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La prescription de l’exécution d’un jugement

Table des matières

Vous avez obtenu une décision de justice en votre faveur, mais votre adversaire ne s’exécute pas spontanément. Ou à l’inverse, vous avez été condamné et vous vous demandez pendant combien de temps cette épée de Damoclès restera suspendue au-dessus de votre tête. Un jugement n’est pas éternel. Son exécution forcée est encadrée par un délai précis : c’est la prescription de l’exécution d’un jugement. Cette notion juridique est essentielle car elle détermine la durée de vie du droit de poursuite pour l’exécution d’une décision. Comprendre son fonctionnement, son point de départ et les événements qui peuvent l’affecter est une information fondamentale tant pour le créancier qui souhaite récupérer son dû que pour le débiteur qui espère voir sa dette s’éteindre avec le temps.

Le principe : un délai de prescription de dix ans pour l’exécution d’un jugement

Un jugement rendu par une juridiction, une fois qu’il n’est plus susceptible de recours suspensif d’exécution, devient un titre exécutoire. Cela signifie qu’il peut faire l’objet d’une exécution forcée. Toutefois, ce droit à l’exécution est limité dans le temps. Pour connaître la durée de validité de ce droit, il faut se référer au code des procédures civiles d’exécution. L’article L. 111-4 de ce code, modifié par la loi portant réforme de la prescription en matière civile du 17 juin 2008, établit un principe clair :

« L’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long. »

Concrètement, cette règle de droit civil signifie que le créancier qui détient un jugement de condamnation dispose d’une période de dix ans pour contraindre son débiteur à payer. Durant cette décennie, il peut mandater un commissaire de justice (anciennement huissier de justice) pour engager des mesures d’exécution forcée, comme une saisie-attribution sur des comptes bancaires, une saisie de véhicule ou toute autre procédure de saisie jugée pertinente pour récupérer l’argent qui lui est dû. Passé ce délai, le droit de poursuivre l’exécution du jugement est prescrit : le titre exécutoire perd sa force et le créancier, au terme de ce long procès, ne peut plus obtenir le paiement forcé de sa dette.

Le point de départ du délai : un moment clé

Le calcul du délai de prescription ne peut commencer à l’aveugle. Le départ de la prescription est un moment juridique précis et essentiel. Ce délai de dix ans ne court qu’à partir de la signification du jugement. La signification est l’acte par lequel un commissaire de justice, par le biais de son service de signification, porte officiellement la décision à la connaissance du débiteur. Cet acte est fondamental car il garantit que la partie condamnée a bien eu une information complète du jugement rendu contre elle. Le délai de prescription commence donc à courir le jour suivant la date de cet acte. Il est donc fixé avec une grande précision.

Par exemple, un jugement du tribunal est rendu le 10 janvier 2024 et condamne une société à verser 15 000 euros de dommages-intérêts. Ce jugement est signifié à la société le 20 février 2024. Le créancier dispose d’un délai de dix ans pour engager une mesure d’exécution, qui commencera à courir le 21 février 2024 pour s’achever, en l’absence d’événement particulier, le 21 février 2034 au soir. Le dernier jour du délai est donc un point à surveiller.

L’exception au délai de dix ans

L’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution prévoit une exception notable au délai de dix ans. Il précise que ce délai ne s’applique pas si « les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ». En droit français, certaines actions spécifiques bénéficient de délais de prescription plus longs que le délai de droit commun de cinq ans. Par exemple, une action en responsabilité civile pour réparation d’un dommage corporel se prescrit par dix ans. Une action en matière de droit immobilier, comme une action en nullité d’une vente pour un vice affectant un terrain ou un immeuble, peut aussi avoir des délais spécifiques. Dans une telle situation, si le jugement vient constater une créance dont l’action en recouvrement initiale bénéficiait d’une prescription supérieure à dix ans (vingt ou trente ans pour certaines actions réelles immobilières par exemple), le délai d’exécution du jugement sera aligné sur ce délai plus long. Cette disposition vise à maintenir la cohérence entre la nature de la créance et la durée de son droit à l’exécution.

L’interruption de la prescription : un mécanisme qui remet les compteurs à zéro

Le calcul du délai de prescription n’est pas un simple décompte linéaire sur dix ans. Plusieurs événements peuvent venir perturber ce calcul, au premier rang desquels figure l’interruption de la prescription. L’effet de l’interruption est radical : elle efface le temps écoulé et fait courir un nouveau délai de même durée, soit dix ans, à compter de l’acte interruptif. La vigilance est donc de mise pour le débiteur qui penserait sa dette éteinte par le simple écoulement du temps.

Les actes interruptifs de prescription

Le Code civil, aux articles 2240 et suivants, définit les causes d’interruption. En matière d’exécution d’un jugement, deux grandes catégories d’actes ont cet effet.

