L’immunité d’exécution représente un défi majeur pour les créanciers cherchant à recouvrer leurs dettes auprès d’entités publiques, qu’elles soient françaises ou étrangères. Ce principe, qui soustrait les biens des personnes publiques aux mesures d’exécution forcée, repose sur des fondements solides tels que la continuité du service public et la souveraineté étatique. Toutefois, ses contours et ses limites ont considérablement évolué, à l’heure où le droit à l’exécution des décisions de justice est lui-même consacré par la CEDH. Cette évolution s’est faite sous l’impulsion des décisions de justice et de textes législatifs majeurs, comme la loi Sapin 2. Face à ces complexités, l’assistance d’un avocat expert en voies d’exécution est souvent indispensable pour définir une stratégie de recouvrement efficace.
Principes fondamentaux et justifications de l’immunité d’exécution
Le droit de gage général, inscrit à l’article 2284 du Code civil, autorise en principe tout créancier à procéder à la saisie des biens de son débiteur. L’immunité d’exécution constitue une dérogation de taille à ce principe, interdisant l’application des procédures civiles d’exécution à l’encontre de certaines personnes. Ce mécanisme protège non pas les biens eux-mêmes, mais la personne du débiteur en raison de sa nature relevant du droit public.
Distinction entre insaisissabilité et immunité d’exécution
Il est essentiel de ne pas confondre l’immunité d’exécution avec l’insaisissabilité. L’insaisissabilité est une protection attachée à la nature d’un bien spécifique, le rendant impropre à la saisie quel que soit son propriétaire. L’article L. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), par exemple, liste ainsi les biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du débiteur saisi. À l’inverse, l’immunité d’exécution est un privilège personnel, attaché à la qualité de la personne débitrice. Pour prendre un exemple concret, un bien appartenant à une personne publique est protégé par l’immunité, mais ce même bien, s’il était la propriété d’une personne privée, pourrait faire l’objet d’une saisie sans difficulté.
Fondements et critiques de l’immunité d’exécution des personnes publiques
L’immunité des personnes publiques françaises trouve sa justification dans plusieurs arguments traditionnels relevant de principes cardinaux du droit public. Le premier est la présomption de solvabilité de l’État et de ses démembrements. Le second, plus fondamental, est la nécessité d’assurer la continuité du service public. Permettre la saisie des biens affectés à une mission d’intérêt général pourrait paralyser le fonctionnement de l’État. Enfin, les règles de la comptabilité publique prévoient des procédures spécifiques pour le paiement des dettes publiques, rendant en théorie les voies d’exécution inutiles. Ce principe n’est cependant pas sans soulever un vif débat, notamment lorsqu’il s’applique à des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) qui agissent sur le marché dans des conditions similaires à celles des entreprises privées, soulevant des questions de distorsion de concurrence.
Le régime juridique de l’immunité d’exécution des personnes publiques françaises
Le droit français consacre un principe général d’insaisissabilité des biens appartenant aux entités publiques. Ce principe a été réaffirmé avec force par la Cour de cassation, qui le qualifie de « principe général du droit » (Civ. 1re, 21 déc. 1987). L’article L. 2311-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose d’ailleurs que « les biens des personnes publiques (…) sont insaisissables ».
Champ d’application et entités concernées
L’immunité d’exécution bénéficie à l’État, aux collectivités territoriales (communes, départements, régions) et à leurs groupements sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’aux établissements publics, qu’ils soient administratifs ou, sous certaines conditions, industriels et commerciaux. La protection couvre l’ensemble de leurs biens, qu’ils appartiennent au domaine public ou au domaine privé. Toutefois, la position des tribunaux a exclu du bénéfice de l’immunité les EPIC, sauf si ces derniers démontrent que leurs biens constituent le support même d’un service public et que leur saisie en compromettrait le fonctionnement.
Exceptions à l’immunité : Saisies de rémunérations et voies administratives
L’immunité n’est pas absolue. Une exception notable concerne la saisie des rémunérations des agents publics. Cette procédure spécifique, encadrée par le Code du travail, reste applicable. De plus, pour contraindre une entité publique à exécuter une décision de justice, la mise en œuvre de voies de droit administratif est possible pour le créancier. La loi du 16 juillet 1980 a instauré des procédures de mandatement d’office et d’inscription d’office de la dépense au budget de la collectivité défaillante. De même, le recours à des astreintes administratives peut permettre de contourner l’immunité d’exécution pour forcer une administration à s’exécuter.
