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Impact de la technologie sur le régime juridique des actifs numériques : maîtriser les clés et les pouvoirs

Table des matières

L’émergence des actifs numériques a profondément modifié le paysage patrimonial, créant de nouvelles formes de richesse qui reposent sur des fondations technologiques complexes. En tant qu’avocats, nous observons que la détention et la transmission de ces biens immatériels soulèvent des questions juridiques inédites. La particularité de ces actifs est que leur régime juridique ne peut être dissocié de la technologie qui les sous-tend. Le pouvoir de fait, c’est-à-dire la maîtrise technique effective, précède et conditionne souvent le pouvoir de droit. Comprendre cette dynamique est essentiel pour tout détenteur, investisseur ou professionnel. Cet univers complexe, aux frontières du droit et de l’informatique, fait l’objet de notre article sur les actifs numériques : défis juridiques et solutions pratiques, qui pose les bases d’une réflexion que nous approfondissons ici.

La technologie au cœur de la définition des actifs numériques

Pour appréhender correctement les actifs numériques, une analyse purement juridique est insuffisante. La qualification juridique des actifs numériques est une première étape, mais elle doit être complétée par une analyse de leur fonctionnement technique. La technologie n’est pas un simple support ; elle est une composante essentielle qui définit les prérogatives réelles de son détenteur. C’est ce lien inextricable entre le code et le droit qui oblige à repenser certains de nos outils juridiques traditionnels.

Le concept de « maîtrise » (control) dans les principes unidroit

Consciente de cette réalité, l’organisation intergouvernementale UNIDROIT a élaboré des principes relatifs aux actifs numériques et au droit privé. Plutôt que de s’enfermer dans des qualifications juridiques strictes, ces principes introduisent une notion centrale : la « maîtrise » (ou « control » en anglais). Un actif numérique y est défini comme un enregistrement électronique qui peut faire l’objet d’une telle maîtrise. Ce concept factuel se distingue de la propriété ou de la possession au sens classique.

La maîtrise est caractérisée par la réunion de trois capacités exclusives : celle de bénéficier de l’actif, celle d’empêcher les tiers d’en bénéficier, et enfin, celle de transférer à autrui ces deux mêmes aptitudes. Il s’agit d’un état de fait qui emporte des conséquences juridiques majeures. Par exemple, celui qui a le contrôle d’un actif numérique est présumé en être l’acquéreur de bonne foi, un mécanisme qui n’est pas sans rappeler la règle de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre ».

La traduction technologique de la notion de contrôle

La notion de « maîtrise » trouve sa traduction concrète dans la technologie de la cryptographie asymétrique, qui est à la base de la plupart des actifs numériques comme les crypto-monnaies. Le pouvoir de fait est directement lié à la détention des outils techniques qui permettent d’interagir avec l’actif sur un registre distribué (blockchain). En pratique, celui qui maîtrise la technologie de l’actif en a la maîtrise juridique. Pour un avocat, cela signifie que toute opération, qu’il s’agisse d’une vente, d’une donation ou de la constitution d’une garantie, doit impérativement sécuriser ce transfert de contrôle technique pour être pleinement efficace.

Les clés cryptographiques : le fondement de la maîtrise technique

Le contrôle technique d’un actif numérique repose quasi exclusivement sur la gestion des clés cryptographiques. Ces instruments ne sont pas les actifs eux-mêmes, mais les outils indispensables pour y accéder et pour exercer des droits sur eux. Leur nature et leur mode de détention déterminent qui exerce réellement le pouvoir.

Clé privée et clé publique : fonctionnement et enjeux

Pour simplifier, on peut comparer le couple de clés à un compte de messagerie. La clé publique est l’équivalent d’une adresse email (ou d’un IBAN) : elle peut être partagée publiquement pour recevoir des actifs. La clé privée, en revanche, est le mot de passe : elle doit rester secrète et permet de signer des transactions, c’est-à-dire d’autoriser l’envoi d’actifs depuis son adresse. La clé privée est le seul et unique instrument qui confère le pouvoir d’agir. Sa perte ou son vol entraîne la perte irréversible de l’accès aux actifs associés. Il est donc fondamental de comprendre que la propriété juridique d’un actif numérique est vidée de sa substance sans la maîtrise de la clé privée correspondante.

La détention directe des clés et l’utilisation des wallets (hardware, software)

Un utilisateur peut choisir de détenir directement ses clés privées. Il exerce alors une souveraineté totale sur ses actifs. Cette détention se fait par le biais de « wallets » (portefeuilles). Contrairement à ce que leur nom suggère, ces wallets ne contiennent pas les actifs eux-mêmes (qui sont inscrits sur la blockchain), mais les clés qui y donnent accès.

On distingue principalement :

  • Les software wallets (portefeuilles logiciels) : ce sont des applications installées sur un ordinateur ou un smartphone (on parle de « hot wallet » car connecté à internet). Ils sont pratiques mais plus exposés aux risques de piratage.
  • Les hardware wallets (portefeuilles matériels) : il s’agit de dispositifs physiques, similaires à une clé USB, qui stockent les clés privées hors ligne (« cold wallet »). Ils offrent un niveau de sécurité bien supérieur car les clés ne sont jamais exposées à un appareil connecté.

