Votre dossier est prêt. Les plaidoiries terminées. Et pourtant, aucune décision n’arrive. Les semaines passent, puis les mois. Le juge semble avoir oublié votre affaire. Que faire? La sommation de juger constitue un outil méconnu mais puissant pour contraindre un juge à rendre sa décision.
La sommation de juger : définition et particularités
La sommation de juger se définit comme « l’acte délivré par huissier de justice par lequel une partie à un procès enjoint au juge saisi de son affaire de se prononcer sous peine de prise à partie fondée sur le déni de justice » (Laher, 2020).
Contrairement à d’autres sommations, celle-ci n’intervient pas en dehors d’une instance mais au contraire dans son cadre précis. Elle constitue une réponse directe au déni de justice défini à l’article L.141-3 du Code de l’organisation judiciaire comme la situation où « les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d’être jugées ».
La pratique l’a désertée ces dernières années. Pourquoi? Probablement par crainte de froisser le magistrat. Pourtant, elle reste inscrite à l’article 366-9 du Code de procédure civile.
Un champ d’application limité mais stratégique
Les destinataires prévus par les textes
La sommation de juger ne peut être adressée qu’aux juridictions composées de juges non professionnels :
- Conseil des prud’hommes (Civ. 1re, 3 juillet 1990)
- Tribunal de commerce (Civ. 1re, 19 novembre 1985)
- Tribunal paritaire des baux ruraux
Pour les magistrats professionnels, le recours passe par l’action contre l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice (art. L.141-1 du COJ).
Des applications potentielles inexploitées
Rien n’interdit pourtant de signifier une sommation à un magistrat professionnel. Sans autoriser la prise à partie, elle pourrait:
- Exercer une pression psychologique
- Constituer une preuve en vue d’une action contre l’État
- Démontrer l’existence d’un déni de justice
Un formalisme rigoureux
La double sommation obligatoire
L’originalité de cette sommation tient à sa nécessaire répétition. L’article 366-9 du CPC impose de la « réitérer passé un délai de huit jours ». Sans cette seconde signification, la procédure de prise à partie devient irrecevable.
Une signification indirecte
Autre particularité: contrairement aux sommations classiques, celle-ci n’est pas remise directement à son destinataire. Elle doit être « délivrée par huissier de justice au greffe de la juridiction » qui la transmettra au juge.
Cette règle protège le magistrat tout en donnant une publicité interne au déni de justice.
La sommation peut viser:
- Un juge nommément désigné
- Une chambre
- L’ensemble de la juridiction
Des effets juridiques considérables
Effets psychologiques
La sommation de juger déploie un triple mécanisme de pression sur son destinataire:
- La menace d’une responsabilité civile via la prise à partie
- Le risque de sanctions disciplinaires pour manquement aux devoirs (art. L.724-1 C.com, L.1442-13 C.trav)
- La possibilité d’une déchéance, notamment pour les conseillers prud’hommes (L.1442-12 C.trav)
Condition de recevabilité de la prise à partie
L’effet principal reste procédural: sans cette double sommation, la prise à partie pour déni de justice devient irrecevable.
Si le juge défère à l’une des sommations en rendant sa décision, la prise à partie perd son objet.
Impact sur la péremption d’instance
Bien que la jurisprudence reste incertaine, la première sommation pourrait interrompre le délai de péremption de deux ans. Elle manifeste « la volonté de donner une impulsion à l’instance » (Civ. 2e, 2 juin 2016) et de « faire progresser le litige vers sa solution » (Com. 3 oct. 2018).
Dans un contexte où les délais judiciaires s’allongent, cette procédure mérite d’être redécouverte. Elle place le juge devant ses responsabilités sans pour autant l’exposer à des actions injustifiées.
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Sources
- Laher, R. (2020). Répertoire de procédure civile – Sommation, Section 3 – Sommation aux fins de jugement, §§ 55-69.
- Code de l’organisation judiciaire, articles L.141-1 et L.141-3
- Code de procédure civile, article 366-9
- Cour de cassation, 1re chambre civile, 3 juillet 1990, n° 90-01.004
- Cour de cassation, 1re chambre civile, 19 novembre 1985, Bull. civ. I, n° 310
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 2 juin 2016, n° 15-17.354
- Cour de cassation, chambre commerciale, 3 octobre 2018, n° 17-10.225