L’immunité d’exécution des États étrangers et de leurs émanations : la Loi Sapin 2 et la jurisprudence
Le régime applicable aux États étrangers est traditionnellement plus nuancé, fondé sur une distinction entre les actes de puissance publique et les actes de gestion privée. Ce régime a été profondément modernisé et codifié par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 », dont l’entrée en vigueur a marqué un tournant, en introduisant les articles L. 111-1-1 à L. 111-1-3 dans le CPCE.
Principe général et distinction entre actes de souveraineté et de gestion
En droit international coutumier, l’immunité d’exécution ne protège un État étranger que pour ses activités de souveraineté (actes jure imperii). En revanche, lorsqu’un État agit comme une personne privée dans le cadre d’opérations économiques ou commerciales (actes jure gestionis) relevant du commerce international, ses biens affectés à cette activité ne sont pas couverts par l’immunité. La position des tribunaux français, notamment à Paris dans les arrêts Eurodif et Sonatrach, a consacré ce principe, permettant la saisie de biens affectés à une activité économique relevant du droit privé.
L’apport de la Loi Sapin 2 et la présomption d’affectation publique des biens
L’objectif affiché de la loi Sapin 2 a été de clarifier et de renforcer la protection des États étrangers pour éviter les saisies abusives. L’article L. 111-1-2 du CPCE établit qu’une mesure d’exécution ne peut être autorisée par le juge que si trois conditions cumulatives, formant un critère d’une nouvelle rigueur, sont réunies : la créance est fondée sur une activité qui n’est pas de service public, le bien visé est utilisé à des fins autres que de service public non commercial, et il existe un lien de rattachement entre la créance et ce bien. Surtout, ce texte établit une présomption d’affectation à des fins de service public non commerciales pour certains biens, notamment les comptes bancaires utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires, les biens militaires ou les biens culturels, qui bénéficient ainsi d’une protection renforcée.
Les banques centrales et autorités monétaires étrangères
Un régime spécifique et encore plus protecteur est prévu pour les banques centrales et autres organisations monétaires étrangères. L’article L. 153-1 du Code monétaire et financier pose un principe d’insaisissabilité quasi-absolu de leurs biens, qu’ils soient détenus pour leur propre compte ou celui de leur État. L’exception est très restrictive : un créancier doit prouver que les biens font partie d’un patrimoine que la banque centrale affecte à une activité principale relevant du droit privé. Cette insaisissabilité est distincte de l’immunité de l’État et une renonciation de ce dernier est sans effet sur la protection des biens de sa banque centrale.
La renonciation à l’immunité d’exécution : un acte ‘expresse et spéciale’
Un État peut volontairement renoncer à se prévaloir de son immunité d’exécution. Cependant, les conditions de validité de cette renonciation ont fait l’objet d’une intense évolution jurisprudentielle, aujourd’hui stabilisée par la loi Sapin 2. Le principe est désormais que la renonciation doit être « expresse et spéciale ».
Évolution jurisprudentielle des exigences de renonciation
La Cour de cassation a longtemps exigé une renonciation « expresse et spéciale » pour les biens liés aux missions diplomatiques. Dans un revirement de 2015, elle avait temporairement abandonné l’exigence du caractère « spécial », considérant qu’une renonciation expresse générale suffisait. Cette nouvelle solution, jugée trop favorable aux créanciers et potentiellement dommageable pour les relations diplomatiques, a été rapidement contredite par le législateur avec la loi Sapin 2, qui a réaffirmé la double exigence.
Portée de la renonciation et biens concernés
Pour être valable, la renonciation doit non seulement être écrite et non équivoque (caractère exprès), mais elle doit également désigner précisément les biens ou catégories de biens sur lesquels elle porte (caractère spécial). Par exemple, une clause générale de renonciation à l’immunité dans un contrat ne suffit plus pour permettre la saisie de n’importe quel bien. Cela s’applique avec une rigueur particulière aux comptes bancaires de la mission diplomatique. Les décisions de justice récentes ont également apporté des précisions importantes concernant des biens spécifiques comme les aéronefs d’État, dont le régime peut être rapproché de celui des navires.
