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La saisie-contrefaçon : procédure et requête

Table des matières

La saisie-contrefaçon constitue une arme redoutable dans l’arsenal juridique des titulaires de droits de propriété intellectuelle. Cette procédure probatoire exorbitante du droit commun permet d’obtenir la preuve d’une contrefaçon avant même d’engager une action au fond.

Les règles de compétence

L’exclusivité du tribunal judiciaire

Seul le président du tribunal judiciaire est compétent pour autoriser une saisie-contrefaçon. La chambre commerciale de la Cour de cassation l’a clairement affirmé dans son arrêt du 14 septembre 2010 : aucune autre juridiction ne peut ordonner cette mesure.

Ni le tribunal de commerce (TGI Lyon, 20 mars 1995), ni le juge de la mise en état (Civ. 1re, 5 février 2014, n°12-25.492), ni le juge de l’exécution ne disposent de cette compétence. Cette exclusivité s’explique par le caractère probatoire et non conservatoire de la procédure.

La spécialisation territoriale

La réforme de 2009 a profondément modifié la carte judiciaire en matière de propriété intellectuelle. Pour les brevets, certificats d’utilité, certificats complémentaires de protection et topographies de produits semi-conducteurs, seul le tribunal judiciaire de Paris est compétent (COJ, art. D. 211-6).

Pour les marques, dessins et modèles et indications géographiques, dix tribunaux judiciaires sont désignés : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes, Strasbourg et Fort-de-France (COJ, art. D. 211-6-1).

Non-respect = nullité. Une saisie ordonnée par un tribunal judiciaire non spécialisé sera annulée (TGI Paris, 14 octobre 2016). Il est crucial de connaître comment contester une saisie-contrefaçon en cas de non-respect de ces règles de compétence ou de vices de procédure.

Procédures spéciales en propriété littéraire et artistique

La contrefaçon commise via un service de communication en ligne bénéficie d’un régime particulier. L’article L. 336-2 du CPI permet d’agir en référé contre « toute personne susceptible de contribuer à y remédier », notamment les fournisseurs d’accès internet.

Le TGI Paris a ainsi pu ordonner le blocage des noms de domaine d’Allostreaming et le déréférencement par les moteurs de recherche (TGI Paris, réf., 28 novembre 2013).

Autre particularité : la loi du 11 mars 2014 a supprimé la procédure sur réquisition du commissaire de police, vestige de la loi des 19-24 juillet 1793.

La présentation de la requête

Pour une compréhension fondamentale de cette procédure, il est essentiel de maîtriser la définition et les caractéristiques essentielles de la saisie-contrefaçon avant de se pencher sur la rédaction de la requête.

Mentions obligatoires et motivation

La requête doit être présentée par un avocat (C. pr. civ., art. 846). Elle identifie précisément :

  • Le requérant et sa qualité pour agir
  • Le titre de propriété intellectuelle invoqué
  • Les fondements juridiques de la demande
  • Le ou les lieux visés par la saisie
  • Les produits ou procédés prétendument contrefaisants
  • Les mesures sollicitées

La requête doit être détaillée. La Cour de cassation a jugé que « l’indication précise des pièces invoquées […] constitue une condition de la recevabilité de la requête » (Civ. 1re, 20 octobre 2011, n°10-19.615).

Astuce pratique : la requête est généralement assortie d’un projet d’ordonnance, même si aucun texte ne l’impose.

Pièces justificatives nécessaires

Le requérant doit justifier de ses droits. Il produira :

  • Le fascicule du titre (brevet, marque…)
  • Les preuves de sa qualité (titre de propriété, contrat de licence…)

En matière de brevets : « le requérant est tenu, non seulement de présenter le brevet sur lequel il se fonde, mais aussi de justifier que ce titre est en vigueur » (Com. 29 janvier 2008).

Pour les marques, dessins et modèles : les actes modifiant les droits doivent avoir été inscrits aux registres nationaux ou communautaires pour être opposables aux tiers (CPI, art. L. 714-7, L. 513-3).

Indications techniques complémentaires

L’ordonnance doit mentionner nommément le juge qui l’a rendue et porter sa signature (C. pr. civ., art. 454 et 456). La signature illisible avec la mention « Nous, Président » entraîne la nullité (Crim. 22 septembre 2009, n°09-80.599).

En revanche, ni le nom et la signature du greffier (Civ. 2e, 17 mars 2005, n°02-14.514), ni la formule exécutoire, ni l’indication des voies de recours ne sont obligatoires.

Transparence exigée : le requérant doit indiquer l’existence de procédures judiciaires en cours l’opposant déjà au saisi (Paris, 17 septembre 2019).

Le pouvoir d’appréciation du juge

La compétence liée pour la saisie descriptive

Le juge doit autoriser la description détaillée des objets suspectés de contrefaçon dès lors que le requérant justifie de ses droits. Il s’agit d’un véritable droit à la preuve.

La chambre commerciale l’a clairement affirmé : le magistrat a « le pouvoir de fixer les conditions et l’étendue de la saisie-contrefaçon, mais non celui de refuser l’autorisation d’y procéder qui lui a été demandée dans les formes et avec les justifications prévues par la loi » (Com. 22 juin 1999).

