Le financement des stocks représente souvent un défi pour les entreprises, immobilisant une part significative de leur trésorerie. Pourtant, ces marchandises entreposées peuvent devenir un levier financier grâce à un instrument juridique spécifique mais parfois méconnu : le warrant de magasin général. Loin d’être une simple reconnaissance de dépôt, ce titre permet d’obtenir du crédit en offrant les marchandises elles-mêmes en garantie. Comprendre son fonctionnement, ses conditions de création et les informations qu’il doit impérativement contenir est essentiel pour l’utiliser efficacement et en toute sécurité.
Définition et nature juridique du warrant de magasin général
Lorsqu’une entreprise dépose des marchandises dans un entrepôt agréé, appelé « magasin général », elle peut demander la délivrance d’un titre spécial en deux parties : le récépissé et le warrant. Le récépissé constate le dépôt et représente le droit de propriété sur les marchandises ; il permet de les vendre ou de les retirer. Le warrant, quant à lui, est la partie du titre qui peut être détachée et remise à un créancier (souvent une banque) pour garantir une dette, typiquement un prêt.
Ce mécanisme repose sur le dépôt préalable des biens dans un établissement spécialisé et contrôlé par l’administration, offrant ainsi une sécurité au créancier. C’est une forme de gage sur marchandises, mais avec des particularités importantes. Juridiquement, le warrant de magasin général combine deux aspects :
- Il fonctionne comme un effet de commerce, plus précisément un billet à ordre. Cela signifie qu’il constate une promesse de payer une somme d’argent à une date déterminée et qu’il peut circuler par endossement.
- Il incorpore une sûreté réelle, un gage sur les marchandises déposées. La remise du warrant au créancier vaut constitution de ce gage.
Cette double nature lui confère un régime juridique propre, principalement défini aux articles L. 522-24 et suivants, et R. 522-20 et suivants du Code de commerce. Ces textes trouvent leur origine dans des législations anciennes (notamment une loi de 1858 et une ordonnance de 1945) mais restent pertinents. Il faut distinguer ce warrant « classique » d’autres mécanismes portant un nom similaire, comme le warrant financier (qui est un produit boursier) ou le warrant agricole (qui suit un régime spécifique). Notons aussi que d’autres formes de warrants, comme le warrant hôtelier ou pétrolier, ont été abrogées en 2021 (par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021) car jugées désuètes.
Conditions de création : qui peut émettre un warrant et sur quels biens ?
La qualité du déposant
Seuls certains professionnels peuvent déposer des marchandises en magasin général et, par conséquent, solliciter l’émission d’un récépissé-warrant. L’article L. 522-1 du Code de commerce vise explicitement les industriels, commerçants, agriculteurs ou artisans. Cette liste semble limitative, excluant en principe les particuliers ou les professions libérales qui n’auraient pas l’une de ces qualités pour l’activité liée aux biens déposés.
Les biens éligibles au warrantage
Le même article L. 522-1 précise que le dépôt (et donc le warrant) ne peut porter que sur des matières premières, des marchandises, des denrées ou des produits fabriqués. Il s’agit donc de biens mobiliers corporels destinés en principe à être vendus ou transformés dans le cadre de l’activité professionnelle du déposant.
Le matériel d’exploitation de l’entreprise (machines, outillage, véhicules…) est en principe exclu du champ d’application du warrant de magasin général. La distinction peut parfois être délicate pour des biens susceptibles d’être soit vendus (marchandises), soit utilisés durablement (matériel). La jurisprudence a pu admettre le warrantage de tels objets s’ils étaient présentés comme des marchandises et que le créancier pouvait légitimement le croire.
Un point important concerne les marchandises fongibles, c’est-à-dire interchangeables (par exemple, des céréales d’une même qualité, du vin en vrac). L’article L. 522-24, alinéa 2, du Code de commerce permet au déposant de remplacer les marchandises initialement déposées par d’autres de même nature, espèce et qualité. Cette faculté de substitution est très utile pour ne pas bloquer la rotation des stocks. Cependant, elle n’est possible que si elle est expressément mentionnée à la fois sur le récépissé et sur le warrant. Sans cette mention, le gage ne porterait que sur les marchandises initialement déposées.
La question de la propriété et des contenants
Fait notable, il n’est pas exigé que le déposant soit propriétaire des marchandises pour pouvoir les warranter valablement. Le gage constitué par le warrant peut donc porter sur la chose d’autrui, ce qui est une dérogation au droit commun du gage. Bien entendu, cela peut créer des conflits, par exemple si le véritable propriétaire revendique les biens. Cependant, le porteur du warrant de bonne foi sera généralement protégé.
