La notion d’indivisibilité dans les montages financiers
L’indivisibilité permet d’appréhender comme un tout des contrats formellement distincts mais économiquement interdépendants. Elle s’avère déterminante dans le contentieux des opérations financières, notamment lorsqu’un emprunteur cherche à remettre en cause un montage.
L’indivisibilité renvoie à l’idée que plusieurs contrats forment un ensemble indissociable, la disparition de l’un entraînant celle des autres. Cette notion s’applique particulièrement aux montages associant un prêt et un placement, comme ceux combinant un prêt in fine et une assurance-vie.
On distingue deux conceptions. L’indivisibilité objective repose sur des éléments matériels liant les contrats, indépendamment de la volonté des parties. L’indivisibilité subjective se fonde sur l’intention des parties et exige la preuve d’une volonté commune de considérer les contrats comme interdépendants.
Un arrêt de la première chambre civile du 1er octobre 2014 privilégie une conception objective, tandis que la chambre commerciale, dans un arrêt du 5 novembre 2013, maintient une approche subjective en cherchant l’intention des contractants.
Les critères d’appréciation de l’indivisibilité
Les tribunaux s’appuient sur plusieurs indices pour caractériser l’indivisibilité. La concomitance des contrats constitue un indice : des contrats conclus le même jour ou à des dates rapprochées suggèrent une interdépendance. L’identité des parties représente un autre critère – lorsque les mêmes personnes interviennent dans les différents contrats.
Le montant des opérations joue un rôle. Quand le montant du prêt correspond à celui versé sur un contrat d’assurance-vie, cette correspondance renforce l’idée d’indivisibilité. La circulation des fonds est aussi révélatrice : le versement direct des fonds empruntés à l’assureur, sans passer par le compte de l’emprunteur, suggère l’unicité de l’opération.
L’intention des parties demeure centrale dans l’approche subjective. Cette intention peut se déduire de correspondances précontractuelles, documents promotionnels présentant l’opération comme un tout, nantissement du contrat d’assurance au profit du prêteur.
La Cour de cassation a indiqué que l’indivisibilité n’est pas retenue lorsque les contrats impliquent des sociétés différentes ou poursuivent une motivation financière autonome. Cet obstacle est fréquent lorsque l’assurance-vie et le prêt ont été souscrits auprès d’établissements distincts, même appartenant au même groupe.
Les conséquences juridiques de l’indivisibilité
La reconnaissance de l’indivisibilité entraîne des répercussions importantes. Elle permet une appréciation globale de l’opération et des risques qu’elle comporte, le montage étant jugé dans son ensemble.
Cette approche a des incidences sur l’appréciation des obligations d’information et de conseil des professionnels. Les tribunaux considèrent que l’accumulation des contrats rend l’opération plus complexe et risquée qu’une opération ordinaire, justifiant un renforcement des devoirs du professionnel.
L’indivisibilité peut modifier la qualification de l’emprunteur. Un investisseur pourrait être considéré comme averti pour un simple prêt, mais non averti face à un montage financier complexe. Les juridictions évaluent si l’emprunteur pouvait appréhender les risques liés à l’interaction des contrats, et non seulement ceux propres à chaque contrat.
L’indivisibilité permet d’adapter les critères d’appréciation des obligations professionnelles. Une assurance-vie en unités de compte n’est généralement pas considérée comme spéculative. Pourtant, intégrée dans un montage avec un prêt in fine, l’opération peut être jugée plus risquée, justifiant un devoir de mise en garde renforcé.
L’impact sur les recours des emprunteurs
L’indivisibilité étend les possibilités de recours. La nullité d’un des contrats entraîne celle des autres. Un vice affectant le contrat d’assurance-vie pourrait rejaillir sur le prêt adossé.
Cette logique produit des effets dans le cas de l’assurance-vie. L’emprunteur dispose d’une faculté de renonciation au contrat d’assurance-vie. Si l’indivisibilité est reconnue, l’exercice de cette faculté entraînerait la caducité du prêt associé. Cette solution, reconnue par la première chambre civile en 2014, ouvre une voie pour les emprunteurs déçus.
L’indivisibilité unifie le régime de responsabilité applicable. Les juridictions peuvent considérer le manquement à l’échelle du montage, sans s’attarder sur la qualification précise des devoirs violés. Un arrêt de la cour d’appel d’Angers de 2013 a tenu la banque responsable pour avoir proposé « un montage inadapté » dans son ensemble.
Les emprunteurs ont intérêt à invoquer l’indivisibilité lorsqu’ils contestent un montage financier. Cette qualification facilite la preuve de leur qualité de non-averti et augmente leurs chances de voir reconnaître un manquement aux obligations de conseil ou de mise en garde.
La divergence jurisprudentielle et ses implications pratiques
La jurisprudence reste divisée sur l’indivisibilité. Certaines décisions la rejettent lorsque les contrats n’ont pas les mêmes parties, dates, ou montants. La cour d’appel de Paris a refusé de reconnaître l’indivisibilité entre prêts et contrats d’assurance-vie conclus avec des entités distinctes.
D’autres décisions adoptent une conception plus souple, déduisant l’indivisibilité d’indices comme la concomitance des contrats et la circulation directe des fonds. Cette tendance semble progresser, notamment sous l’impulsion de la première chambre civile.
Pour l’emprunteur, il est stratégique de mettre en avant les éléments suggérant l’unicité économique de l’opération : documents commerciaux, correspondances, flux financiers directs. Pour les établissements financiers, la stratégie consiste à fragmenter l’opération en insistant sur l’autonomie de chaque contrat.
L’indivisibilité permet d’attaquer globalement un montage défavorable, tandis que son rejet oblige à contester séparément chaque contrat, avec des chances de succès réduites.
L’indivisibilité peut aussi protéger les professionnels. Si l’emprunteur a sollicité le montage ou s’il est averti pour ce type d’opération, l’indivisibilité pourrait limiter les obligations d’information et de conseil des établissements financiers.
Sources
- Code civil, article 1186 sur l’indivisibilité des contrats
- Cass. 1re civ., 1er octobre 2014, n° 13-21362
- Cass. com., 5 novembre 2013, n° 2013-024832
- CA Paris, 10 octobre 2013, n° 2013-022292
- CA Angers, 2 octobre 2013, n° 2013-017972
- D. Legeais, « Responsabilité de la banque et ingénierie financière », 2015
- J. Djoudi, « La renonciation au contrat d’assurance-vie », 2015