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Garanties et mises à disposition des actifs numériques : enjeux et solutions

Table des matières

L’essor des actifs numériques a ouvert des opportunités d’investissement et de financement inédites, mais il a également engendré des défis juridiques considérables. Pour les entreprises et les investisseurs, la capacité à utiliser ces nouvelles formes de valeurs comme support de crédit ou à les transférer en toute sécurité est fondamentale. La constitution de garanties ou l’organisation d’une mise à disposition, comme un prêt, soulève des questions techniques et légales complexes qui exigent une analyse pointue. Cet article s’inscrit dans notre exploration des défis juridiques et solutions pratiques liés aux actifs numériques, en se concentrant sur les mécanismes de sûretés et de prêts.

La constitution de garanties sur les actifs numériques

Utiliser un actif numérique pour garantir une dette est une opération de plus en plus courante. Cependant, son efficacité repose sur une double maîtrise : celle des concepts juridiques applicables et celle de la technologie sous-jacente. L’enjeu principal est de s’assurer que le créancier dispose d’une garantie réelle et opposable, ce qui implique de neutraliser la capacité du détenteur initial à disposer de l’actif.

Transférer ou paralyser le « pouvoir de fait » du constituant

En matière de garanties, l’objectif est double. Il peut s’agir soit de transférer les prérogatives du débiteur au créancier, comme dans une cession de créance à titre de garantie, soit, plus fréquemment, de limiter le pouvoir du débiteur sur son propre bien. La singularité des actifs numériques réside dans la notion de « pouvoir de fait » ou de « maîtrise », qui est directement liée au contrôle des clés cryptographiques privées. Celui qui détient la clé privée peut initier des transactions. Par conséquent, une sûreté ne sera efficace que si elle prive le constituant (le débiteur) de ce pouvoir exclusif.

La dépossession, condition classique de certaines sûretés comme le gage, prend ici une forme purement numérique. Il ne s’agit pas de remettre matériellement une chose, mais d’organiser un transfert de contrôle. Concrètement, il faut empêcher le constituant de pouvoir déplacer les actifs numériques gagés sans l’accord du créancier. C’est cette dépossession virtuelle qui rend la garantie effective et la protège contre le risque que le débiteur ne dissipe l’actif ou ne le grève de plusieurs sûretés concurrentes.

Combiner le droit commun et les droits spéciaux (gage, nantissement, fiducie-sûreté)

Le choix de la sûreté appropriée dépend de la qualification juridique de l’actif numérique concerné. Le droit positif offre plusieurs outils qu’il convient d’adapter.

Pour les actifs qualifiés d’instruments financiers, comme les *security tokens* (jetons financiers), le régime du nantissement de titres financiers prévu par le Code monétaire et financier s’applique. Cette qualification emporte l’application d’un régime spécifique, notamment en ce qui concerne l’inscription en compte qui matérialise la dépossession.

Pour la majorité des autres actifs, tels que les cryptomonnaies (Bitcoin, Ether), les jetons d’utilité (*utility tokens*) ou les jetons non fongibles (NFT) ayant une valeur patrimoniale, ils sont considérés comme des biens meubles incorporels. Le mécanisme le plus adapté est alors le gage avec dépossession de l’article 2355 du Code civil. La mise en œuvre de cette « dépossession » est au cœur du montage et repose sur des solutions techniques, ce qui démontre bien l’impact de la technologie sur le régime juridique des actifs numériques.

Enfin, la fiducie-sûreté, bien que moins fréquente en pratique, représente une solution d’une grande souplesse. Elle consiste à transférer la propriété des actifs numériques à un fiduciaire (qui peut être le créancier ou un tiers) à titre de garantie. Couplée à un *smart contract*, elle peut permettre d’automatiser le dénouement de l’opération, offrant une sécurité et une prévisibilité accrues pour les deux parties.

