Le principe de l’effet suspensif des voies de recours ordinaires constitue l’un des piliers du droit judiciaire privé français. Pourtant, l’exécution provisoire y déroge, permettant l’exécution immédiate d’une décision malgré l’exercice d’un appel ou d’une opposition. Cette dérogation n’est pas anodine : elle modifie considérablement l’équilibre des forces entre les parties au litige.
1. L’exécution provisoire de droit : quand la loi s’impose au juge
L’exécution provisoire de droit se caractérise par son automaticité. Elle s’applique sans que le juge ne puisse exercer un pouvoir d’appréciation.
Dans l’ancien régime
Avant le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, l’exécution provisoire de droit s’appliquait dans plusieurs cas spécifiques, dont :
- Les ordonnances de référé (article 489, alinéa 1er ancien du Code de procédure civile)
- Les décisions qui ordonnent des mesures provisoires pour le cours de l’instance
- Les décisions qui ordonnent des mesures conservatoires
- Les ordonnances du juge de la mise en état accordant une provision au créancier
L’exemple le plus caractéristique était celui des ordonnances de référé. La jurisprudence avait clarifié que « l’ordonnance de référé bénéficie de plein droit de l’exécution provisoire dans toutes ses dispositions » (Civ. 2e, 24 juin 1998, n°96-22.851).
Dans le nouveau régime
Depuis le 1er janvier 2020, le législateur a opéré un changement radical. L’article 514 du Code de procédure civile prévoit désormais que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. »
Le principe est donc inversé : l’exécution provisoire devient la règle et non plus l’exception. Les conséquences pratiques de cette exécution immédiate pendant l’appel ou l’opposition sont cruciales à analyser.
Le juge peut toutefois écarter l’exécution provisoire de droit s’il « estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire » (article 514-1 du CPC). Mais cette faculté est exclue pour certains types de décisions :
- Les ordonnances de référé
- Les décisions du juge de la mise en état accordant une provision
- Les mesures provisoires ou conservatoires
2. L’exécution provisoire facultative : le pouvoir d’appréciation du juge
Contrairement à l’exécution provisoire de droit, l’exécution provisoire facultative relève de l’appréciation du juge.
Conditions requises
L’article 515 du Code de procédure civile dispose que le juge peut ordonner l’exécution provisoire :
- À la demande d’une partie ou d’office
- Pour tout ou partie de la condamnation
Cette exécution provisoire est soumise à plusieurs conditions :
- Elle ne doit pas être interdite par la loi Par exemple, certaines décisions ne peuvent être assorties de l’exécution provisoire, comme les décisions relatives à la nationalité (article 1045 du CPC).
- Elle doit être compatible avec la nature de l’affaire La jurisprudence a développé cette notion d’incompatibilité, notamment en matière d’état des personnes. Ainsi, « l’exécution provisoire d’une condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction est incompatible avec le droit au maintien dans les lieux du locataire bénéficiaire d’un bail commercial » (Civ. 3e, 5 avril 2006, n°04-12.598).
- Elle doit être nécessaire Introduite par le décret n°73-1122 du 17 décembre 1973, cette condition a remplacé l’ancienne condition d’urgence. Elle est appréciée souverainement par le juge.
3. Domaine d’application selon le régime applicable
Dans l’ancien régime
L’exécution provisoire facultative pouvait être ordonnée « hors les cas où elle est de droit » et à condition « qu’elle ne soit pas interdite par la loi. »
Dans le nouveau régime
L’article 515 du CPC, modifié par le décret du 11 décembre 2019, prévoit que le juge peut ordonner l’exécution provisoire « lorsqu’il est prévu par la loi que l’exécution provisoire est facultative. »
Cette nouvelle formulation soulève des questions. Faut-il une prévision explicite de la loi ? Si oui, le champ d’application de l’exécution provisoire facultative serait considérablement réduit, pratiquement limité aux décisions prud’homales (l’article R. 1454-28 du Code du travail prévoit expressément cette faculté).
Mais cette interprétation restrictive ne semble pas correspondre à la volonté du législateur. Plus vraisemblablement, l’exécution provisoire facultative peut être ordonnée dès lors qu’elle n’est pas de droit et qu’elle n’est pas interdite par la loi.
4. Juge compétent pour accorder l’exécution provisoire facultative
Auteur de la décision
Le juge qui rend la décision peut ordonner l’exécution provisoire, d’office ou à la demande d’une partie.
L’article 516 du CPC pose une règle importante : l’exécution provisoire ne peut être ordonnée que par la décision qu’elle est destinée à rendre exécutoire. C’est la règle de la contemporanéité.
En pratique, cela signifie que le juge ne peut pas ordonner l’exécution provisoire après avoir rendu sa décision. Une fois dessaisi, il perd cette faculté.
Juge d’appel
En cas d’omission ou de refus en première instance, l’exécution provisoire peut être accordée par :
- Le premier président de la cour d’appel
- Le conseiller de la mise en état, dès lors qu’il est saisi
Toutefois, selon l’article 525 du CPC (devenu l’article 517-2), le juge d’appel ne peut accorder l’exécution provisoire refusée en première instance qu’en cas d’urgence.
Cette condition d’urgence limite considérablement le pouvoir de réformation du juge d’appel en la matière.
L’expérience montre que le choix d’assortir ou non une décision de l’exécution provisoire peut avoir des conséquences déterminantes sur l’issue du litige. Une stratégie contentieuse efficace doit intégrer cette dimension dès le début de la procédure.
Dans un contexte où le principe même de l’effet suspensif des voies de recours se trouve de plus en plus remis en question, il devient essentiel de maîtriser les mécanismes de l’exécution provisoire, tant pour la défense que pour la demande.
Le cabinet reste à votre disposition pour évaluer l’opportunité de solliciter ou de contester l’exécution provisoire dans votre dossier. N’hésitez pas à prendre contact pour un premier entretien d’analyse de votre situation juridique.
Sources
- Code de procédure civile, articles 514 à 526
- Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile
- Civ. 2e, 24 juin 1998, n°96-22.851, Bull. civ. II, n°222
- Civ. 3e, 5 avril 2006, n°04-12.598, Bull. civ. III, n°92
- Ph. HOONAKKER, L’effet suspensif des voies de recours dans le nouveau code de procédure civile : une chimère ? Contribution à l’étude de l’exécution provisoire, thèse, Strasbourg, 1988
- HOONAKKER, L’arrêt de l’exécution provisoire de droit enfin consacré par le législateur !, D. 2004. Chron. 2314
- Code du travail, article R. 1454-28