brown rock formation under white clouds during daytime

L’affrètement aérien : comprendre le contrat et les responsabilités

Table des matières

Vous avez peut-être déjà voyagé sur un vol charter pour vos vacances, ou votre entreprise a organisé un déplacement spécifique pour une équipe. Derrière ces situations, se cache souvent un mécanisme contractuel particulier : l’affrètement aérien. Bien que fréquent dans le monde du transport, ce contrat reste méconnu du grand public et même de certains professionnels. Pourtant, comprendre ses rouages est essentiel, car il engage des obligations précises et soulève des questions complexes en matière de responsabilité en cas d’incident.

Qu’est-ce que l’affrètement aérien exactement ? Il s’agit, pour simplifier, de la mise à disposition d’un aéronef avec son équipage. Cette précision est fondamentale et le distingue d’autres contrats. Mais au-delà de cette définition, comment fonctionne concrètement l’affrètement ? Quelles sont les obligations de celui qui fournit l’avion (le fréteur) et de celui qui l’utilise (l’affréteur) ? Et surtout, qui est responsable si un dommage survient, que ce soit à des tiers, aux passagers ou aux marchandises transportées ? Cet article vise à éclaircir ces points pour vous permettre de mieux appréhender les enjeux de ce contrat.

Définir et distinguer le contrat d’affrètement aérien

Le droit français encadre l’affrètement aérien, même si la réglementation reste succincte comparée à celle du transporteur classique. Il est donc important de bien saisir sa nature juridique pour éviter les confusions.

La définition clé : un avion et son équipage

Le point de départ est l’article L. 6400-2 du code des transports. Ce texte définit l’affrètement comme « l’opération par laquelle un fréteur met à la disposition d’un affréteur un aéronef avec équipage ». L’élément distinctif ici est la présence de l’équipage (pilotes, personnel de cabine) fourni par le fréteur. C’est cette mise à disposition conjointe de l’appareil et du personnel navigant qui caractérise l’affrètement.

Le même article précise que, sauf accord contraire des parties, « l’équipage reste sous la direction du fréteur ». Cette règle a des conséquences importantes, notamment sur la responsabilité, comme nous le verrons plus loin. Le fréteur conserve donc par défaut la maîtrise technique et opérationnelle du vol.

Les principales formes : affrètement au voyage et affrètement à temps

Bien que la loi ne fasse pas explicitement la distinction, la pratique, inspirée du droit maritime, connaît principalement deux grandes formes d’affrètement aérien :

  • L’affrètement au voyage : Ici, le fréteur met son avion avec équipage à disposition pour réaliser un ou plusieurs vols bien définis (par exemple, un aller-retour Paris-Marrakech pour un groupe touristique). Le fréteur conserve généralement la gestion complète de l’opération, tant nautique (sécurité, pilotage) que commerciale (organisation du vol). L’affréteur achète une prestation de transport pour un trajet donné.
  • L’affrètement à temps : Dans ce cas, l’avion et son équipage sont mis à disposition pour une durée déterminée (quelques mois, voire plusieurs années). L’affréteur dispose alors d’une plus grande latitude pour utiliser l’appareil selon ses besoins, dans les limites du contrat. La gestion est souvent partagée : le fréteur garde la gestion nautique (la sécurité prime toujours), mais l’affréteur acquiert la gestion commerciale, décidant du programme des vols, des destinations, et prenant parfois en charge certains coûts directs.

Cette distinction influe sur la répartition des obligations et des coûts entre les parties.

Ce que l’affrètement n’est pas : différences avec le transport et la location

Il est essentiel de ne pas confondre l’affrètement avec deux autres contrats courants dans le secteur aérien.

  • Affrètement vs Contrat de transport : Lorsque vous achetez un billet d’avion classique, vous concluez un contrat de transport. Le transporteur s’engage à vous déplacer, vous ou votre marchandise, d’un point A à un point B. L’objet du contrat est le déplacement lui-même. Dans l’affrètement, l’objet principal est la mise à disposition de la capacité de l’aéronef (tout l’avion ou une partie) avec son équipage. L’affréteur n’achète pas un siège, mais la possibilité d’utiliser l’avion pour ses propres besoins (transporter ses clients, son personnel, son fret).
  • Affrètement vs Location : La location d’aéronef, définie par l’article L. 6400-3 du code des transports, consiste à mettre à disposition un aéronef sans équipage. On parle souvent de location « coque nue » (ou dry lease en anglais, par opposition au wet lease pour l’affrètement). Le locataire assume alors l’entière responsabilité de l’exploitation de l’appareil, y compris la fourniture de l’équipage et la gestion nautique. La présence ou l’absence de l’équipage fourni par le propriétaire est donc le critère distinctif majeur.

Ces distinctions sont importantes car elles déterminent le régime juridique applicable, notamment en termes de responsabilités.