Dans ce cadre, l’huissier peut photographier, filmer ou photocopier des éléments. La photocopie de documents constitue une saisie descriptive et non réelle (Com. 1er juillet 2003, n°01-10.807).

Le pouvoir discrétionnaire pour la saisie réelle

À l’inverse, le juge peut refuser la saisie réelle s’il estime qu’elle excède la simple finalité probatoire (Douai, 4 février 2002).

La jurisprudence admet le cantonnement de la saisie réelle aux seuls exemplaires nécessaires à la preuve : « la saisie réelle de tout un stock ne devrait pas pouvoir intervenir » (Com. 4 janvier 1985).

Le juge peut également restreindre la saisie des documents. Attention : la saisie de documents comptables, autrefois contestée, est désormais expressément autorisée (Civ. 1re, 11 décembre 2013, n°12-14.030).

Les garanties exigibles du requérant

Pour équilibrer cette procédure non contradictoire, le juge peut exiger des garanties du requérant.

L’article L. 615-5 du CPI prévoit que l’exécution des mesures peut être subordonnée à « la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée ».

Ces garanties peuvent prendre diverses formes :

  • Caution bancaire (Paris, 23 mars 1978)
  • Consignation d’une somme d’argent
  • Paiement du prix des produits saisis (TGI Lyon, 29 août 1994)
  • Séquestre des recettes d’exploitation (Paris, 12 décembre 1989)

Ces éléments soulignent l’importance d’une préparation rigoureuse de la requête et des garanties requises, étapes cruciales avant l’exécution de la saisie-contrefaçon et la collecte effective de la preuve.

Les actes autorisés par l’ordonnance

Description détaillée avec ou sans prélèvement

L’ordonnance autorise « la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons » (CPI, art. L. 615-5). L’huissier doit strictement respecter cette mission.

Si l’ordonnance vise un produit à l’exclusion de son procédé de fabrication, l’huissier ne peut décrire ce procédé (TGI Paris, 8 décembre 2017).

Le prélèvement d’échantillons doit être limité en nombre. Le juge peut préciser : « un maximum de deux exemplaires de chaque modèle » (Aix-en-Provence, 12 février 1999).

Saisie réelle des produits contrefaisants

La saisie réelle suppose l’appréhension matérielle des biens. Elle n’est possible que si expressément autorisée par l’ordonnance (TGI Paris, 1er avril 1993).

Les biens saisis sont conservés par l’huissier sous scellés (Com. 19 novembre 2002, n°00-15.203). La remise au requérant doit être autorisée par l’ordonnance (TGI Évreux, 19 juin 1998).

Particularité : en droit d’auteur, la saisie peut viser les recettes provenant de l’exploitation illicite (CPI, art. L. 332-1, 3°).

Saisie des matériels et instruments de contrefaçon

Depuis 2007, « la juridiction peut ordonner la […] saisie réelle des matériels et instruments » ayant servi à fabriquer ou distribuer les produits contrefaisants (CPI, art. L. 615-5).

Cette extension dépasse la simple fonction probatoire. Elle empêche la poursuite de la fabrication et limite l’ampleur des actes contrefaisants.

Cas spécifiques en propriété littéraire et artistique

L’article L. 332-1 du CPI liste des mesures spécifiques :

  • Suspension des représentations ou exécutions publiques
  • Suspension de toute fabrication en cours
  • Saisie des recettes d’exploitation
  • Remise des œuvres illicites à un tiers séquestre

Les mesures peuvent aller jusqu’à la suspension d’un spectacle ou d’une projection. Ces pouvoirs étendus illustrent la sévérité du législateur envers la contrefaçon d’œuvres de l’esprit.

Sources

  • Code de la propriété intellectuelle, articles L. 332-1 à L. 332-4, L. 521-4, L. 615-5, L. 623-27-1, L. 716-4-7, L. 722-4
  • Code de procédure civile, articles 454, 456, 494 à 498, 648, 846
  • Code de l’organisation judiciaire, articles D. 211-6 et D. 211-6-1
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 14 septembre 2010
  • Cour de cassation, 1ère chambre civile, 5 février 2014, n°12-25.492
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 22 juin 1999, n°97-12.699
  • Cour de cassation, 1ère chambre civile, 20 octobre 2011, n°10-19.615
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2008, n°07-14.709
  • Cour de cassation, chambre criminelle, 22 septembre 2009, n°09-80.599
  • Cour de cassation, 2e chambre civile, 17 mars 2005, n°02-14.514
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 1er juillet 2003, n°01-10.807
  • Cour de cassation, 1ère chambre civile, 11 décembre 2013, n°12-14.030
  • TGI Paris, 14 octobre 2016, n°14/07600
  • TGI Paris, réf., 28 novembre 2013, n°11/60013
  • TGI Paris, 8 décembre 2017, n°16/00900
  • TGI Paris, 1er avril 1993, RDPI 1993, n°46, p. 28
  • TGI Lyon, 20 mars 1995, PIBD 1995, n°590, III, p. 310
  • TGI Évreux, 19 juin 1998, Expertises 1999. 278, n°229

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