Le 6 février 2025, la deuxième chambre civile de la cour de cassation a rendu un arrêt sur les conséquences d’une formule exécutoire incomplète. La Caisse nationale des barreaux français avait pratiqué des mesures d’exécution forcée contre un avocat débiteur, sur le fondement d’une ordonnance du premier président d’une cour d’appel rendant exécutoire un rôle de cotisations. Le débiteur contestait la validité des mesures en invoquant l’incomplétude de la formule exécutoire.
Le cadre juridique de la formule exécutoire
Définition et fondements textuels
La formule exécutoire représente l’ordre donné par la puissance publique aux agents d’exécution de procéder aux mesures d’exécution forcée.
L’article 502 du code de procédure civile pose le principe selon lequel « nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d’une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement ».
La rédaction de cette formule est fixée par l’article 1er du décret n° 47-1047 du 12 juin 1947, qui impose la mention : « En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis. »
Formule obligatoire vs exceptions légales
Le texte prévoit des exceptions avec la formule « à moins que la loi n’en dispose autrement ». Ces exceptions concernent principalement les décisions exécutoires sur minute, comme les ordonnances sur requête (article 495, alinéa 2 du code de procédure civile) ou certaines ordonnances de référé (article 489, alinéa 2).
Dans un précédent arrêt du 20 mai 2021, la cour de cassation avait déjà précisé que l’ordonnance du premier président rendant exécutoire le rôle des cotisations dues à la CNBF devait être revêtue de la formule exécutoire, l’ancien article L. 723-9 du code de la sécurité sociale ne prévoyant pas d’exception.
La solution retenue par la cour de cassation
L’incomplétude comme vice de forme
L’apport principal de l’arrêt du 6 février 2025 réside dans la qualification juridique de l’incomplétude. En l’espèce, l’ordonnance comportait seulement la mention « commet tout huissier de justice de la résidence de l’intéressé pour procéder à l’exécution de la présente ordonnance », formule insuffisante au regard des exigences du décret de 1947.
La cour de cassation a qualifié cette incomplétude d’irrégularité de forme, la soumettant ainsi au régime des nullités pour vice de forme prévu par l’article 114 du code de procédure civile.
La nécessité de démontrer un grief
La Haute juridiction confirme que cette irrégularité ne peut être sanctionnée par la nullité que sur la démonstration d’un grief, que le débiteur n’avait pas invoqué en l’espèce.
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence établie. Dans un arrêt du 11 février 2010, la cour avait déjà énoncé qu’en l’absence de contestation du caractère exécutoire du titre, l’omission de la formule exécutoire devait s’analyser en une nullité pour vice de forme.
La formule exécutoire, bien que formalité substantielle, ne dispense pas de la démonstration d’un grief. Lorsque le caractère exécutoire de la décision est incontestable, il est difficile de démontrer qu’une formule incomplète cause un préjudice.
Conséquences pratiques
Pour les créanciers poursuivants
Pour les créanciers, cette décision est favorable. Une irrégularité touchant à la formule exécutoire ne remet pas automatiquement en cause les mesures d’exécution.
Les créanciers devront néanmoins :
- Vérifier la présence et la régularité de la formule exécutoire,
- S’assurer que l’expédition comporte la formule complète,
- En cas de doute, solliciter une nouvelle expédition.
Pour les débiteurs saisis
Les moyens de défense des débiteurs sont restreints. Pour contester efficacement une mesure d’exécution fondée sur un titre dont la formule exécutoire est incomplète, ils devront :
- Invoquer ce moyen in limine litis,
- Démontrer un préjudice concret,
- Éventuellement contester le caractère exécutoire du titre, moyen qui pourrait être qualifié de défense au fond.
La question reste ouverte de savoir si la contestation portant sur une formule exécutoire incomplète peut être qualifiée de défense au fond, par extension de la jurisprudence du 5 septembre 2019.
Pour les professionnels de l’exécution
Les commissaires de justice sont les premiers concernés. Leur responsabilité peut être engagée s’ils prêtent leur concours à l’exécution forcée d’un titre irrégulier.
En pratique :
- Ils doivent vérifier la présence et la conformité de la formule exécutoire,
- En cas d’incomplétude, ils peuvent refuser de procéder à l’exécution,
- S’ils procèdent néanmoins à l’exécution, ils s’exposent à une action en responsabilité.
Les greffes des juridictions doivent également s’assurer que la formule exécutoire figure intégralement sur les expéditions qu’ils délivrent.
L’arrêt du 6 février 2025 confirme que le formalisme de l’exécution forcée ne doit pas conduire à des nullités systématiques dépourvues de justification concrète, préservant ainsi l’équilibre entre efficacité des procédures d’exécution et protection des droits du débiteur.
Sources
- Civ. 2e, 6 févr. 2025, F-B, n° 22-18.527
- Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.553, publié au Bulletin
- Civ. 2e, 11 févr. 2010, n° 09-65.404
- Civ. 2e, 5 sept. 2019, n° 17-28.471
- Civ. 2e, 28 juin 2006, n° 04-17.514
- Civ. 1re, 28 sept. 2016, n° 14-29.776
- Civ. 2e, 1er juill. 1992, n° 91-11.434
- Castanier K., « L’incomplétude de la formule exécutoire constitue une irrégularité pour vice de forme », Dalloz actualité, 12 févr. 2025
- Chainais C., Mayer L., Guinchard S. et Ferrand F., Procédure civile, 37e éd., Dalloz, 2024