Lutter contre la volatilité des actifs : la clause d’arrosage

Un des défis majeurs lors de la constitution d’une garantie sur des actifs comme les monnaies virtuelles est leur forte volatilité. La valeur de l’assiette de la garantie peut chuter drastiquement, rendant la couverture de la dette insuffisante. Pour parer ce risque, l’insertion d’une clause d’arrosage (*margin call*) dans la convention de sûreté est une précaution essentielle.

Cette clause est explicitement prévue par la loi pour le nantissement d’instruments financiers (article L. 211-20 du Code monétaire et financier). Elle autorise le créancier à exiger du constituant qu’il complète l’assiette de la garantie si sa valeur tombe en dessous d’un seuil prédéfini. Bien que les textes la réservent à un cadre spécifique, la liberté contractuelle permet de l’étendre conventionnellement à d’autres sûretés, comme un gage sur cryptomonnaies. Sa rédaction doit être précise, définissant clairement le seuil de déclenchement, les modalités d’évaluation des actifs et le délai imparti au débiteur pour reconstituer la garantie.

La technologie d’appui : multisignatures et smart contracts

L’efficacité des garanties sur actifs numériques repose sur des solutions technologiques robustes. Le simple engagement contractuel est insuffisant si le constituant conserve la maîtrise technique des actifs.

La technologie des multisignatures (*multisig*) est l’outil principal pour réaliser une dépossession numérique efficace. Elle consiste à configurer un portefeuille numérique de telle sorte que plusieurs clés privées soient nécessaires pour autoriser une transaction. Dans le cadre d’une garantie, on peut exiger la signature du débiteur et celle du créancier (ou d’un tiers de confiance). Le débiteur ne peut donc plus disposer seul des actifs, qui sont de fait paralysés à titre de garantie.

Les *smart contracts* (contrats intelligents) peuvent également renforcer la sécurité du montage. Ces programmes autonomes exécutent des actions prédéfinies lorsque certaines conditions sont remplies. Un *smart contract* peut être programmé pour, par exemple, libérer automatiquement les actifs au profit du débiteur une fois la dette intégralement remboursée, ou pour permettre au créancier de mettre en œuvre la garantie en cas de défaut de paiement avéré, dans le respect des conditions légales du pacte commissoire (qui exige notamment une évaluation de l’actif au jour du transfert).

La mise à disposition des actifs numériques

Au-delà des garanties, les actifs numériques peuvent faire l’objet d’opérations de mise à disposition, dont la plus courante est le prêt. Là encore, le régime juridique applicable est intimement lié à la nature de l’actif prêté, ce qui impose un travail de qualification préalable.

La nature du prêt d’actifs numériques (jetons non fongibles, e-mts, monnaies virtuelles)

La qualification du contrat de prêt dépend directement de la fongibilité et de la consomptibilité de l’actif concerné. Cette étape est déterminante car elle conditionne les obligations des parties, notamment en ce qui concerne la restitution. Pour approfondir ce point, il est utile de se reporter à l’analyse sur la qualification juridique des actifs numériques et leurs régimes spéciaux.

S’agissant d’un jeton non fongible (NFT), qui est par définition unique, le prêt ne peut être qu’un prêt à usage (ou commodat) si l’opération est à titre gratuit. L’emprunteur doit restituer le même et unique NFT à la fin du contrat. Si le prêt est à titre onéreux, il sera qualifié de contrat de bail ou de location.

À l’inverse, les monnaies virtuelles comme le Bitcoin sont des biens fongibles (interchangeables) et consomptibles (leur usage normal entraîne leur disparition du patrimoine de l’utilisateur). Un prêt portant sur de tels actifs sera donc qualifié de prêt de consommation, régi par les articles 1892 et suivants du Code civil. L’emprunteur n’est pas tenu de restituer les mêmes unités de cryptomonnaie, mais une quantité équivalente de même nature et qualité.

