifés : un cas de figure devenu exceptionnel
Historiquement, une partie de la rémunération de l’avocat était tarifée. Il s’agissait des émoluments de postulation, héritage de l’ancienne profession d’avoué, qui couvraient la représentation obligatoire et formelle devant certaines juridictions. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite « Loi Macron », a quasiment mis fin à ce système pour les instances introduites depuis le 7 août 2015. L’objectif était de simplifier et de réduire le coût des procédures.
Aujourd’hui, la rémunération réglementée de l’avocat, celle qui entre dans les dépens, ne subsiste que pour son intervention dans un nombre très restreint de contentieux techniques, listés à l’article L. 444-1 du Code de commerce. Il s’agit pour l’essentiel des procédures suivantes :
- La saisie immobilière : la procédure de vente forcée d’un bien immobilier.
- Le partage judiciaire : en cas de désaccord sur la liquidation d’une succession ou d’une communauté matrimoniale.
- La licitation : la vente aux enchères d’un bien en indivision.
- Les sûretés judiciaires : les mesures visant à garantir une créance, telles que la mise en place d’une hypothèque judiciaire. Notre cabinet possède une pratique reconnue en matière de sûretés judiciaires et de garanties.
Dans ces quelques domaines, certains actes spécifiques (comme la rédaction du cahier des conditions de vente) donnent lieu à des émoluments dont le tarif est fixé par décret. En dehors de ces cas, tout le travail de l’avocat, y compris sa représentation obligatoire devant le Tribunal Judiciaire, est rémunéré par des honoraires libres, dont le remboursement partiel peut être sollicité au titre des frais irrépétibles via l’article 700 du CPC.
Le droit de plaidoirie : la seule contribution systématiquement incluse
Un seul élément est encore systématiquement inclus dans les dépens au titre des frais d’avocat : le droit de plaidoirie. Il s’agit d’une somme fixe, dont le montant est actuellement de 13 euros. Ce droit est dû pour chaque plaidoirie effective, mais aussi pour toute représentation à une audience donnant lieu à une décision de justice (jugement, ordonnance, arrêt), même en l’absence de plaidoirie formelle.
Il est important de noter que cette somme n’est pas conservée par l’avocat. Conformément aux articles R. 652-26 et suivants du Code de la sécurité sociale, elle est collectée et reversée à la Caisse Nationale des Barreaux Français (CNBF) pour contribuer au financement du régime de retraite de la profession.
L’article 695, 7° du Code de procédure civile confirme que ce droit de plaidoirie fait bien partie des dépens. Par conséquent, la partie qui succombe sera systématiquement condamnée à rembourser ces 13 € pour chaque audience concernée, sauf exceptions (procédures devant les Conseils de Prud’hommes ou en cas d’aide juridictionnelle totale, par exemple).
La charge des dépens : qui paie et comment ?
Si le principe de la condamnation aux dépens est clair, ses modalités pratiques méritent d’être précisées, car elles ne sont pas toujours aussi simples qu’il y paraît.
Le principe : la condamnation de la partie qui succombe
Comme énoncé, l’article 696 du Code de procédure civile pose un principe clair : la partie qui succombe est condamnée aux dépens. La notion de succombance s’apprécie au regard des prétentions de chaque partie : celui qui est débouté de sa demande est considéré comme la partie perdante. En cas de demandes réciproques (demande principale et demande reconventionnelle), le juge peut prononcer une succombance partagée et répartir la charge des dépens entre les parties selon une proportion qu’il fixe.
Les exceptions et aménagements : le pouvoir d’appréciation du juge
Le même article 696 du CPC offre au juge la possibilité de déroger au principe. Il peut, « par décision motivée, mettre la totalité ou une fraction [des dépens] à la charge de l’autre partie ». Cette dérogation reste exceptionnelle et doit être justifiée par des considérations d’équité. Par exemple, le juge pourrait condamner la partie gagnante à une partie des dépens si celle-ci a, par son comportement, inutilement compliqué ou allongé la procédure.
Par ailleurs, des régimes spécifiques existent. En matière de divorce pour altération définitive du lien conjugal, l’article 1127 du Code de procédure civile prévoit que les dépens sont, sauf décision contraire, à la charge de l’époux qui a pris l’initiative de la procédure.
Le recouvrement des dépens : la procédure de vérification et de taxe
Une fois la condamnation prononcée, le recouvrement des dépens suit une procédure précise. La partie qui a obtenu la condamnation à son profit doit faire établir un compte détaillé des dépens. Ce compte est soumis au greffe pour contrôle, dans le cadre de la procédure de vérification des dépens. Le greffier délivre alors un « certificat de vérification » qui, une fois notifié à la partie adverse et en l’absence de contestation dans un délai d’un mois, devient un titre exécutoire.
En cas de désaccord, la partie qui conteste le montant peut saisir le juge d’une demande de taxe, qui statuera alors par une ordonnance de taxe, laquelle fixe définitivement le montant dû. Cette procédure, régie par les articles 704 et suivants du Code de procédure civile, garantit un contrôle sur les sommes réclamées.
La distinction entre les honoraires de l’avocat, les frais irrépétibles et les dépens est donc essentielle pour toute personne engagée dans une procédure judiciaire. Elle conditionne la compréhension des enjeux financiers du litige, notamment la charge des dépens, et la portée réelle d’une victoire en justice. Cette complexité renforce l’importance d’une discussion transparente avec votre avocat sur sa rémunération, matérialisée par une convention d’honoraires claire. Pour une analyse de votre situation et un accompagnement adapté, notre cabinet se tient à votre disposition.
Sources
- Code de procédure civile (CPC) : Articles 695 à 725.
- Code de commerce : Articles L. 444-1 et suivants, R. 444-71, A. 444-187 et suivants.
- Code de la sécurité sociale (CSS) : Articles R. 652-26 à R. 652-33.
- Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
- Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
- Décret n° 60-323 du 2 avril 1960 (pour référence historique).