Une difficulté pratique concerne les contenants (sacs, fûts, bouteilles…) qui ne sont pas toujours la propriété du déposant mais peuvent être loués. Si le warrant ne mentionne pas cette location et que le porteur est de bonne foi, on considère que le gage porte à la fois sur le contenu et le contenant. Pour éviter les litiges, il est préférable que le titre précise la situation des emballages.
L’exigence d’un dépôt réel et d’un dessaisissement effectif
La validité du gage constitué par le warrant repose fondamentalement sur le dessaisissement du débiteur. Les marchandises doivent être matériellement détenues par le magasin général, agissant comme un tiers convenu. Le simple dépôt dans les locaux du magasin général ne suffit pas tant que le déposant conserve le récépissé-warrant complet. C’est la séparation du warrant et sa remise au créancier, suivie de sa transcription (que nous verrons dans un autre article), qui réalise le dessaisissement et rend le gage opposable.
Ce dessaisissement doit être réel. La jurisprudence a annulé des warrants lorsque les marchandises étaient stockées dans des locaux appartenant certes au magasin général, mais loués au déposant lui-même, lui laissant ainsi la maîtrise matérielle des biens. Inversement, un dépôt dans des locaux appartenant au débiteur mais loués au magasin général pourrait être valable, surtout si la location est rendue apparente, bien que cette pratique soit peu développée en France pour les magasins généraux en raison des contraintes d’agrément administratif des locaux.
Contenu du warrant : les mentions indispensables
Comme tout effet de commerce et acte constitutif de sûreté, le warrant doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires pour être valable en tant que tel. Ces mentions figurent pour partie au recto (communes avec le récépissé) et pour partie au verso (spécifiques à l’émission du warrant).
Les mentions au recto
Le recto du warrant doit reprendre les informations qui figurent sur le récépissé et qui identifient le dépôt. L’article L. 522-24 du Code de commerce exige :
- Les nom, profession et domicile du déposant.
- La nature des marchandises déposées, ainsi que toutes les indications propres à en établir l’identité (marque, numéro, etc.) et à en déterminer la valeur.
- La mention que les marchandises sont assurées contre l’incendie (une obligation pour les magasins généraux, précisée par l’article R. 522-20 du Code de commerce).
Bien que les textes ne le mentionnent pas explicitement, la pratique et la logique imposent d’y ajouter la date du dépôt et la signature de l’exploitant du magasin général. Pour permettre une évaluation correcte, le titre doit aussi indiquer les droits éventuels pesant sur les marchandises (droits de douane, contributions indirectes) et les frais de magasinage connus. La situation des contenants (location éventuelle) devrait aussi y figurer pour la clarté.
Les mentions au verso : l’acte d’émission
C’est au verso que se trouve la formule qui transforme le papier en un warrant engageant le débiteur et constituant le gage. La formule type commence souvent par « Bon pour transfert du présent warrant à l’ordre de M…, demeurant à…, pour garantie de la somme de… payable le… ». Au-delà de la dénomination « warrant », cinq mentions y sont essentielles, découlant de l’article L. 522-29 du Code de commerce et de la nature du titre :
- Le montant de la créance garantie : il doit indiquer la somme totale due au créancier, capital et intérêts jusqu’à l’échéance. La cause de la dette (prêt, vente à crédit…) n’a pas à être mentionnée.
- La date d’échéance : elle fixe le terme du remboursement. Un warrant à vue est difficilement concevable car il viderait le gage de son intérêt.
- Le nom, la profession et le domicile du créancier bénéficiaire : le warrant est obligatoirement nominatif ou à ordre. Il ne peut pas être au porteur, afin de permettre au détenteur du récépissé de savoir à qui proposer le paiement pour libérer les marchandises.
- La date d’émission : c’est la date du premier endossement, qui marque la création effective du warrant. Elle est importante pour vérifier la capacité du signataire à cette date et l’absence de procédure collective.
- La signature du débiteur (souscripteur) : bien qu’oubliée dans la liste légale, elle est évidemment indispensable pour l’engager. S’agissant de la signature du souscripteur d’un billet à ordre, elle doit en principe être manuscrite, la signature par griffe étant réservée aux endosseurs ultérieurs.
