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L’insaisissabilité de la résidence principale

Table des matières

Quand on se lance dans la création d’entreprise en nom propre, le risque patrimonial représente souvent un frein majeur. Traditionnellement, l’entrepreneur engageait l’intégralité de ses biens dans son activité professionnelle, y compris son logement. Cependant, l’évolution législative a progressivement instauré un bouclier protecteur avec l’insaisissabilité de la résidence principale.

L’émergence progressive d’une protection patrimoniale

La loi pour l’initiative économique du 1er août 2003 a marqué le premier pas significatif dans cette direction. Elle permettait à l’entrepreneur individuel de protéger sa résidence principale contre les poursuites des créanciers professionnels par une déclaration notariée. Cette formalité, relativement coûteuse et méconnue, restait toutefois peu utilisée malgré son intérêt évident.

La loi Macron du 6 août 2015 a révolutionné le dispositif en rendant cette protection automatique. L’article L.526-1 du Code de commerce stipule désormais que les droits sur l’immeuble constituant la résidence principale sont « de droit insaisissables » pour les entrepreneurs individuels. Fini les démarches volontaires – chaque indépendant bénéficie désormais d’une protection par défaut.

En 2022, le législateur est allé plus loin avec la création d’un statut unique de l’entrepreneur individuel, instaurant une séparation automatique entre patrimoine personnel et professionnel. Cette évolution complète logiquement le dispositif d’insaisissabilité.

Application pratique et étendue de la protection

La notion de résidence principale s’entend du lieu où l’entrepreneur réside effectivement et de façon habituelle. Dans un arrêt du 18 mai 2022, la Cour de cassation a précisé qu’un logement qui n’est plus habité ne peut plus bénéficier de cette protection, même s’il l’était antérieurement.

Cette protection ne connaît pas de limitation quant au statut de l’entrepreneur – commerçants, artisans, professions libérales ou agriculteurs peuvent tous en bénéficier. Par ailleurs, lorsque la résidence principale sert partiellement à l’activité professionnelle, la partie privative reste protégée sans nécessiter de division juridique du bien.

Il existe cependant des limites importantes à cette insaisissabilité:

  • Elle ne s’applique qu’aux créanciers professionnels
  • Elle ne concerne que les créances nées après le 8 août 2015 (publication de la loi Macron) ou après l’immatriculation pour les entrepreneurs plus récents
  • L’administration fiscale conserve ses droits en cas de fraude fiscale caractérisée
  • L’entrepreneur peut toujours y renoncer, notamment pour obtenir un financement bancaire

La résilience face aux procédures collectives

L’efficacité réelle de cette protection se mesure lors des défaillances d’entreprise. La jurisprudence a progressivement renforcé sa solidité.

Dans un arrêt fondateur du 28 juin 2011, la Cour de cassation a établi que le débiteur pouvait opposer sa déclaration d’insaisissabilité malgré la liquidation judiciaire et le dessaisissement qui en résulte. Cette position a été confirmée pour l’insaisissabilité automatique, un arrêt du 13 avril 2022 précisant que le liquidateur ne peut pas agir en licitation-partage de la résidence principale si tous les créanciers n’ont pas des créances antérieures à la loi de 2015.

Les situations familiales complexes peuvent toutefois fragiliser cette protection. Ainsi, un arrêt du 18 mai 2022 a déterminé que lorsque le juge aux affaires familiales attribue la jouissance du domicile au conjoint lors d’un divorce, le bien n’est plus considéré comme la résidence principale de l’entrepreneur et peut donc être saisi par ses créanciers professionnels.

La cessation d’activité n’éteint pas cette protection. La Cour de cassation a jugé le 17 novembre 2021 que les effets de l’insaisissabilité persistent tant que les droits des créanciers concernés ne sont pas éteints, indépendamment de la poursuite de l’activité.

Stratégies complémentaires

Si la résidence principale bénéficie d’une protection automatique, d’autres biens immobiliers peuvent également être protégés par une déclaration notariée volontaire. Cette démarche suit la procédure ancienne: acte notarié publié au service de publicité foncière et au registre professionnel pertinent.

D’autres structures juridiques peuvent compléter ou remplacer ce dispositif selon les situations:

  • Les sociétés unipersonnelles (EURL, SASU) offrent une protection comparable avec d’autres avantages
  • La fiducie peut constituer un outil de protection pour les patrimoines importants
  • Le choix du régime matrimonial influence également la protection patrimoniale du couple entrepreneur

L’insaisissabilité de la résidence principale constitue aujourd’hui un rempart efficace contre les risques entrepreneuriaux. Cette protection, associée au nouveau statut de l’entrepreneur individuel, permet enfin de dissocier l’échec professionnel de la catastrophe personnelle, favorisant ainsi l’initiative économique. Toutefois, certaines limites demeurent et justifient une stratégie patrimoniale adaptée à chaque situation individuelle.

Sources

  • Code de commerce, articles L. 526-1 à L. 526-4
  • Loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique
  • Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
  • Loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante
  • Cass. com., 28 juin 2011 (n° 10-15.482)
  • Cass. com., 17 novembre 2021 (n° 20-20.821)
  • Cass. com., 13 avril 2022 (n° 20-23.165)
  • Cass. com., 18 mai 2022 (n° 20-22.768)

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