L’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 a profondément modifié le paysage juridique du crédit immobilier en France, transposant la directive européenne 2014/17/UE. Entrée en vigueur pour l’essentiel le 1er juillet 2016, cette réforme a renforcé la protection des emprunteurs, notamment en matière d’information précontractuelle et d’évaluation de la solvabilité. Cependant, une question demeure pour les nombreux contrats de prêt immobilier conclus avant cette date charnière : quel régime juridique continue de leur être applicable ? Ces crédits, souvent souscrits pour des durées longues (15, 20 ans, voire plus), sont encore en cours de remboursement pour de nombreux ménages. Comprendre les règles qui les gouvernent reste essentiel pour appréhender les droits et obligations des parties, notamment en cas de renégociation, de remboursement anticipé ou de litige. Cet article se propose d’éclaircir la survie de l’ancien droit pour ces contrats spécifiques.
Le principe : l’application de l’ancien droit de la consommation
Le principe fondamental en matière d’application de la loi dans le temps est celui de la non-rétroactivité des lois nouvelles, sauf dispositions contraires expresses. L’ordonnance du 25 mars 2016 et la loi de ratification du 21 février 2017 n’ont pas prévu d’application rétroactive pour l’ensemble de leurs dispositions concernant la formation et les conditions des crédits immobiliers.
Par conséquent, les contrats de crédit immobilier conclus avant le 1er juillet 2016 restent soumis aux dispositions légales qui étaient en vigueur au moment de leur signature. Il s’agit principalement des anciens articles L.312-1 à L.312-36 et R.312-1 à R.312-4 du Code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à la réforme. Ces articles constituaient le cœur de la législation dite « Scrivener II » (issue de la loi n°79-596 du 13 juillet 1979), spécifiquement dédiée à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier.
Il est donc indispensable, pour analyser un contrat de crédit immobilier antérieur à la réforme, de se référer à ces anciennes dispositions. Le nouveau régime, issu de l’ordonnance de 2016 (codifié aux articles L.313-1 et suivants du Code de la consommation), ne s’applique pas à la formation ou aux conditions initiales de ces contrats « anciens ». Pour une vue d’ensemble des règles actuelles, vous pouvez consulter notre guide complet sur le crédit immobilier post-réforme 2016.
Cette application de l’ancien droit concerne notamment :
- Le champ d’application du régime protecteur (qui était défini par l’ancien article L.312-2).
- Les règles relatives à la publicité (anciens articles L.312-4 à L.312-6).
- Le formalisme de l’offre préalable de crédit (ancien article L.312-8).
- Le délai de réflexion obligatoire de dix jours avant l’acceptation (ancien article L.312-10).
- Les règles d’interdépendance entre le contrat de prêt et l’opération immobilière financée (anciens articles L.312-15 à L.312-20).
- Les conditions du remboursement anticipé et le calcul de l’indemnité (ancien article L.312-21).
- Certaines sanctions civiles en cas de manquement du prêteur (ancien article L.312-33).
Comprendre le cadre juridique du crédit immobilier avant 2016 est donc une nécessité pour tout emprunteur dont le contrat date de cette période.
Points spécifiques du régime antérieur qui demeurent applicables
Plusieurs aspects caractéristiques du régime antérieur à 2016 continuent de produire leurs effets sur les contrats conclus avant cette date. Il est utile d’en rappeler les principaux.
Le formalisme de l’offre préalable
L’ancien article L.312-7 du Code de la consommation imposait au prêteur de formuler par écrit une offre adressée gratuitement par voie postale à l’emprunteur et aux éventuelles cautions personnes physiques. La jurisprudence considérait cet envoi postal comme une formalité substantielle (Cass. 1re civ., 9 déc. 1997, n°95-15.494). Une offre remise en main propre ou envoyée par un autre moyen (fax, email simple) était jugée irrégulière.
L’ancien article L.312-8 détaillait les mentions obligatoires de cette offre : identité des parties, nature et objet du prêt, modalités de mise à disposition des fonds, montant, coût total, TEG (Taux Effectif Global), assurances et sûretés exigées, conditions de transfert éventuel, et rappel du délai de réflexion.