Renonciation implicite via convention d’arbitrage
La question de savoir si la conclusion d’une convention d’arbitrage par un État vaut renonciation implicite à son immunité d’exécution est au cœur d’un débat juridique complexe. Les tribunaux ont pu considérer que l’acceptation de se soumettre à un règlement d’arbitrage prévoyant l’exécution obligatoire de la sentence emportait une telle renonciation. Toutefois, la prudence est de mise pour les cocontractants privés, par exemple une société commerciale, qui ont tout intérêt à inclure dans leurs contrats des clauses de renonciation claires et conformes aux exigences légales actuelles pour éviter toute ambiguïté.
Le Juge de l’Exécution (JEX) face aux litiges d’immunité : compétences et limites
En matière de contestations relatives à l’immunité, Le Juge de l’Exécution (JEX) dispose d’une compétence d’attribution quasi-exclusive, bien que soumise à des limites précises. Il est le gardien de l’équilibre entre le droit du créancier à obtenir la satisfaction de sa demande et la protection due aux entités publiques.
Domaine d’intervention du JEX en matière d’immunité
Le JEX est compétent pour toutes les difficultés relatives aux titres exécutoires et les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée. Cela inclut le pouvoir d’apprécier si un bien bénéficie ou non de l’immunité d’exécution. Sa compétence s’étend à l’examen du fond du droit, à condition que la question soit soulevée dans le cadre d’une mesure d’exécution déjà engagée et qu’elle ne relève pas de la compétence exclusive d’une juridiction administrative.
Les limites au pouvoir du JEX : Intangibilité du titre et questions administratives
Le pouvoir du JEX connaît des bornes strictes. Une des limites fondamentales est qu’il ne peut en aucun cas modifier le dispositif du titre exécutoire sur lequel se fondent les poursuites. Son rôle se limite à contrôler la régularité de l’exécution. De même, il doit relever d’office son incompétence pour les questions qui relèvent de l’ordre administratif, comme le fond d’une créance d’impôt ou la validité d’un acte administratif, ne pouvant statuer que sur la régularité formelle des actes de poursuite en matière fiscale.
Autorisation judiciaire préalable pour les mesures contre les États étrangers
Depuis la loi Sapin 2, le JEX joue un rôle préventif crucial. Aucune mesure conservatoire ou d’exécution forcée sur un bien appartenant à un État étranger ne peut être pratiquée sans une autorisation judiciaire préalable, formalisée par un jugement. Le créancier doit saisir le juge par une demande sur requête, et ce dernier ne donnera son autorisation que si les conditions strictes de l’article L. 111-1-2 du CPCE sont manifestement réunies. Cette procédure de filtre judiciaire vise à prévenir les saisies vexatoires et à protéger la souveraineté des États.
L’impact des sanctions économiques internationales sur l’immunité d’exécution
Les régimes de sanctions économiques internationales, tels que les mesures de gel des avoirs décidées par l’ONU ou l’Union européenne, interagissent de manière complexe avec l’immunité d’exécution. Ces mesures, qui relèvent d’une organisation supranationale, visent à restreindre l’accès d’un État ou de certaines entités à leurs ressources économiques pour des motifs de politique étrangère et de sécurité.
Une mesure de gel des avoirs n’est pas une saisie. Elle paralyse le droit de disposer des fonds mais n’emporte pas dépossession au profit d’un créancier. En principe, un bien gelé ne peut faire l’objet d’une mesure d’exécution, car cela reviendrait à contrevenir à l’interdiction de mise à disposition des fonds. Toutefois, les règlements européens prévoient des mécanismes dérogatoires. Un créancier peut obtenir de l’autorité compétente (en France, la Direction Générale du Trésor) une autorisation de déblocage de fonds pour exécuter une décision de justice ou une sentence arbitrale, à condition que cette décision soit antérieure à la désignation de la personne morale ou de l’entité sous sanction. Ce champ du droit, en constante évolution au gré de l’actualité géopolitique, ajoute une couche de complexité au recouvrement de créances contre des entités étatiques.
