Chaque année, des milliers de procédures judiciaires s’enlisent dans les tribunaux français. Certaines s’éternisent par stratégie délibérée, d’autres par simple négligence. Le législateur a prévu un mécanisme pour sanctionner cette inertie procédurale : la péremption d’instance. Ce dispositif, souvent méconnu, constitue un instrument puissant de régulation du temps judiciaire.
Qu’est-ce que la péremption d’instance?
La péremption d’instance est un incident de procédure qui entraîne l’extinction de l’instance en raison de l’inaction des parties pendant au moins deux ans. Du latin perimere signifiant « anéantir, détruire », elle sanctionne l’absence de diligences des parties pour faire avancer leur procès.
Ne confondons pas la péremption avec d’autres notions voisines. Contrairement à la prescription extinctive qui éteint l’action en justice elle-même, la péremption n’anéantit que l’instance en cours. L’article 389 du Code de procédure civile (CPC) précise d’ailleurs que « la péremption n’éteint pas l’action ». Elle diffère également de la caducité qui frappe un acte de procédure initialement valable mais devenu inefficace en raison du non-accomplissement d’une formalité subséquente.
La Cour de cassation a clarifié la nature de la péremption en affirmant qu’elle « tire les conséquences de l’absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de l’affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique » (Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-27.917).
Des origines romaines à la réforme de 2017
L’histoire de la péremption remonte au droit romain où elle constituait déjà « une mesure d’ordre dictée par l’intérêt d’une bonne administration de la justice ». En France, elle apparut dans l’ancien droit et fut consacrée dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539.
L’ancien code de procédure civile de 1806 fixait le délai de péremption à trois ans et permettait au demandeur de « couvrir » la péremption en accomplissant un acte valable avant que l’adversaire ne l’invoque. Cette conception reflétait l’idée que la péremption traduisait un désistement tacite du demandeur.
Le code de procédure civile de 1975 marqua une évolution significative en réduisant le délai à deux ans et en supprimant la possibilité de couvrir la péremption. Cette modification traduisait un changement de paradigme : la péremption devenait moins une présomption d’abandon qu’une sanction de l’inertie procédurale.
La dernière évolution majeure date du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 qui a autorisé le juge à soulever d’office la péremption, renforçant ainsi son rôle d’instrument de désengorgement des tribunaux.
Le cadre législatif actuel
La péremption d’instance est régie par les articles 385 à 393 du Code de procédure civile. L’article 386 pose le principe : « L’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. »
Trois conditions cumulatives sont nécessaires pour que la péremption soit acquise :
- L’existence d’une instance
- L’absence de diligences pendant deux ans
- L’invocation de la péremption par une partie ou sa constatation d’office par le juge
La péremption n’opère pas automatiquement. Selon l’article 388 du CPC, elle « doit, à peine d’irrecevabilité, être demandée ou opposée avant tout autre moyen » et elle « est de droit ». Autrement dit, si les conditions sont réunies, le juge doit la constater.
Quand s’applique-t-elle et quand est-elle exclue?
La péremption s’applique devant toutes les juridictions civiles, qu’il s’agisse des tribunaux judiciaires, des cours d’appel ou même de la Cour de cassation (articles 1009-2 et 1009-3 du CPC).
Elle peut frapper toute instance, y compris celles mettant en cause l’ordre public. La chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi jugé que « la péremption atteint l’instance, même si celle-ci met en cause l’ordre public » (Com. 21 nov. 1995, n° 93-20.095).
En revanche, certaines instances échappent à la péremption :
- Les procédures pénales, même concernant les intérêts civils
- Les instances arbitrales, soumises à des délais conventionnels
- Les procédures collectives, qui ne constituent pas des instances au sens de l’article 386 du CPC
- Les instances où la procédure échappe à la maîtrise des parties (contestation d’honoraires, vérification des créances…)
Un revirement jurisprudentiel majeur vient d’intervenir avec quatre arrêts rendus le 7 mars 2024 par la 2e chambre civile de la Cour de cassation. Désormais, « lorsqu’elles ont accompli, conformément notamment aux dispositions des articles 908, 909 et 910-4 du code de procédure civile, l’ensemble des charges leur incombant dans les délais impartis, les parties n’ont plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l’affaire. La direction de la procédure leur échappe alors au profit du conseiller de la mise en état. Il en résulte qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre » (Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 21-19.475).
Les implications concrètes pour les justiciables
Pour les plaideurs, les conséquences de la péremption sont sévères:
- L’extinction de l’instance sans possibilité d’invoquer les actes accomplis pendant la procédure périmée
- La perte de l’effet interruptif de prescription de la demande en justice
- En cas d’appel ou d’opposition, l’acquisition de la force de chose jugée par le jugement attaqué
- La mise à la charge de celui qui a introduit l’instance de tous les frais de la procédure périmée
Un exemple concret : un créancier assignant son débiteur puis restant inactif pendant deux ans verra non seulement son instance éteinte, mais risque également que son action soit prescrite s’il a agi peu avant l’expiration du délai de prescription.
Pour les avocats, la vigilance est de mise. Leur responsabilité professionnelle peut être engagée pour perte de chance de succès de l’action si la péremption est constatée par leur faute (Civ. 2e, 10 juill. 2014, n° 13-20.606).
En pratique, la connaissance des actes interrompant le délai de péremption est essentielle. Constituent des diligences : les conclusions substantielles, la constitution d’avocat, la demande de fixation d’audience… À l’inverse, ne sont pas des diligences : le changement d’avocat, les pourparlers transactionnels, une simple demande de renvoi.
Les subtilités procédurales relatives à la péremption justifient souvent le recours à un conseil juridique expérimenté, notamment pour déterminer les périodes où aucune diligence n’incombe aux parties ou pour analyser les effets d’un lien entre plusieurs instances.
Notre cabinet d’avocats accompagne régulièrement des justiciables confrontés à des questions de péremption, tant pour invoquer cet incident que pour s’en prémunir. N’hésitez pas à nous contacter pour une analyse personnalisée de votre situation procédurale.
Sources
- Code de procédure civile, articles 385 à 393
- Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-27.917
- Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 21-19.475, n° 21-19.761, n° 21-20.719 et n° 21-23.230
- Com. 21 nov. 1995, n° 93-20.095 et n° 93-21.217
- Civ. 2e, 10 juill. 2014, n° 13-20.606
- VEYRE, Liza. Péremption d’instance, Répertoire de procédure civile, Dalloz, février 2020 (actualisation mars 2024)