Une particularité concernait l’échéancier d’amortissement. Pour les prêts à taux fixe, la jurisprudence exigeait un échéancier détaillé ventilant capital et intérêts pour chaque échéance (Cass. 1re civ., 16 mars 1994, n°92-12.239). La pratique des échéanciers simplifiés (par exemple, pour 10 000 francs empruntés) avait été vivement contestée avant d’être temporairement validée a posteriori par la loi du 12 avril 1996 pour les contrats antérieurs, une validation elle-même critiquée au regard du droit à un procès équitable. Pour les prêts à taux variable, un échéancier détaillé n’était pas exigé au-delà de la première période à taux connu.
Le non-respect de ce formalisme (mentions manquantes ou erronées, absence d’envoi postal) était principalement sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts pour le prêteur, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge (ancien article L.312-33). La nullité du contrat, un temps admise, avait été écartée par la Cour de cassation au profit de la seule déchéance (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n°97-18.467).
Le délai de réflexion et l’acceptation
Contrairement au crédit à la consommation, l’emprunteur immobilier ne disposait pas d’un droit de rétractation mais d’un délai de réflexion incompressible de dix jours francs à compter de la réception de l’offre (ancien article L.312-10). L’acceptation ne pouvait intervenir avant l’expiration de ce délai. Toute acceptation prématurée était nulle et ne pouvait être confirmée ; il fallait renouveler l’acceptation après le délai (Cass. 1re civ., 18 janv. 2000, n°97-20.750).
L’acceptation devait, elle aussi, être donnée par lettre, le cachet de la Poste faisant foi (ancien article L.312-10, al. 2). Cette exigence, parallèle à celle de l’envoi postal de l’offre, était également considérée comme une formalité substantielle. Son non-respect entraînait la nullité de l’acceptation et donc du contrat de prêt lui-même (Cass. 1re civ., 25 nov. 2010, n°09-14.336).
Les conditions suspensives et l’interdépendance des contrats
Le régime antérieur organisait une forte interdépendance entre le contrat de prêt et l’acte d’acquisition immobilière (ou les travaux financés).
L’ancien article L.312-15 imposait à l’acte principal (promesse de vente, contrat préliminaire…) d’indiquer si le prix serait payé à l’aide d’un ou plusieurs prêts relevant de la loi Scrivener II. En cas de recours au prêt, l’acte était obligatoirement conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts (ancien article L.312-16). La durée de validité de cette condition ne pouvait être inférieure à un mois.
La jurisprudence considérait cette condition comme réalisée dès la présentation par un organisme de crédit d’une offre régulière correspondant aux caractéristiques du financement stipulées dans l’avant-contrat (Cass. 1re civ., 9 déc. 1992, n°91-12.498). L’acceptation de l’offre par l’emprunteur n’était pas nécessaire pour que la condition soit réputée accomplie vis-à-vis du vendeur. Toutefois, l’emprunteur devait avoir effectué des démarches loyales pour obtenir le prêt ; à défaut, la condition était réputée accomplie par sa faute (application de l’ancien article 1178 du Code civil).
Inversement, l’offre de prêt était acceptée sous la condition résolutoire de la non-conclusion du contrat principal dans un délai de quatre mois (ancien article L.312-12). Si la vente n’était pas réalisée dans ce délai (par exemple, refus du vendeur, non-levée d’option), le contrat de prêt était automatiquement résolu.
Les sanctions spécifiques
Outre la déchéance du droit aux intérêts pour irrégularité de l’offre, le régime antérieur prévoyait des sanctions spécifiques, notamment :
- La nullité de l’acceptation (et donc du contrat) en cas de non-respect du délai de réflexion de 10 jours ou de l’envoi postal de l’acceptation.
- Le remboursement immédiat et intégral des sommes versées d’avance par l’acquéreur si la condition suspensive d’obtention de prêt défaillait (ancien article L.312-16, al. 2), avec des intérêts majorés en cas de retard du vendeur (ancien article L.312-17, al. 3).
- La possibilité pour le tribunal de suspendre l’exécution du contrat de prêt en cas de litige affectant l’exécution des travaux financés (ancien article L.312-19), mais la jurisprudence en avait limité la portée à la période précédant la réception des travaux (Cass. 1re civ., 26 mai 1994, n°92-12.524).
Les évolutions jurisprudentielles relatives à ces anciens contrats
Même si le cadre légal applicable aux contrats conclus avant le 1er juillet 2016 est figé, l’interprétation de ces anciennes dispositions par les tribunaux a continué d’évoluer, y compris après la réforme. Ces évolutions peuvent avoir un impact sur les litiges concernant ces crédits.
La prescription des actions
La question de la prescription des actions relatives aux crédits immobiliers antérieurs à 2016 a connu des revirements notables.
- Action du prêteur en paiement : Pendant longtemps, la jurisprudence appliquait la prescription quinquennale de droit commun (ancien article 2277 du Code civil puis article 2224) ou la prescription commerciale de cinq ans (article L.110-4 du Code de commerce). Cependant, par une série d’arrêts remarqués à partir de 2012-2014, la Cour de cassation a jugé que l’action en paiement d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur relevait de la prescription biennale de l’article L. 218-2 (ancien L. 137-2) du Code de la consommation (ex: Cass. 1re civ., 10 juill. 2014, n°13-15.511). Le point de départ de ce délai a également fluctué : initialement fixé au premier incident de paiement non régularisé, il a ensuite été considéré comme courant à compter de l’échéance de chaque mensualité impayée, et pour le capital restant dû, à compter de la déchéance du terme (Cass. 1re civ., 11 févr. 2016, série d’arrêts). Cette dernière solution, favorable au prêteur qui maîtrisait ainsi le point de départ pour le capital, semble toutefois remise en cause par des décisions plus récentes qui fixent le départ du délai à l’expiration du délai imparti par la mise en demeure précédant la déchéance (Cass. 1re civ., 13 mars 2024, n°22-24.170).
- Action de l’emprunteur en nullité ou déchéance : L’action en nullité du contrat (par exemple pour non-respect du délai de réflexion) était soumise à la prescription quinquennale de droit commun (ancien article 1304 du Code civil, puis article 2224). L’action en déchéance du droit aux intérêts (pour irrégularité de l’offre) était, quant à elle, soumise à la prescription quinquennale de l’article L.110-4 du Code de commerce (Cass. 1re civ., 7 oct. 2020, n°18-23.576). Le point de départ était fixé au jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’irrégularité (souvent la date de conclusion du contrat si l’erreur était apparente dans l’offre). L’exception de nullité ou de déchéance était jugée perpétuelle si le contrat n’avait reçu aucun commencement d’exécution, mais soumise au même délai que l’action si l’exécution avait commencé.
Le contentieux du TEG (Taux Effectif Global)
L’irrégularité du TEG (absence, erreur de calcul, omission de frais) a généré un contentieux abondant sous l’empire de l’ancien droit. La sanction a évolué : initialement, la nullité de la stipulation d’intérêts (entraînant la substitution du taux légal au taux conventionnel) était appliquée. Puis, la jurisprudence s’est fixée sur la déchéance du droit aux intérêts (ancien article L.312-33) comme sanction unique, même en cas d’erreur de TEG (Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, n°09-67.930). L’ordonnance du 17 juillet 2019 a confirmé cette solution pour l’avenir, mais la Cour de cassation l’a appliquée rétroactivement aux contrats anciens encore en litige (Cass. 1re civ., 10 juin 2020, n°18-24.284). La déchéance peut être totale ou partielle, à l’appréciation du juge, en fonction notamment du préjudice subi par l’emprunteur. L’erreur doit dépasser une certaine marge (la première décimale après la virgule) pour être sanctionnée.
La capitalisation des intérêts (Anatocisme)
L’ancien article 1154 du Code civil (devenu 1343-2) autorise la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière, si le contrat ou une décision de justice le prévoit. Cependant, la jurisprudence a considéré que cette règle était incompatible avec les dispositions spécifiques du droit de la consommation limitant les sommes pouvant être réclamées à l’emprunteur défaillant (anciens articles L.311-30 à L.311-32 pour le crédit à la consommation, et L.312-22 et L.312-23 pour le crédit immobilier). Ainsi, la clause prévoyant la capitalisation des intérêts conventionnels en cas de déchéance du terme d’un crédit immobilier soumis à l’ancien droit était jugée illicite et inapplicable (Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n°11-14.605 ; Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n°20-23.617). Cette solution protège l’emprunteur contre une aggravation rapide de sa dette après la déchéance du terme.
L’articulation avec certaines nouvelles dispositions d’ordre public
Si le principe est l’application de la loi en vigueur au moment de la conclusion du contrat, certaines dispositions nouvelles peuvent néanmoins affecter les contrats anciens, notamment lorsqu’elles sont considérées comme des lois d’ordre public « impérieux » ou des lois interprétatives.
En matière de crédit immobilier, l’application de nouvelles règles aux contrats en cours reste exceptionnelle. La réforme de 2016 visait principalement à transposer une directive européenne et à moderniser le régime, sans volonté affichée de bouleverser les contrats existants par des mesures d’ordre public immédiates.
Toutefois, on peut noter quelques points :
- Procédure de surendettement : Les règles relatives au traitement du surendettement (Livre VII du Code de la consommation) sont d’application immédiate aux procédures ouvertes après leur entrée en vigueur, même si les dettes sont issues de contrats anciens. Ainsi, un emprunteur dont le crédit date d’avant 2016 peut bénéficier des mesures de traitement du surendettement actuelles (plan conventionnel, mesures imposées, effacement partiel, procédure de rétablissement personnel).
- Assurance emprunteur : Les lois successives visant à faciliter la résiliation et la substitution de l’assurance emprunteur (loi Hamon 2014, amendement Bourquin 2018, loi Lemoine 2022) ont prévu des modalités d’application spécifiques aux contrats en cours, permettant aux emprunteurs de contrats anciens de bénéficier de ces nouvelles facultés de résiliation (annuelle ou infra-annuelle) sous certaines conditions.
- Sanctions civiles (TEG) : Comme mentionné, la jurisprudence a appliqué la sanction de la déchéance du droit aux intérêts (issue de l’ordonnance de 2019) aux litiges en cours concernant des erreurs de TEG sur des contrats anciens, harmonisant ainsi le régime des sanctions.
En dehors de ces cas spécifiques, l’essentiel des règles gouvernant les droits et obligations nés des crédits immobiliers conclus avant le 1er juillet 2016 demeure régi par les anciens articles L.312-1 et suivants du Code de la consommation.
La complexité de l’articulation entre ancien et nouveau droit, ainsi que les évolutions jurisprudentielles constantes, soulignent l’importance d’une analyse juridique précise pour tout emprunteur confronté à des questions relatives à un crédit immobilier antérieur à la réforme de 2016.
Si vous avez souscrit un prêt immobilier avant le 1er juillet 2016 et que vous rencontrez des difficultés ou avez des interrogations sur vos droits (renégociation, remboursement anticipé, validité de certaines clauses, litige avec la banque), il est pertinent de faire examiner votre contrat. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, contactez notre cabinet d’avocats.
Sources
- Code de la consommation : anciens articles L.312-1 à L.312-36 et R.312-1 à R.312-4 (applicables aux contrats conclus avant le 1er juillet 2016)
- Code de la consommation : articles L.313-1 et suivants (applicables aux contrats conclus depuis le 1er juillet 2016)
- Code de la consommation : articles L.711-1 et suivants (relatifs au surendettement)
- Code civil : articles 1178 (ancien), 1304-3 (relatifs à la condition suspensive) ; article 1343-2 (ancien 1154, relatif à l’anatocisme)
- Loi n°79-596 du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier
- Ordonnance n°2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation
- Jurisprudence de la Cour de cassation citée dans l’article (concernant notamment le formalisme, la prescription, le TEG, l’anatocisme)