Le cas des jetons de monnaie électronique (*e-money tokens* ou e-MTs), définis par le règlement européen MiCA, est particulier. Visant à maintenir une valeur stable en se référant à une monnaie officielle, ils s’apparentent à de la monnaie électronique. Un prêt de e-MTs pourrait ainsi être analysé comme un prêt de somme d’argent, avec les conséquences que cela implique en termes de nominalisme monétaire.

Le prêt de consommation de monnaies virtuelles (analyse jurisprudentielle)

La qualification de prêt de consommation pour les cryptomonnaies a été consacrée par une décision du tribunal de commerce de Nanterre du 26 février 2020. Dans cette affaire, le tribunal a jugé que le Bitcoin, étant fongible et consomptible, faisait l’objet d’un prêt de consommation. Cette qualification emporte des conséquences juridiques importantes.

La principale est le transfert de propriété des actifs à l’emprunteur, qui en supporte donc les risques. Si la valeur des cryptomonnaies prêtées s’effondre, il reste tenu de restituer la même quantité d’actifs, même si leur contre-valeur en euros est devenue bien plus faible. Inversement, si leur valeur explose, il profite de la plus-value. Le tribunal a également tranché la question des actifs issus d’une bifurcation (*fork*), comme le *Bitcoin Cash* issu du *Bitcoin*. Il a considéré que ces nouveaux jetons constituaient des « fruits » qui, sauf clause contraire, appartiennent à l’emprunteur en sa qualité de propriétaire des actifs prêtés.

Les plateformes de prêt de crypto-actifs et les risques associés

De nombreuses plateformes centralisées se sont spécialisées dans le prêt de crypto-actifs, proposant des rendements attractifs aux déposants. Le modèle consiste à collecter les actifs des utilisateurs et à les prêter à d’autres acteurs (traders, fonds d’investissement). Cependant, les faillites retentissantes de sociétés comme Celsius ou Voyager ont mis en lumière les risques considérables de ce système.

Le principal danger pour l’utilisateur réside dans la requalification juridique de sa relation avec la plateforme. Bien que l’interface utilisateur suggère un simple dépôt où l’utilisateur conserverait la propriété de ses actifs, les conditions générales de service prévoient souvent un transfert de propriété à la plateforme. En cas de faillite de cette dernière, le client n’est plus un propriétaire pouvant revendiquer son bien, mais un simple créancier chirographaire, dont l’espoir de recouvrer ses fonds est très faible. Il est donc impératif d’analyser en détail les termes du contrat avant de confier ses actifs à un intermédiaire.

Les précautions à prendre pour les professionnels du droit

L’accompagnement par un avocat compétent en la matière est indispensable pour sécuriser les opérations de garantie ou de prêt d’actifs numériques. Plusieurs vérifications s’imposent. Il faut d’abord s’assurer du statut de l’intermédiaire, notamment s’il est bien enregistré comme Prestataire de Services sur Actifs Numériques (PSAN) auprès de l’AMF. L’analyse des conditions générales est une autre étape critique pour comprendre la véritable nature juridique de l’opération et la répartition des risques.

Enfin, la rédaction de contrats sur mesure est la meilleure protection. Une convention de gage ou de prêt bien rédigée doit définir précisément son objet, la qualification retenue, les modalités de gestion de la volatilité (clause d’arrosage), l’attribution des fruits (en cas de *fork* ou de *staking*), et les mécanismes techniques de contrôle (multisignatures, séquestre des clés). Seule une approche combinant expertise juridique et compréhension technique permet de naviguer avec sécurité dans cet environnement complexe.

La structuration de garanties et de prêts sur actifs numériques est un domaine où l’approximation n’a pas sa place. Une analyse rigoureuse des aspects juridiques et techniques est nécessaire pour protéger les intérêts des parties et assurer la validité des opérations. Pour un conseil adapté à votre projet en droit commercial et des actifs numériques, notre cabinet se tient à votre disposition.

Sources

  • Code civil
  • Code monétaire et financier
  • Règlement (UE) 2023/1114 du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs (MiCA)
  • Règlement (UE) 2023/1113 du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs (TFR)

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