Sanctions du défaut de mention
Que se passe-t-il si une mention obligatoire manque ? La loi est muette sur ce point. En pratique, les magasins généraux utilisent des formules pré-imprimées et vérifient la régularité formelle avant la transcription, ce qui limite les risques. Néanmoins, si une mention essentielle du verso faisait défaut, le titre serait vraisemblablement nul en tant que warrant. Il pourrait éventuellement valoir comme simple promesse de payer si les conditions sont réunies, mais la question de la survie du gage est plus incertaine. L’omission d’une mention au recto (concernant le dépôt) entraînerait aussi la nullité du warrant, mais le titre pourrait peut-être conserver la valeur d’un billet à ordre ordinaire si les mentions du verso sont complètes. En cas de fausses indications (par exemple sur la quantité ou la qualité), les règles de droit commun (simulation, dol, erreur) s’appliqueraient, sans préjudice de la responsabilité éventuelle du magasin général s’il a commis une faute dans ses vérifications.
Les mentions facultatives possibles
Comme sur d’autres effets de commerce, des clauses supplémentaires peuvent être ajoutées au warrant, à condition de ne pas être incompatibles avec sa nature.
- Clause « non à ordre » : Le warrant est naturellement transmissible par endossement. Le souscripteur peut cependant souhaiter en limiter la circulation en ajoutant la mention « non à ordre » ou équivalente. Le titre ne pourra alors être transmis que par une cession de créance classique (art. L. 511-8, al. 2 C.com), moins souple et privant le cessionnaire de la protection de l’inopposabilité des exceptions.
- Clause « sans frais » ou « retour sans frais » : Cette clause dispense le porteur de faire dresser protêt faute de paiement pour conserver ses recours contre les endosseurs. Sa validité sur un warrant est discutée en doctrine, et son intérêt pratique semble limité car la vente des marchandises (qui nécessite des formalités) est la première étape du recouvrement. Elle pourrait surtout jouer pour les recours cambiaires subsidiaires.
- Aval : Le paiement du warrant peut être garanti par un tiers qui s’engage comme avaliste. L’aval est donné sur le warrant lui-même (« bon pour aval… ») ou par acte séparé, conformément à l’article L. 511-21 du Code de commerce.
- Clause de substitution : Comme mentionné plus haut, elle est indispensable pour permettre le remplacement des marchandises fongibles déposées (art. L. 522-24 C.com). Sa rédaction doit être précise, souvent selon un modèle fourni par le règlement type des magasins généraux.
L’ère numérique : le warrant électronique
Face à la dématérialisation croissante des titres et des échanges, le législateur a récemment ouvert la voie au warrant électronique. La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024, visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (dite loi « Attractivité »), a créé une nouvelle catégorie de « titres transférables » pouvant exister sous forme électronique.
L’article 14 de cette loi définit le titre transférable comme un « écrit qui représente un bien ou un droit et qui donne à son porteur le droit de demander l’exécution de l’obligation qui y est spécifiée ainsi que celui de transférer ce droit ». L’article 17 précise que le récépissé et le warrant de magasin général entrent dans cette catégorie.
Désormais, récépissé et warrant « peuvent être établis, signés, transférés, modifiés et conservés sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 15 et 16 de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 ». Ces conditions visent à garantir la fiabilité du procédé électronique utilisé, notamment pour l’identification des parties et l’intégrité du titre. Le registre à souches tenu par le magasin général pour enregistrer les émissions et transcriptions (art. L. 522-25 et L. 522-27 C.com) doit également être tenu sous forme électronique selon des modalités fiables qui seront précisées par décret en Conseil d’État (nouvel article L. 522-27-1 du Code de commerce).
Une règle importante est posée par ce nouvel article L. 522-27-1 : il ne peut y avoir de mixité des supports pour un même dépôt. Si le récépissé est électronique, le warrant doit l’être aussi. Inversement, un warrant électronique ne peut être délivré si le récépissé correspondant est sur support papier. Cette innovation devrait simplifier et accélérer l’utilisation des warrants, mais nécessitera une adaptation des pratiques des magasins généraux et des opérateurs financiers.
La création d’un warrant obéit à des règles précises. Pour sécuriser vos opérations de financement sur stock, notre cabinet peut vous assister dans la mise en place et la vérification de ces titres. Contactez-nous pour une analyse de votre situation.
Sources
- Code de commerce, notamment articles L. 522-1, L. 522-24 à L. 522-34, L. 511-8, L. 511-12, L. 511-21, L. 622-7, L. 622-30, R. 522-20 à R. 522-24.
- Loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (articles 14 à 17).
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.
- Ordonnance n° 45-1744 du 6 août 1945 relative aux magasins généraux (codifiée).
- Décret n° 45-1754 du 6 août 1945 portant règlement d’administration publique pour l’application de l’ordonnance relative aux magasins généraux (codifié).