Comprendre le fonctionnement du contrat d’affrètement

Comme tout contrat, l’affrètement crée des droits et obligations pour chaque partie. La liberté contractuelle domine, mais certaines obligations découlent de la nature même de l’opération.

Les engagements du fréteur (celui qui fournit l’avion)

Le fréteur assume des responsabilités techniques et opérationnelles fondamentales. Il doit principalement :

  • Fournir un appareil conforme et entretenu : L’avion mis à disposition doit être en parfait état de navigabilité, répondre aux normes de sécurité en vigueur et posséder tous les documents de bord requis. Le fréteur assure l’entretien technique de l’appareil pendant toute la durée du contrat.
  • Mettre à disposition un équipage compétent : L’équipage fourni doit être qualifié, posséder les licences et brevets nécessaires et être apte à réaliser les vols prévus. Sauf clause contraire, cet équipage reste sous l’autorité hiérarchique et technique du fréteur.
  • Assurer la sécurité du vol (gestion nautique) : Le fréteur, via son commandant de bord, conserve la responsabilité ultime des décisions liées à la sécurité : itinéraire, conditions météo, chargement, possibilité de dérouter ou d’annuler un vol si nécessaire. L’affréteur doit se conformer à ces décisions.

Les obligations de l’affréteur (celui qui utilise l’avion)

L’affréteur n’est pas un simple passager. Ses obligations varient selon le type d’affrètement, mais incluent généralement :

  • Payer le prix convenu : Le prix peut être forfaitaire (au voyage) ou calculé en fonction des heures de vol (à temps), souvent avec un minimum garanti.
  • Utiliser l’appareil selon les termes convenus : L’affréteur doit respecter l’usage prévu au contrat, ne pas transporter de marchandises illicites ou dangereuses sans autorisation, et se conformer aux réglementations applicables.
  • Gérer l’aspect commercial (surtout en affrètement à temps) : Cela peut inclure la définition du programme des vols, l’obtention des autorisations de trafic nécessaires, la prise en charge des coûts de carburant, des taxes aéroportuaires, de l’assistance en escale, etc.
  • Respecter les horaires pour l’embarquement (surtout en affrètement voyage) : Présenter les passagers ou les marchandises à l’heure convenue est impératif. Des retards peuvent entraîner des coûts supplémentaires (surestaries), voire la résiliation du contrat.

Quand les choses ne se passent pas comme prévu : inexécution et force majeure

Comme dans toute relation contractuelle, des imprévus peuvent survenir. Que se passe-t-il si un vol est annulé ou retardé ? Les contrats d’affrètement prévoient généralement des clauses pour gérer ces situations :

  • Résiliation : Des clauses peuvent permettre à l’une ou l’autre partie de mettre fin au contrat sous certaines conditions, parfois moyennant une indemnité forfaitaire.
  • Force majeure : Des événements extérieurs, imprévisibles et irrésistibles (conditions météorologiques extrêmes, grève générale imprévue, fermeture de l’espace aérien, etc.) peuvent exonérer les parties de leur responsabilité pour inexécution. Attention, la définition contractuelle de la force majeure peut varier.
  • Limitations de responsabilité contractuelles : Les contrats incluent souvent des clauses limitant la responsabilité entre le fréteur et l’affréteur en cas de manquement. Il est fondamental de comprendre que ces clauses ne sont, en principe, pas opposables aux tiers (passagers, expéditeurs, victimes au sol) qui n’ont pas signé ce contrat. Elles organisent seulement la répartition de la charge finale de l’indemnisation entre les deux professionnels.

La survenance d’un problème technique sur l’appareil relève en principe de la responsabilité du fréteur, qui doit en assumer les conséquences (réparation, recherche d’un appareil de remplacement si possible).

La question complexe des responsabilités

C’est sans doute l’aspect le plus délicat de l’affrètement aérien, car il implique potentiellement plusieurs acteurs et différents régimes juridiques. Qui est responsable en cas d’accident, de retard important, de perte de marchandises ?

Qui paie pour les dommages causés par l’avion à des tiers ?

Imaginons qu’un aéronef affrété cause des dommages à un autre appareil en vol, ou à des biens et personnes au sol (chute d’objet, crash). Le droit français désigne un responsable principal : l’exploitant de l’aéronef.

  • Le principe de la responsabilité de l’exploitant : Les articles L. 6131-1 et L. 6131-2 du code des transports établissent la responsabilité de l’exploitant. Pour les dommages causés aux tiers à la surface, cette responsabilité est même de plein droit, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de prouver une faute. Seule la faute de la victime peut l’atténuer ou l’écarter.
  • Qui est l’exploitant en cas d’affrètement ? La loi ne définissant pas l’exploitant, la jurisprudence s’est attachée à la notion de garde de l’appareil, caractérisée par les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle. Comme l’équipage reste généralement sous la direction du fréteur (art. L. 6400-2 C. transp.), c’est lui qui conserve la gestion nautique et technique. Par conséquent, le fréteur est habituellement considéré comme l’exploitant et le gardien de l’aéronef, et donc comme le principal responsable des dommages causés aux tiers.
  • Nuances possibles : La question pourrait se poser différemment si le dommage est directement lié à une décision relevant de la gestion commerciale exclusive de l’affréteur (par exemple, le choix répété d’itinéraires générant des nuisances sonores spécifiques). Cependant, la responsabilité première du fréteur en tant que détenteur de la maîtrise technique reste le principe.