Premièrement, toute mesure d’exécution forcée ou mesure conservatoire engagée par le créancier interrompt la prescription. Il peut s’agir par exemple :

  • D’un commandement de payer aux fins de saisie-vente ;
  • D’un procès-verbal de saisie-attribution sur un compte bancaire ;
  • D’une procédure de saisie immobilière portant sur un immeuble appartenant au débiteur ;
  • D’une saisie des rémunérations.

La simple intention de poursuivre ne suffit pas, il faut un acte concret diligenté par un commissaire de justice. Une simple lettre de mise en demeure, même si l’on prend soin de l’envoyer en recommandé, n’a aucun effet interruptif sur la prescription de l’exécution. Cette réclamation amiable ne suffit pas. En revanche, une demande en justice, comme une action pour obtenir la liquidation d’une astreinte, est également un acte interruptif majeur, conformément à l’article 2241 du Code civil.

Deuxièmement, la reconnaissance par le débiteur de sa dette interrompt également le délai. Le cas le plus fréquent est le paiement, même partiel, qui éteint graduellement la dette. Chaque versement effectué par le débiteur vaut reconnaissance de sa dette et la prescription court à nouveau pour dix ans à compter du jour du dernier paiement. Une demande de délais de paiement formulée par le débiteur produit le même effet.

Les conséquences de l’interruption : un nouveau délai de dix ans

L’effet principal de l’interruption, comme le prévoit l’article 2231 du Code civil, est de faire repartir un nouveau délai de prescription pour une durée identique à l’initiale, soit dix ans. Il faut donc être particulièrement attentif et retracer tout l’historique du dossier pour déterminer si la prescription du jugement est acquise.

Pour illustrer ce point, reprenons notre exemple. Le créancier, las d’attendre l’obtention d’un paiement, mandate un commissaire de justice qui délivre un commandement de payer à la société débitrice le 15 juillet 2026. Cet acte d’exécution interrompt la prescription. Un nouveau délai de dix ans commence à courir le 16 juillet 2026, reportant ainsi la fin de la prescription au 16 juillet 2036. Si, à la suite de ce commandement, la société effectue un paiement partiel le 1er septembre 2026, ce paiement interrompt à nouveau la prescription. Un nouveau délai de dix ans repartira à compter de cette date, jusqu’au 1er septembre 2036. On le voit, le délai d’exécution d’un jugement peut, en pratique, s’étendre bien au-delà de dix ans.

La suspension de la prescription : une simple pause dans le décompte

Il ne faut pas confondre l’interruption avec la suspension de la prescription. Si l’interruption efface le délai écoulé et fait repartir le compteur à zéro, la suspension, elle, ne fait que mettre le décompte en pause. L’article 2230 du Code civil le précise : « La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru. » Une fois que l’événement qui a causé la suspension disparaît, le délai recommence à courir là où il s’était arrêté. Par exemple, si une suspension de six mois survient, la date d’expiration de la prescription sera simplement reportée de six mois.

L’article 2238 du Code civil prévoit que la prescription est suspendue lorsque les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation. Cette suspension court à compter du jour où les parties s’accordent par écrit pour y recourir, ou, à défaut, à compter de la première réunion de médiation ou de conciliation. Le délai recommence à courir à la date à laquelle l’une des parties ou les deux, ou le médiateur ou le conciliateur, déclare que la médiation ou la conciliation est terminée, et ce pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. Cette mesure vise à encourager les modes amiables de résolution des litiges sans pénaliser le créancier.

Le cas des jugements anciens : le droit transitoire de la réforme de 2008

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a ramené le délai de prescription pour l’exécution des jugements de trente à dix ans. Cette réforme en matière de prescription a soulevé la question de son application dans le temps pour les décisions rendues avant son entrée en vigueur, fixée au 19 juin 2008. Pour gérer la transition, la loi a instauré un régime juridique spécifique.

L’article 26 de cette loi prévoit que les nouvelles dispositions s’appliquent aux prescriptions en cours à compter du 19 juin 2008, sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit trente ans. Un calcul s’impose donc pour chaque situation. Le point de départ du nouveau délai de dix ans est fixé au jour de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 19 juin 2008.

Prenons un exemple chiffré. Un jugement de condamnation a été rendu le 1er mars 1999 et signifié le 5 avril 1999. Sous l’empire du droit antérieur, la prescription était de trente ans et devait donc s’achever le 5 avril 2029. Avec la réforme, on applique le nouveau délai de dix ans à compter du 19 juin 2008. La prescription de l’exécution de ce jugement a donc été acquise le 19 juin 2018. La durée totale (du 5 avril 1999 au 19 juin 2018) est d’environ 19 ans, soit une durée bien inférieure aux trente ans initiaux. Cet exemple illustre l’effet direct de la loi sur des situations juridiques anciennes.

Prescription de l’exécution et autres types de prescription : éviter les confusions

Le terme « prescription » recouvre en droit plusieurs réalités qu’il est essentiel de distinguer pour ne pas commettre d’erreurs d’analyse, notamment lorsqu’on est confronté à une demande de paiement qui semble ancienne.