Dans ce cas de figure, le détenteur est son propre banquier. Il a un contrôle absolu mais porte également toute la responsabilité de la sécurité et de la transmission de ses clés.

La détention indirecte des clés via les plateformes de conservation

L’alternative est de confier la conservation de ses clés à un tiers, généralement une plateforme d’échange ou de conservation (un « custodian »). Dans ce modèle, l’utilisateur n’a qu’un identifiant et un mot de passe pour accéder à son compte sur la plateforme. C’est la plateforme qui détient et gère les clés privées pour le compte de ses clients. Si ce système est plus simple pour l’utilisateur, il modifie radicalement la nature de ses droits. Il n’a plus un droit direct sur ses actifs, mais une créance contre la plateforme. En cas de faillite de cette dernière, comme l’ont montré les affaires retentissantes de Celsius ou Voyager, les clients risquent de n’être traités que comme des créanciers chirographaires, avec une faible chance de recouvrer leurs avoirs. Le pouvoir de fait est entièrement entre les mains du conservateur.

L’influence du pouvoir de fait sur le pouvoir juridique

Cette prééminence du contrôle technique a des répercussions directes sur de nombreuses branches du droit. Les praticiens doivent adapter leurs raisonnements et leurs outils pour intégrer cette nouvelle réalité où le fait conditionne le droit de manière implacable.

Pouvoir de fait et pouvoir juridique en droit des régimes matrimoniaux et de l’indivision

Dans le cadre d’un couple marié sous le régime de la communauté ou d’une indivision, la gestion des actifs numériques pose des défis. L’époux ou l’indivisaire qui détient seul les clés privées exerce de fait un pouvoir exclusif sur les actifs, même si ceux-ci sont juridiquement communs ou indivis. Il peut les transférer ou les dissimuler sans le consentement de l’autre. Pour pallier cette difficulté, des solutions techniques existent, comme les portefeuilles « multisignatures » qui requièrent l’approbation de plusieurs détenteurs de clés pour valider une transaction. La mise en place d’une telle solution devrait être un réflexe pour assurer une gestion conjointe ou pour se conformer aux règles de la gestion indivise.

Le pouvoir de fait et la distinction entre titre et finance

La jurisprudence a développé, notamment pour les parts sociales, la distinction entre le « titre » (la qualité d’associé et les droits politiques qui y sont attachés) et la « finance » (la valeur patrimoniale des parts). Cette distinction pourrait être transposée aux actifs numériques. L’époux qui a créé et maîtrise les actifs (par la détention des clés) conserverait le « titre », c’est-à-dire les prérogatives de gestion exclusive. En revanche, la « finance », c’est-à-dire la valeur de ces actifs, tomberait en communauté. Cette approche, fondée sur un « intuitu potentia » (une considération de la puissance technique), permettrait de concilier la réalité du contrôle et les règles de liquidation des régimes matrimoniaux.

Le pouvoir de fait et la notion d’universalité de fait (wallets)

Un portefeuille d’actifs numériques, géré via un unique wallet, pourrait être analysé comme une universalité de fait, à l’instar d’un portefeuille de valeurs mobilières. Cette qualification permettrait d’appliquer des régimes juridiques unifiés à l’ensemble des actifs qu’il contient. Par exemple, les règles de subrogation réelle pourraient s’appliquer plus simplement : la nature propre ou commune du portefeuille déterminerait celle des nouveaux actifs qui y entrent, facilitant la gestion patrimoniale et la traçabilité des fonds au sein d’un patrimoine familial.

Pouvoir de fait, pouvoir de droit et droits des créanciers (saisies)

Les droits des créanciers sont également affectés. Procéder à une saisie sur des actifs numériques s’avère complexe. Si les actifs sont détenus par une plateforme de conservation, la saisie peut être pratiquée entre les mains de ce tiers, de manière relativement classique. La situation se complique énormément lorsque le débiteur détient lui-même ses clés privées. Sans sa coopération, il est techniquement presque impossible pour un commissaire de justice d’appréhender les actifs. Le pouvoir de fait du débiteur fait échec aux voies d’exécution traditionnelles. Ces situations complexes illustrent l’importance des mécanismes de garanties et mises à disposition des actifs numériques qui tiennent compte de cette réalité technique pour être véritablement efficaces.

Face à la complexité de ces enjeux, qui mêlent technicité et implications juridiques profondes, l’accompagnement par un avocat compétent en droit commercial et des nouvelles technologies est un atout majeur. Pour sécuriser vos actifs numériques, anticiper les risques liés à leur gestion et leur transmission, contactez notre cabinet.

Sources

  • Principes Unidroit relatifs aux actifs numériques et au droit privé
  • Code monétaire et financier
  • Code civil

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