L’achat d’un bien immobilier représente une étape importante, souvent financée par un crédit. Si le crédit immobilier classique est bien connu, certaines situations sortent de l’ordinaire et nécessitent une vigilance accrue. Qu’il s’agisse d’emprunter dans une monnaie étrangère, de coordonner plusieurs prêts ou de comprendre les subtilités des conditions suspensives, ces cas particuliers comportent des enjeux juridiques spécifiques. Une méconnaissance de ces règles peut entraîner des difficultés financières ou des litiges complexes. Cet article vise à éclaircir ces points pour vous aider à naviguer ces situations avec plus de sérénité.
Les prêts immobiliers en devise étrangère : un risque encadré
Contracter un prêt immobilier dans une monnaie autre que l’euro (franc suisse, dollar, etc.) peut sembler attractif lorsque les taux de change paraissent favorables. Cependant, cette option comporte des risques non négligeables liés aux fluctuations monétaires qui peuvent alourdir considérablement le coût total du crédit et les mensualités de remboursement au fil du temps.
Le régime avant la réforme de 2016
Avant l’entrée en vigueur de la réforme du crédit immobilier et vos droits issue de l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016, les prêts en devises n’étaient pas spécifiquement réglementés par le Code de la consommation. Cette absence de cadre dédié a conduit à des contentieux importants, notamment concernant des prêts libellés en francs suisses dont le remboursement en euros devenait exorbitant suite à une dépréciation de l’euro. Les emprunteurs se retrouvaient souvent insuffisamment informés des risques de change qu’ils supportaient intégralement. Si vous avez souscrit un prêt avant cette période, vous pouvez consulter notre article sur les crédits immobiliers avant la réforme de 2016, notamment pour les prêts en devises.
L’encadrement strict depuis 2016
Face aux difficultés rencontrées par de nombreux emprunteurs, la législation a été renforcée. L’article L. 313-64 du Code de la consommation pose désormais des conditions strictes pour la souscription de tels prêts :
- Conditions de ressources ou de patrimoine : L’emprunteur ne peut contracter un prêt libellé dans une devise étrangère que s’il déclare percevoir la majeure partie de ses revenus ou détenir un patrimoine significatif (au moins 20% de l’emprunt) dans cette même devise au moment de la signature. Cette mesure vise à s’assurer que l’emprunteur dispose d’une capacité naturelle à faire face aux remboursements dans la devise concernée, limitant ainsi son exposition au risque de change.
- Obligation d’information renforcée : Le prêteur a une obligation d’information et de mise en garde accrue. La Fiche d’Information Standardisée Européenne (FISE) doit notamment contenir un exemple illustrant l’impact d’une fluctuation défavorable de 20% du taux de change sur le coût du crédit (article R. 313-4 du Code de la consommation). De plus, le prêteur doit avertir régulièrement l’emprunteur si la valeur de sa dette augmente de plus de 20% en raison des variations de change (article R. 313-32 du Code de la consommation).
- Transparence sur le fonctionnement : La jurisprudence récente insiste sur la nécessité pour la banque de fournir des informations suffisantes et exactes permettant à l’emprunteur de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier et d’évaluer les conséquences économiques potentielles sur toute la durée du contrat (Civ. 1re, 20 avril 2022, n° 19-11.599). Un manquement à cette obligation peut conduire à considérer certaines clauses comme abusives.
Ces mesures visent à réserver les prêts en devises aux emprunteurs les moins vulnérables au risque de change et à garantir une meilleure information préalable.
L’interdépendance entre le prêt et le contrat principal
Contrairement au droit commun où les contrats sont généralement indépendants, le Code de la consommation établit un lien juridique fort entre le contrat de prêt immobilier et l’opération qu’il finance (achat, construction…).
La condition suspensive d’obtention du prêt
L’article L. 313-41 du Code de la consommation prévoit que l’acte d’acquisition (promesse de vente, contrat de construction…) est automatiquement conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts nécessaires à son financement. Si l’emprunteur n’obtient pas son crédit dans les conditions prévues, l’acte principal est annulé sans pénalité, et les sommes éventuellement versées d’avance doivent lui être intégralement remboursées. La durée de validité de cette condition ne peut être inférieure à un mois.
La condition résolutoire de non-réalisation de l’opération
Inversement, l’article L. 313-36 du Code de la consommation stipule que l’acceptation de l’offre de prêt est faite sous la condition résolutoire que l’opération immobilière principale (la vente, la construction…) ne soit pas conclue dans un délai de quatre mois. Si l’opération immobilière n’aboutit pas dans ce délai (qui peut être allongé par accord des parties), le contrat de prêt est automatiquement résolu, libérant l’emprunteur de ses obligations de remboursement (hors frais éventuels).
Conséquences en cours d’exécution
Cette interdépendance perdure même après la conclusion des contrats. La Cour de cassation a confirmé que la nullité ou la résolution du contrat principal (par exemple, l’annulation de la vente immobilière) entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt qui lui était lié (Civ. 1re, 16 décembre 1992, n° 90-18.151). L’emprunteur devra alors restituer le capital prêté, mais sera libéré des intérêts futurs.