La prescription de l’action et la prescription de l’exécution

La distinction la plus importante est celle entre la prescription de l’action et la prescription de l’exécution. La prescription de l’action est le délai, fixé par la loi (généralement cinq ans en vertu de l’article 2224 du Code civil), dont dispose une personne pour engager une action en justice afin de faire reconnaître son droit (par exemple, pour la réclamation d’une facture impayée). Si l’action est exercée dans les temps et qu’un jugement est obtenu, ce jugement constitue un nouveau titre. C’est alors que s’ouvre un nouveau délai, celui de la prescription de l’exécution, qui est de dix ans. Ainsi, une dette qui se serait prescrite en cinq ans si aucune action n’avait été menée, peut finalement être recouvrée pendant dix années supplémentaires une fois qu’un jugement a été rendu.

La prescription extinctive et la prescription acquisitive

Il faut également différencier la prescription extinctive de la prescription acquisitive. La prescription extinctive, objet de cet article, est un mode d’extinction d’un droit par l’effet de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. C’est ce qui se produit pour le droit de poursuivre l’exécution forcée d’un jugement. À l’inverse, la prescription acquisitive (ou usucapion) est un moyen d’acquérir un droit réel, typiquement un droit de propriété sur un terrain ou un immeuble, par une possession prolongée, paisible et non équivoque. Le passage du temps transforme alors le possesseur en propriétaire. Bien que les deux mécanismes reposent sur l’écoulement du temps, leur finalité est opposée : l’une éteint un droit, l’autre en crée un. Cette dualité résulte de nombreux systèmes juridiques, y compris au Québec où le Code civil du Québec traite également de ces deux facettes du passage du temps.

La prescription en matière civile et en matière pénale

Enfin, il ne faut pas confondre la prescription de l’exécution en matière civile avec la prescription de l’action publique en matière pénale. La prescription de l’action publique est le délai au-delà duquel l’auteur d’une infraction (crime, délit ou autre acte criminel) ne peut plus être poursuivi par la société. La prescription pénale, quant à elle, est le délai après lequel une condamnation pénale ne peut plus être mise à exécution. Ces mécanismes relèvent du droit criminel et sont totalement distincts de la prescription de dix ans qui s’applique à l’exécution d’une décision de justice civile, commerciale ou même de droit administratif (pour une condamnation au paiement d’une somme d’argent).

Comment agir face à une question de prescription ?

Que vous soyez créancier ou débiteur, la question de la prescription de l’exécution d’un jugement est stratégique. Les enjeux financiers sont souvent importants et une analyse erronée du délai peut avoir des conséquences graves.

Pour le débiteur : contester une mesure d’exécution

Si vous faites l’objet d’une saisie ou d’une autre mesure d’exécution forcée pour une dette qui vous semble très ancienne, il est possible que la prescription soit acquise. Si vous estimez la poursuite illégale pour cette raison, un recours est possible devant le Juge de l’Exécution (JEX). Il est alors impératif d’analyser en détail l’historique du dossier pour vérifier le point de départ du délai et l’existence d’éventuels actes interruptifs, compte tenu de la gravité des conséquences. Attention, le délai pour former ce type de recours est souvent très court, généralement un mois à compter de la dénonciation de la saisie. Consulter un avocat compétent en matière de voies d’exécution est alors indispensable pour obtenir un avis juridique sur votre problème et, le cas échéant, entamer la bonne procédure.

Pour le créancier : sécuriser le recouvrement

À l’inverse, si vous êtes créancier et que vous constatez que l’expiration du délai de dix ans arrive bientôt, il est urgent d’agir. C’est peut-être votre dernière chance de récupérer votre créance. Laisser la prescription s’accomplir anéantirait vos chances de récupérer le fruit de votre poursuite. Pour éviter cette situation, il faut impérativement exécuter un acte interruptif de prescription avant la date fatidique. La solution la plus simple est souvent de mandater un commissaire de justice pour qu’il procède à une mesure d’exécution, même si celle-ci se révèle infructueuse dans un premier temps. Cet acte aura pour effet de faire courir un nouveau délai de dix ans, vous laissant le temps nécessaire pour poursuivre vos démarches de recouvrement. Là encore, l’assistance d’un avocat peut s’avérer précieuse pour choisir la stratégie la plus adaptée et s’assurer que les actes sont réalisés correctement et dans des délais à respecter scrupuleusement.

La gestion du temps est un élément central en matière de procès et de procédure d’exécution. L’obtention d’une décision de justice n’est que la première étape ; s’assurer de son exécution effective dans les délais impartis par la loi est tout aussi essentiel. Pour une analyse approfondie de votre dossier et un conseil adapté à votre situation, prenez contact avec notre cabinet.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution, notamment l’article L. 111-4
  • Code civil, notamment les articles 2224 et suivants sur la prescription extinctive et les articles 2230 et suivants sur la suspension et l’interruption
  • Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile

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