Les litiges liés à l’immunité d’exécution requièrent une analyse pointue des textes et des décisions de justice. Notre cabinet met à votre disposition son expertise pour la défense de vos droits en la matière et élaborer la stratégie la plus adaptée à votre situation. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin 2 »)
- Code monétaire et financier
- Code général de la propriété des personnes publiques
- Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961
- Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens du 2 décembre 2004
L’immunité d’exécution représente un défi majeur pour les créanciers cherchant à recouvrer leurs dettes auprès d’entités publiques, qu’elles soient françaises ou étrangères. Ce principe, qui soustrait les biens des personnes publiques aux mesures d’exécution forcée, repose sur des fondements solides tels que la continuité du service public et la souveraineté étatique. Toutefois, ses contours et ses limites ont considérablement évolué, à l’heure où le droit à l’exécution des décisions de justice est lui-même consacré par la CEDH. Cette évolution s’est faite sous l’impulsion des décisions de justice et de textes législatifs majeurs, comme la loi Sapin 2. Face à ces complexités, l’assistance d’un avocat expert en voies d’exécution est souvent indispensable pour définir une stratégie de recouvrement efficace.
Principes fondamentaux et justifications de l’immunité d’exécution
Le droit de gage général, inscrit à l’article 2284 du Code civil, autorise en principe tout créancier à procéder à la saisie des biens de son débiteur. L’immunité d’exécution constitue une dérogation de taille à ce principe, interdisant l’application des procédures civiles d’exécution à l’encontre de certaines personnes. Ce mécanisme protège non pas les biens eux-mêmes, mais la personne du débiteur en raison de sa nature relevant du droit public.
Distinction entre insaisissabilité et immunité d’exécution
Il est essentiel de ne pas confondre l’immunité d’exécution avec l’insaisissabilité. L’insaisissabilité est une protection attachée à la nature d’un bien spécifique, le rendant impropre à la saisie quel que soit son propriétaire. L’article L. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), par exemple, liste ainsi les biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du débiteur saisi. À l’inverse, l’immunité d’exécution est un privilège personnel, attaché à la qualité de la personne débitrice. Pour prendre un exemple concret, un bien appartenant à une personne publique est protégé par l’immunité, mais ce même bien, s’il était la propriété d’une personne privée, pourrait faire l’objet d’une saisie sans difficulté.
Fondements et critiques de l’immunité d’exécution des personnes publiques
L’immunité des personnes publiques françaises trouve sa justification dans plusieurs arguments traditionnels relevant de principes cardinaux du droit public. Le premier est la présomption de solvabilité de l’État et de ses démembrements. Le second, plus fondamental, est la nécessité d’assurer la continuité du service public. Permettre la saisie des biens affectés à une mission d’intérêt général pourrait paralyser le fonctionnement de l’État. Enfin, les règles de la comptabilité publique prévoient des procédures spécifiques pour le paiement des dettes publiques, rendant en théorie les voies d’exécution inutiles. Ce principe n’est cependant pas sans soulever un vif débat, notamment lorsqu’il s’applique à des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) qui agissent sur le marché dans des conditions similaires à celles des entreprises privées, soulevant des questions de distorsion de concurrence.
Le régime juridique de l’immunité d’exécution des personnes publiques françaises
Le droit français consacre un principe général d’insaisissabilité des biens appartenant aux entités publiques. Ce principe a été réaffirmé avec force par la Cour de cassation, qui le qualifie de « principe général du droit » (Civ. 1re, 21 déc. 1987). L’article L. 2311-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose d’ailleurs que « les biens des personnes publiques (…) sont insaisissables ».
Champ d’application et entités concernées
L’immunité d’exécution bénéficie à l’État, aux collectivités territoriales (communes, départements, régions) et à leurs groupements sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’aux établissements publics, qu’ils soient administratifs ou, sous certaines conditions, industriels et commerciaux. La protection couvre l’ensemble de leurs biens, qu’ils appartiennent au domaine public ou au domaine privé. Toutefois, la position des tribunaux a exclu du bénéfice de l’immunité les EPIC, sauf si ces derniers démontrent que leurs biens constituent le support même d’un service public et que leur saisie en compromettrait le fonctionnement.
Exceptions à l’immunité : Saisies de rémunérations et voies administratives
L’immunité n’est pas absolue. Une exception notable concerne la saisie des rémunérations des agents publics. Cette procédure spécifique, encadrée par le Code du travail, reste applicable. De plus, pour contraindre une entité publique à exécuter une décision de justice, la mise en œuvre de voies de droit administratif est possible pour le créancier. La loi du 16 juillet 1980 a instauré des procédures de mandatement d’office et d’inscription d’office de la dépense au budget de la collectivité défaillante. De même, le recours à des astreintes administratives peut permettre de contourner l’immunité d’exécution pour forcer une administration à s’exécuter.
