La tierce opposition constitue une voie de recours extraordinaire aux ramifications complexes. Ouverte largement par l’article 585 du Code de procédure civile, elle s’adapte pourtant à la singularité de chaque matière juridique. Cette adaptation est nécessaire. Les enjeux diffèrent selon qu’on parle d’état des personnes, de procédures collectives ou de divorce.
1. L’adaptation de la tierce opposition à diverses matières juridiques
Le principe général est simple : « tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n’en dispose autrement » (art. 585 CPC). Cette ouverture libérale se heurte cependant aux particularités de certains contentieux.
La tierce opposition varie dans ses conditions d’exercice selon les domaines du droit. Le Code civil pour l’état des personnes, le Code de commerce pour les procédures collectives, et diverses dispositions spéciales modulent son application.
Une tension existe entre protection des tiers et sécurité juridique. Elle explique pourquoi la tierce opposition s’adapte à chaque matière, parfois en élargissant ses conditions, d’autres fois en les restreignant drastiquement.
2. La tierce opposition en matière d’état des personnes
La filiation : une ouverture particulière
En matière de filiation, l’article 324 du Code civil étend significativement l’ouverture de la tierce opposition. Cette disposition indique que « les jugements rendus en matière de filiation sont opposables aux personnes qui n’y ont point été parties. Celles-ci ont le droit d’y former tierce opposition dans le délai mentionné à l’article 321 si l’action leur était ouverte« .
Cette extension déroge aux règles habituelles. Elle permet à des personnes n’ayant pas été parties à l’instance d’attaquer le jugement. Une condition subsiste toutefois : l’action doit leur être ouverte. Cette condition renvoie aux règles d’action attitrée en matière de filiation.
L’adoption : restriction aux cas de dol ou fraude
En matière d’adoption, l’article 353-2 du Code civil restreint la tierce opposition aux cas de dol ou fraude. La jurisprudence confirme que « la tierce opposition à l’encontre d’un jugement d’adoption est recevable en cas de dol ou de fraude imputable aux adoptants » (Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-19.100).
Cette limitation vise à protéger l’adoption prononcée. La stabilité de l’état de l’enfant prime sur l’intérêt des tiers. Seuls les comportements frauduleux justifient l’ouverture de cette voie de recours.
La nationalité : une voie expressément ouverte
L’article 29-5, alinéa 2 du Code civil prévoit que les jugements rendus en matière de nationalité sont susceptibles de tierce opposition. Cette disposition spéciale confirme l’ouverture de cette voie de recours dans une matière pourtant d’ordre public.
3. La tierce opposition en procédures collectives
Des dispositions spéciales du Code de commerce
Le droit des entreprises en difficulté établit un régime particulier de tierce opposition. Les articles L. 661-2 et L. 661-3 du Code de commerce ouvrent cette voie contre:
- Les décisions d’ouverture des procédures
- Les décisions d’extension
- Les jugements arrêtant ou modifiant les plans
Ces textes limitent l’accès à cette voie de recours à certaines personnes précisément identifiées. Par exemple, seuls « le débiteur, le créancier poursuivant et le ministère public » peuvent former tierce opposition contre une décision d’ouverture.
Un formalisme strict et des délais réduits
L’article R. 661-2 du Code de commerce impose un formalisme particulier. La tierce opposition doit être formée par déclaration au greffe dans un délai de dix jours à compter du prononcé de la décision ou de sa publication.
Ce délai raccourci et ce formalisme strict s’expliquent par la nécessité de sécuriser rapidement les procédures collectives. La Cour de cassation applique strictement ces règles, jugeant irrecevable une tierce opposition formée par LRAR (Com. 17 févr. 2021, n° 19-16.470).
La recevabilité conditionnée aux moyens propres du créancier
La jurisprudence a précisé que le créancier n’est recevable à former tierce opposition au jugement arrêtant un plan que dans deux cas :
- Si le jugement a été rendu en fraude de ses droits
- S’il invoque un moyen qui lui est propre
La notion de « moyen propre » a été précisée par la Cour de cassation : il s’agit d’un moyen « tenant à la situation personnelle d’un créancier » et qui « ne peut tendre à la contestation d’un effet inhérent à la procédure, ni être commun à tous les créanciers » (Com. 16 juin 2021, n° 19-25.153).
4. Autres applications notables
Divorce et conséquences patrimoniales
En matière de divorce, la jurisprudence ferme généralement la voie de la tierce opposition. L’action en divorce étant réservée aux époux, les tiers n’ont pas qualité pour agir.
Une exception existe cependant. La Cour de cassation admet la tierce opposition contre les conséquences patrimoniales du jugement de divorce (Civ. 1re, 5 nov. 2008, n° 06-21.256). Cette solution protège les créanciers dont les droits pourraient être affectés par le règlement patrimonial entre époux.
Arbitrage et exequatur
En matière d’arbitrage, l’article 1501 du Code de procédure civile prévoit que la sentence arbitrale peut être frappée de tierce opposition devant la juridiction qui eût été compétente à défaut d’arbitrage.
Une évolution jurisprudentielle importante concerne la tierce opposition contre l’arrêt accordant l’exequatur à une sentence arbitrale étrangère. La Cour de cassation admet désormais cette possibilité, précisant qu’il s’agit « d’une voie de recours de droit commun à l’encontre non de la sentence arbitrale, mais de la seule décision d’exequatur » (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996).
Cas particuliers
D’autres applications spécifiques méritent d’être mentionnées :
- Contestation des honoraires d’avocats : la tierce opposition est fermée, les dispositions du décret n° 91-1197 réservant cette action aux avocats et à leurs clients.
- Cautionnement solidaire : par un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a jugé que la caution solidaire peut former tierce opposition à l’encontre d’une sentence déterminant le montant de la dette du débiteur principal (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644).
- Associés de sociétés : la jurisprudence admet désormais que l’associé forme tierce opposition contre un jugement auquel sa société a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre, quelle que soit la forme sociale.
Ces adaptations multiples témoignent de la souplesse de la tierce opposition. La matière exige cependant une analyse fine des textes spéciaux et de la jurisprudence. L’intervention d’un avocat spécialisé s’avère indispensable pour naviguer dans ces méandres procéduraux et évaluer l’opportunité d’exercer cette voie de recours. N’hésitez pas à consulter notre cabinet pour évaluer vos chances de succès si vous estimez qu’une décision de justice porte atteinte à vos droits alors que vous n’y étiez pas partie.
Sources
- Code de procédure civile, articles 582 à 592, 1501
- Code civil, articles 29-5, 324, 353-2
- Code de commerce, articles L. 661-2, L. 661-3, R. 661-2
- Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-19.100
- Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996
- Civ. 1re, 5 nov. 2008, n° 06-21.256
- Com. 16 juin 2021, n° 19-25.153
- Com. 17 févr. 2021, n° 19-16.470
- Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644
- DEHARO G., « Tierce opposition », Répertoire de procédure civile, Dalloz, 2023