Qui est responsable en cas de dommage aux passagers ou aux marchandises ?

La situation se complique lorsque les dommages concernent les « utilisateurs » du vol : passagers blessés, bagages perdus ou endommagés, marchandises détruites ou avariées. Souvent, ces personnes n’ont pas contracté directement avec le fréteur, mais avec l’affréteur (agence de voyages, entreprise, commissionnaire de transport…).

  • Un schéma souvent complexe pour les victimes : Le passager ou l’expéditeur peut se retrouver face à plusieurs interlocuteurs potentiels (l’agence qui a vendu le billet, la compagnie aérienne dont le nom figure sur l’avion ou le billet, etc.). Contre qui agir ?
  • Le recours contre le fréteur : Même sans lien contractuel direct, la victime peut parfois se retourner contre le fréteur :
    • Si le fréteur est transporteur contractuel : C’est le cas s’il a émis le billet de passage ou la lettre de transport aérien (LTA) à son nom, ou si l’affréteur l’a désigné comme tel sur le document avec son accord. Il est alors soumis aux règles du contrat de transport, notamment la Convention de Montréal de 1999 pour les vols internationaux (et par extension légale pour les vols internes français pour les marchandises, cf. art L. 6422-2 C. transp.).
    • Si le fréteur est transporteur de fait : La Convention de Montréal (articles 39 et suivants) prévoit spécifiquement le cas où le transport est effectué par une autre personne que celle qui a conclu le contrat. Si l’affréteur est le « transporteur contractuel » et a autorisé le fréteur à effectuer le vol, ce dernier devient « transporteur de fait ». La victime peut alors agir contre l’un ou l’autre, voire les deux. Ils sont soumis aux règles et limites de responsabilité de la Convention.
    • Sur le terrain de la faute prouvée (responsabilité extracontractuelle) : Si les conditions ci-dessus ne sont pas remplies, la victime peut toujours tenter d’engager la responsabilité du fréteur en prouvant une faute de sa part ou de celle de son équipage (erreur de pilotage, défaut d’entretien…) sur la base des articles 1240 et 1241 du Code civil, ou en tant que gardien de l’aéronef (article 1242 du Code civil).
  • Le recours contre l’affréteur : La victime a bien sûr un recours contre son propre cocontractant, l’affréteur, mais la nature de ce recours dépend du contrat qui les lie :
    • Si l’affréteur est transporteur contractuel : Comme vu précédemment, si la compagnie aérienne affréteuse a vendu les billets en son nom, elle est responsable comme transporteur, même si elle sous-traite le vol à un fréteur. Elle est soumise à la Convention de Montréal.
    • Cas des agences de voyages / tour operators : Lorsqu’une agence de voyages affrète un avion pour composer un voyage à forfait, elle n’est généralement pas considérée comme un transporteur aérien. Sa responsabilité envers le client est régie par les règles spécifiques du Code du tourisme, qui prévoient une responsabilité de plein droit pour la bonne exécution de tous les services inclus dans le forfait (y compris le transport aérien). Le règlement européen (CE) n° 261/2004 sur les droits des passagers (indemnisation pour annulation, retard important, refus d’embarquement) ne vise que le « transporteur aérien effectif » (le fréteur, en général) et non l’agence.
    • Cas des commissionnaires de transport : Si une entreprise confie ses marchandises à un commissionnaire qui, pour les acheminer, affrète un avion, le commissionnaire est responsable envers son client selon les règles du contrat de commission (obligation de résultat pour l’arrivée des marchandises, mais avec des limitations spécifiques). Il n’est généralement pas qualifié de transporteur aérien, sauf si son comportement ou les documents émis créent une apparence trompeuse.

Cette diversité de situations et de régimes juridiques applicables montre bien la nécessité d’une analyse précise en cas de litige.

La complexité des relations contractuelles et des régimes de responsabilité en matière d’affrètement aérien nécessite une analyse attentive de chaque situation. Pour sécuriser vos opérations d’affrètement ou défendre vos droits en cas de litige, notre équipe se tient à votre disposition.

Sources

  • Code des transports (notamment articles L. 6131-1, L. 6131-2, L. 6400-2, L. 6400-3, L. 6412-6, L. 6421-1 et s., L. 6422-2)
  • Code civil (notamment articles 1240, 1241, 1242)
  • Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, faite à Montréal le 28 mai 1999  
  • Code du tourisme (pour la responsabilité des agences de voyages)
  • Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers.

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR