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Le droit des sûretés mobilières français s’était progressivement complexifié au fil des décennies, au point de devenir un véritable labyrinthe juridique pour les praticiens et les justiciables. Privilèges multiples, distinction entre gage et nantissement, sûretés spéciales éparpillées entre différents codes… Un professionnel cherchant à garantir efficacement sa créance devait souvent naviguer entre plusieurs régimes juridiques concurrents. L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a radicalement transformé ce paysage en procédant à une simplification sans précédent du droit des sûretés mobilières.
Cette réforme majeure, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, a pour ambition de rendre le droit des sûretés plus lisible, plus efficace et mieux adapté aux besoins de la pratique. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de modernisation du droit des affaires et répond aux critiques formulées depuis plusieurs années par les acteurs économiques. Pour une vue d’ensemble sur la présentation et la classification des sûretés en droit français, notamment après les réformes de 2006 et 2021, consultez notre article détaillé.
Les dispositions générales sur les sûretés réelles: définition et classification
Une définition légale attendue
Pour la première fois, l’article 2323 du Code civil propose une définition de la sûreté réelle comme étant « l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier ». Cette définition met en évidence trois caractéristiques essentielles:
- La sûreté réelle peut porter sur un bien isolé ou sur un ensemble de biens
- Elle peut concerner des biens présents mais aussi futurs
- Elle confère au créancier soit un droit de préférence, soit un droit exclusif au paiement
Cette dernière distinction est particulièrement importante car elle sépare les sûretés traditionnelles (privilèges, gage, nantissement, hypothèque) des propriétés-sûretés (réserve de propriété, fiducie-sûreté). Pour une compréhension exhaustive de l’ensemble des mécanismes des sûretés réelles mobilières et leurs caractéristiques, ainsi que l’impact des simplifications récentes, notre article dédié est à votre disposition.
Une classification rationalisée
L’article 2324 du Code civil propose une classification claire des sûretés réelles selon plusieurs critères:
- Selon leur source: légale, judiciaire ou conventionnelle
- Selon leur assiette: mobilière ou immobilière
- Selon leur étendue: générale ou spéciale
Cette mise en ordre conceptuelle facilite la compréhension globale du système et aide à déterminer les règles applicables à chaque type de sûreté.
Une innovation pour les personnes morales
L’article 2326 du Code civil simplifie considérablement la constitution de sûretés réelles par les personnes morales. Désormais, une sûreté réelle peut être constituée sur les biens d’une personne morale en vertu de pouvoirs résultant de délibérations ou délégations sous signatures privées, même si la constitution de la sûreté doit être faite par acte authentique.
Cette règle, auparavant limitée aux sociétés (article 1844-2 du Code civil, désormais abrogé), est étendue à toutes les personnes morales de droit privé, notamment les associations. Elle évite ainsi la nécessité d’un pouvoir notarié pour constituer une hypothèque au nom d’une personne morale.
La réforme des privilèges mobiliers: rationalisation et modernisation
Une définition plus précise
L’article 2330 du Code civil définit désormais plus clairement les privilèges mobiliers comme des préférences accordées par la loi à certaines créances en raison de leur qualité. Ce texte précise utilement que:
- Les privilèges sont d’interprétation stricte
- Ils ne confèrent pas de droit de suite (sauf exception légale)
- Ils se reportent sur la créance de prix du débiteur envers l’acquéreur
Une réduction drastique du nombre des privilèges
L’ordonnance procède à un important nettoyage des privilèges mobiliers. Le nombre de privilèges généraux passe de huit à quatre (article 2331 du Code civil), et celui des privilèges spéciaux de neuf à quatre (article 2332 du Code civil). Sont notamment supprimés:
- Le privilège des frais de dernière maladie
- Le privilège des fournitures de subsistance
- Le privilège de l’hôtelier
- Les privilèges pour abus et prévarications des fonctionnaires
Ces privilèges, souvent tombés en désuétude, compliquaient inutilement le droit sans apporter de protection efficace aux créanciers concernés.
Un classement clarifié
Le classement entre privilèges est également simplifié. L’article 2332-4 du Code civil dispose désormais que « le droit de préférence conféré par le gage s’exerce au rang du privilège du bailleur d’immeuble ». Cette règle met fin aux incertitudes jurisprudentielles sur le rang respectif de ces deux sûretés.
Le gage de meubles corporels: unification du régime
La fin de la dualité gage civil/gage commercial
L’une des avancées majeures de la réforme est la suppression de la dualité entre gage civil et gage commercial. Les articles L. 521-1 à L. 521-3 du Code de commerce sont abrogés, et le gage est désormais soumis à un régime unique défini par le Code civil.
Ce changement est particulièrement bienvenu pour les praticiens qui devaient auparavant jongler entre deux régimes juridiques distincts, avec des règles de constitution, de publicité et de réalisation différentes. Pour explorer en détail la simplification majeure des garanties mobilières, y compris leurs nouvelles modalités de publicité et de réalisation, consultez notre article approfondi.
Un objet élargi et modernisé
L’article 2333 du Code civil définit le gage comme « une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ».
Deux innovations méritent d’être soulignées:
- La possibilité de gager des biens futurs
- La possibilité de garantir des créances futures (pourvu qu’elles soient déterminables)
Ces assouplissements permettent d’adapter le gage aux besoins actuels du financement des entreprises.
Le gage sur biens immobilisés par destination: une innovation majeure
L’article 2334 du Code civil apporte une solution à une difficulté pratique importante en permettant expressément le gage sur des meubles immobilisés par destination. Il s’agit de biens qui, bien que meubles par nature, sont rattachés à un immeuble pour son service ou son exploitation (comme des machines industrielles ou des équipements agricoles).
En cas de conflit entre le créancier hypothécaire et le créancier gagiste, l’ordre de préférence est déterminé par les dates auxquelles les titres respectifs ont été publiés, nonobstant le droit de rétention des créanciers gagistes. Cette règle, qui figure à l’article 2419 du Code civil, permet une coexistence harmonieuse entre ces différentes sûretés.
Une publicité simplifiée
La publicité du gage sans dépossession est simplifiée grâce à la création d’un registre unique des sûretés mobilières (article 2338 du Code civil). Seul le gage automobile conserve un régime spécial de publicité, mais il est désormais intégré au droit commun pour ses autres aspects.
Cette centralisation de la publicité répond à une critique récurrente du système antérieur, caractérisé par une dispersion des registres de publicité.
Des modes de réalisation harmonisés
L’article 2346 du Code civil harmonise les modes de réalisation du gage. Le créancier peut:
- Poursuivre la vente du bien gagé
- Se faire attribuer le bien en paiement
- Convenir d’un pacte commissoire
Le second alinéa de cet article étend à tous les gages professionnels le mode de réalisation simplifié auparavant réservé au gage commercial: le créancier peut faire procéder à la vente publique huit jours après une simple signification.
Le nantissement de créances et autres biens incorporels: précisions importantes
Un régime juridique clarifié
Le nantissement de créance fait l’objet d’importantes clarifications. L’article 2356 du Code civil précise que le nantissement d’une créance, présente ou future, prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l’acte.
Un nouvel article 2361-1 règle utilement le sort des nantissements successifs d’une même créance: le rang des créanciers est réglé par l’ordre des actes. Cette règle s’aligne sur celle applicable en matière de cession de créance (article 1325 du Code civil).
Un droit exclusif au paiement et un droit de rétention
L’article 2363 du Code civil renforce considérablement l’efficacité du nantissement de créance en conférant au créancier nanti:
- Un droit exclusif à recevoir le paiement de la créance nantie
- Un droit de rétention sur cette créance
Ces prérogatives transforment le nantissement de créance en une sûreté particulièrement efficace, proche d’une propriété-sûreté dans ses effets.
L’opposabilité des exceptions précisée
Le nouvel article 2363-1 du Code civil précise utilement que « le débiteur de la créance nantie peut opposer au créancier nanti les exceptions inhérentes à la dette. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le constituant avant que le nantissement ne lui soit devenu opposable ».
Cette règle, alignée sur celle applicable à la cession de créance, garantit une meilleure prévisibilité juridique pour les parties.
La propriété retenue ou cédée à titre de garantie: innovations majeures
La propriété retenue: précisions sur la réserve de propriété
L’article 2372 du Code civil apporte une précision importante concernant la réserve de propriété: « En cas d’aliénation ou de perte du bien, la propriété se reporte sur la créance du débiteur à l’égard du sous-acquéreur ou sur l’indemnité d’assurance subrogée au bien ».
Un nouvel alinéa ajoute que le sous-acquéreur ou l’assureur peut opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette ainsi que les exceptions nées de ses rapports avec le débiteur avant qu’il ait eu connaissance du report. Cette disposition vise à protéger les sous-acquéreurs de bonne foi.
La fiducie-sûreté mobilière: assouplissement du régime
Le régime de la fiducie-sûreté mobilière est assoupli:
- L’article 2372-1 permet désormais explicitement de garantir des obligations futures
- L’article 2372-3 facilite la réalisation de la fiducie en permettant, si le fiduciaire ne trouve pas d’acquéreur au prix fixé par expert, de vendre le bien au prix qu’il estime correspondre à sa valeur, sous sa responsabilité
La cession de créance à titre de garantie: consécration nouvelle
L’une des innovations majeures de l’ordonnance est la consécration de la cession de créance à titre de garantie (articles 2373 à 2373-3 du Code civil). Cette technique, longtemps refusée par la Cour de cassation qui la requalifiait en nantissement, permet désormais à toute personne (et non plus seulement aux établissements de crédit) de céder une créance en garantie d’une dette.
Cette cession fiduciaire de créance offre l’avantage décisif de transférer la propriété de la créance au créancier cessionnaire, ce qui lui confère une position très favorable en cas de procédure collective du débiteur.
La cession de somme d’argent à titre de garantie: le gage-espèces légalisé
Les articles 2374 à 2374-6 du Code civil consacrent la pratique du « gage-espèces », rebaptisé « cession de somme d’argent à titre de garantie ». Cette technique, largement utilisée en pratique mais dépourvue jusqu’alors de statut légal, permet de remettre une somme d’argent en garantie d’une dette.
L’article 2374-3 précise que le cessionnaire peut « disposer librement de la somme cédée, sauf convention contraire ». Cette liberté de disposition distingue clairement cette sûreté du simple nantissement et renforce son efficacité en cas de procédure collective.
Une réforme d’ampleur au service de l’efficacité économique
La réforme des sûretés mobilières opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 constitue une avancée majeure dans la modernisation de notre droit des affaires. En simplifiant les règles applicables, en harmonisant les régimes juridiques et en consacrant des pratiques éprouvées, elle renforce l’efficacité des sûretés tout en préservant un équilibre entre les droits des créanciers et ceux des débiteurs.
Pour les entreprises, cette réforme offre de nouvelles opportunités pour sécuriser leurs créances ou faciliter leur accès au crédit. La suppression des sûretés désuètes, l’unification des régimes juridiques et la consécration de nouvelles formes de garanties permettent d’adapter le droit aux besoins concrets de la vie économique.
Pour une exploration plus approfondie des stratégies pratiques pour protéger efficacement vos créances professionnelles en tirant parti des nouveautés apportées par l’ordonnance de 2021, consultez notre guide dédié.
Afin d’optimiser la protection de vos droits de créancier ou de débiteur dans ce nouveau cadre juridique, notre équipe d’avocats experts en sûretés mobilières peut vous conseiller sur les choix stratégiques à opérer entre ces différentes sûretés. N’hésitez pas à nous consulter pour définir la stratégie la plus adaptée à votre situation.
Sources
- Code civil, articles 2323 à 2374-6 (réformés par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021)
- Code de commerce (dispositions abrogées par l’ordonnance n° 2021-1192)
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés
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