L’immunité d’exécution des États étrangers et de leurs émanations : la Loi Sapin 2 et la jurisprudence
Le régime applicable aux États étrangers est traditionnellement plus nuancé, fondé sur une distinction entre les actes de puissance publique et les actes de gestion privée. Ce régime a été profondément modernisé et codifié par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 », dont l’entrée en vigueur a marqué un tournant, en introduisant les articles L. 111-1-1 à L. 111-1-3 dans le CPCE.
Principe général et distinction entre actes de souveraineté et de gestion
En droit international coutumier, l’immunité d’exécution ne protège un État étranger que pour ses activités de souveraineté (actes jure imperii). En revanche, lorsqu’un État agit comme une personne privée dans le cadre d’opérations économiques ou commerciales (actes jure gestionis) relevant du commerce international, ses biens affectés à cette activité ne sont pas couverts par l’immunité. La position des tribunaux français, notamment à Paris dans les arrêts Eurodif et Sonatrach, a consacré ce principe, permettant la saisie de biens affectés à une activité économique relevant du droit privé.
L’apport de la Loi Sapin 2 et la présomption d’affectation publique des biens
L’objectif affiché de la loi Sapin 2 a été de clarifier et de renforcer la protection des États étrangers pour éviter les saisies abusives. L’article L. 111-1-2 du CPCE établit qu’une mesure d’exécution ne peut être autorisée par le juge que si trois conditions cumulatives, formant un critère d’une nouvelle rigueur, sont réunies : la créance est fondée sur une activité qui n’est pas de service public, le bien visé est utilisé à des fins autres que de service public non commercial, et il existe un lien de rattachement entre la créance et ce bien. Surtout, ce texte établit une présomption d’affectation à des fins de service public non commerciales pour certains biens, notamment les comptes bancaires utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires, les biens militaires ou les biens culturels, qui bénéficient ainsi d’une protection renforcée.
Les banques centrales et autorités monétaires étrangères
Un régime spécifique et encore plus protecteur est prévu pour les banques centrales et autres organisations monétaires étrangères. L’article L. 153-1 du Code monétaire et financier pose un principe d’insaisissabilité quasi-absolu de leurs biens, qu’ils soient détenus pour leur propre compte ou celui de leur État. L’exception est très restrictive : un créancier doit prouver que les biens font partie d’un patrimoine que la banque centrale affecte à une activité principale relevant du droit privé. Cette insaisissabilité est distincte de l’immunité de l’État et une renonciation de ce dernier est sans effet sur la protection des biens de sa banque centrale.
La renonciation à l’immunité d’exécution : un acte ‘expresse et spéciale’
Un État peut volontairement renoncer à se prévaloir de son immunité d’exécution. Cependant, les conditions de validité de cette renonciation ont fait l’objet d’une intense évolution jurisprudentielle, aujourd’hui stabilisée par la loi Sapin 2. Le principe est désormais que la renonciation doit être « expresse et spéciale ».
Évolution jurisprudentielle des exigences de renonciation
La Cour de cassation a longtemps exigé une renonciation « expresse et spéciale » pour les biens liés aux missions diplomatiques. Dans un revirement de 2015, elle avait temporairement abandonné l’exigence du caractère « spécial », considérant qu’une renonciation expresse générale suffisait. Cette nouvelle solution, jugée trop favorable aux créanciers et potentiellement dommageable pour les relations diplomatiques, a été rapidement contredite par le législateur avec la loi Sapin 2, qui a réaffirmé la double exigence.
Portée de la renonciation et biens concernés
Pour être valable, la renonciation doit non seulement être écrite et non équivoque (caractère exprès), mais elle doit également désigner précisément les biens ou catégories de biens sur lesquels elle porte (caractère spécial). Par exemple, une clause générale de renonciation à l’immunité dans un contrat ne suffit plus pour permettre la saisie de n’importe quel bien. Cela s’applique avec une rigueur particulière aux comptes bancaires de la mission diplomatique. Les décisions de justice récentes ont également apporté des précisions importantes concernant des biens spécifiques comme les aéronefs d’État, dont le régime peut être rapproché de celui des navires.