La condition suspensive d’obtention du prêt : points de vigilance
Bien que protectrice, la condition suspensive d’obtention du prêt est une source fréquente de litiges, notamment sur le moment où elle est considérée comme réalisée ou défaillie.
La réalisation de la condition
La jurisprudence considère que la condition est réputée réalisée dès qu’un établissement de crédit présente à l’emprunteur une offre de prêt régulière et conforme aux caractéristiques définies dans l’avant-contrat (montant, durée, taux maximum…) (Civ. 1re, 9 décembre 1992, n° 91-12.498). L’acceptation formelle de l’offre par l’emprunteur n’est pas nécessaire pour considérer la condition comme accomplie vis-à-vis du vendeur ou du promoteur.
Le devoir de loyauté de l’emprunteur
L’emprunteur ne doit pas faire échouer volontairement la condition. Il a l’obligation de solliciter un prêt conforme aux stipulations de l’avant-contrat et d’accomplir les démarches nécessaires avec diligence. S’il empêche l’obtention du prêt par sa faute ou sa passivité (demande non conforme, absence de démarches, fourniture de renseignements inexacts…), la condition sera réputée accomplie en application de l’article 1304-3 du Code civil, et il pourra être tenu de verser l’indemnité d’immobilisation ou la clause pénale prévue (Civ. 1re, 13 novembre 1997, n° 95-18.276).
Les clauses contractuelles encadrant la condition
Les avant-contrats contiennent souvent des clauses précisant les obligations de l’acquéreur concernant la recherche de financement. Si une clause peut valablement imposer de justifier des démarches entreprises, elle ne peut cependant pas imposer des délais excessivement courts ou des obligations plus strictes que la loi. La Cour de cassation a jugé illicites les clauses obligeant l’acquéreur à déposer son dossier de prêt dans un délai trop bref (par exemple, 15 jours) car elles portent atteinte au caractère d’ordre public de la protection légale (Civ. 3e, 6 juillet 2005, n° 04-13.381).
La pluralité de prêts pour une même opération
Il est fréquent qu’un projet immobilier soit financé par plusieurs prêts (prêt principal, prêt à taux zéro, prêt Action Logement…). L’article L. 313-37 du Code de la consommation instaure une interdépendance entre ces différents crédits.
Lorsque l’emprunteur informe ses prêteurs qu’il recourt à plusieurs prêts, chaque contrat de prêt est conclu sous la condition suspensive de l’octroi effectif des autres. Cette règle ne s’applique toutefois qu’aux prêts dont le montant individuel représente plus de 10% du financement total. Si l’un des prêts principaux (dépassant ce seuil de 10%) n’est pas accordé, les autres prêts deviennent automatiquement caducs, même s’ils avaient été individuellement acceptés. Cela évite à l’emprunteur de se retrouver engagé par des prêts partiels insuffisants pour réaliser son projet.
Les clauses pénales et indemnités
Le Code de la consommation encadre également les pénalités applicables en cas de défaillance de l’emprunteur ou de remboursement anticipé.
L’indemnité de remboursement anticipé (IRA)
L’emprunteur a le droit de rembourser son prêt par anticipation, en totalité ou en partie (article L. 313-47 du Code de la consommation). Le prêteur peut toutefois prévoir une indemnité dans le contrat. Cette indemnité est plafonnée par l’article R. 313-25 : elle ne peut excéder ni 3% du capital restant dû avant remboursement, ni l’équivalent de six mois d’intérêts sur le capital remboursé, calculés au taux moyen du prêt. C’est le montant le plus faible des deux qui s’applique. Aucune indemnité n’est due dans certains cas, notamment en cas de vente du bien suite à une mutation professionnelle, un décès ou une perte d’emploi.
La révision judiciaire
Bien que l’article L. 313-47 mentionne la possibilité pour le juge de modérer l’indemnité en application de l’article 1231-5 du Code civil (relatif aux clauses pénales manifestement excessives), la jurisprudence applique rarement cette faculté, considérant que les plafonds légaux offrent déjà une protection suffisante.
Les situations particulières en matière de crédit immobilier, qu’il s’agisse de prêts en devises, de l’interaction complexe entre les contrats ou de la gestion de plusieurs financements, introduisent des risques et des règles spécifiques. Une bonne compréhension de ce cadre légal est essentielle pour sécuriser votre projet. Face à la complexité de ces montages, nos avocats vous conseillent en crédit immobilier pour vérifier la conformité des offres et défendre vos droits en cas de litige.
Sources
- Code de la consommation : articles L. 313-36, L. 313-37, L. 313-41, L. 313-47, L. 313-64, R. 313-25, R. 313-32
- Code civil : article 1304-3, article 1231-5
- Ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation
- Cour de cassation, 1ère chambre civile, 9 décembre 1992, n° 91-12.498
- Cour de cassation, 1ère chambre civile, 16 décembre 1992, n° 90-18.151
- Cour de cassation, 1ère chambre civile, 13 novembre 1997, n° 95-18.276
- Cour de cassation, 3ème chambre civile, 6 juillet 2005, n° 04-13.381
- Cour de cassation, 1ère chambre civile, 20 avril 2022, n° 19-11.599 et n° 20-16.316