Renonciation implicite via convention d’arbitrage
La question de savoir si la conclusion d’une convention d’arbitrage par un État vaut renonciation implicite à son immunité d’exécution est au cœur d’un débat juridique complexe. Les tribunaux ont pu considérer que l’acceptation de se soumettre à un règlement d’arbitrage prévoyant l’exécution obligatoire de la sentence emportait une telle renonciation. Toutefois, la prudence est de mise pour les cocontractants privés, par exemple une société commerciale, qui ont tout intérêt à inclure dans leurs contrats des clauses de renonciation claires et conformes aux exigences légales actuelles pour éviter toute ambiguïté.
Le Juge de l’Exécution (JEX) face aux litiges d’immunité : compétences et limites
En matière de contestations relatives à l’immunité, Le Juge de l’Exécution (JEX) dispose d’une compétence d’attribution quasi-exclusive, bien que soumise à des limites précises. Il est le gardien de l’équilibre entre le droit du créancier à obtenir la satisfaction de sa demande et la protection due aux entités publiques.
Domaine d’intervention du JEX en matière d’immunité
Le JEX est compétent pour toutes les difficultés relatives aux titres exécutoires et les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée. Cela inclut le pouvoir d’apprécier si un bien bénéficie ou non de l’immunité d’exécution. Sa compétence s’étend à l’examen du fond du droit, à condition que la question soit soulevée dans le cadre d’une mesure d’exécution déjà engagée et qu’elle ne relève pas de la compétence exclusive d’une juridiction administrative.
Les limites au pouvoir du JEX : Intangibilité du titre et questions administratives
Le pouvoir du JEX connaît des bornes strictes. Une des limites fondamentales est qu’il ne peut en aucun cas modifier le dispositif du titre exécutoire sur lequel se fondent les poursuites. Son rôle se limite à contrôler la régularité de l’exécution. De même, il doit relever d’office son incompétence pour les questions qui relèvent de l’ordre administratif, comme le fond d’une créance d’impôt ou la validité d’un acte administratif, ne pouvant statuer que sur la régularité formelle des actes de poursuite en matière fiscale.
Autorisation judiciaire préalable pour les mesures contre les États étrangers
Depuis la loi Sapin 2, le JEX joue un rôle préventif crucial. Aucune mesure conservatoire ou d’exécution forcée sur un bien appartenant à un État étranger ne peut être pratiquée sans une autorisation judiciaire préalable, formalisée par un jugement. Le créancier doit saisir le juge par une demande sur requête, et ce dernier ne donnera son autorisation que si les conditions strictes de l’article L. 111-1-2 du CPCE sont manifestement réunies. Cette procédure de filtre judiciaire vise à prévenir les saisies vexatoires et à protéger la souveraineté des États.
L’impact des sanctions économiques internationales sur l’immunité d’exécution
Les régimes de sanctions économiques internationales, tels que les mesures de gel des avoirs décidées par l’ONU ou l’Union européenne, interagissent de manière complexe avec l’immunité d’exécution. Ces mesures, qui relèvent d’une organisation supranationale, visent à restreindre l’accès d’un État ou de certaines entités à leurs ressources économiques pour des motifs de politique étrangère et de sécurité.
Une mesure de gel des avoirs n’est pas une saisie. Elle paralyse le droit de disposer des fonds mais n’emporte pas dépossession au profit d’un créancier. En principe, un bien gelé ne peut faire l’objet d’une mesure d’exécution, car cela reviendrait à contrevenir à l’interdiction de mise à disposition des fonds. Toutefois, les règlements européens prévoient des mécanismes dérogatoires. Un créancier peut obtenir de l’autorité compétente (en France, la Direction Générale du Trésor) une autorisation de déblocage de fonds pour exécuter une décision de justice ou une sentence arbitrale, à condition que cette décision soit antérieure à la désignation de la personne morale ou de l’entité sous sanction. Ce champ du droit, en constante évolution au gré de l’actualité géopolitique, ajoute une couche de complexité au recouvrement de créances contre des entités étatiques.
Les litiges liés à l’immunité d’exécution requièrent une analyse pointue des textes et des décisions de justice. Notre cabinet met à votre disposition son expertise pour la défense de vos droits en la matière et élaborer la stratégie la plus adaptée à votre situation. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Loi Sapin 2 »)
- Code monétaire et financier
- Code général de la propriété des personnes publiques
- Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961
- Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens du 2 décembre 2004