Au-delà des biens matériels traditionnels, la valeur économique d’une entreprise réside de plus en plus dans ses actifs immatériels. Pour les industries créatives et technologiques, les droits d’exploitation d’un film ou d’un logiciel représentent souvent l’essentiel de leur patrimoine. Obtenir un financement en s’appuyant sur ces actifs exige des outils de garantie adaptés à leur nature incorporelle et complexe. Le nantissement, mécanisme de sûreté sans dépossession, offre des solutions, mais il se décline en régimes très spécifiques pour répondre aux particularités de chaque secteur. Ces mécanismes, bien que dérogatoires, s’inscrivent dans une catégorie plus vaste, celle des sûretés sur biens incorporels, dont le guide complet du nantissement expose les principes généraux. Cet article se concentre sur deux de ces nantissements spéciaux : celui portant sur les films cinématographiques et celui visant les droits d’exploitation de logiciels.
Le nantissement des droits d’exploitation : une sûreté adaptée aux actifs immatériels complexes
Le financement des industries créatives, comme le cinéma ou le développement de logiciels, repose sur des investissements conséquents dont la rentabilité dépend de l’exploitation future d’une œuvre ou d’une technologie. Pour les créanciers, qu’il s’agisse de banques ou de sociétés de financement, la question de la garantie est centrale. Comment sécuriser un prêt adossé à un bien qui n’a pas d’existence physique tangible et dont la valeur est fluctuante ? Le droit a dû innover en créant des sûretés sur mesure, capables de saisir la valeur de ces droits d’exploitation. Le nantissement des films et des logiciels illustre parfaitement cette adaptation du droit des sûretés à des réalités économiques nouvelles. Ces mécanismes permettent au débiteur de conserver l’usage de son actif pour continuer à l’exploiter, tout en offrant au créancier une garantie solide, rendue opposable aux tiers par des formalités de publicité spécifiques.
Le nantissement des films cinématographiques : un régime original
La production d’un film mobilise des capitaux importants bien avant que les premières recettes ne soient générées. Pour faciliter son financement, le législateur a mis en place un régime de nantissement très particulier, régi par le Code de l’industrie cinématographique. Cette sûreté est conçue pour appréhender un objet hybride, qui est à la fois un bien corporel (le support matériel du film, ou « négatif ») et un ensemble de biens incorporels (les droits d’auteur et les droits d’exploitation). La principale caractéristique de ce nantissement est d’être une sûreté sans dépossession, ce qui autorise le producteur à poursuivre l’exploitation de son œuvre. Il s’apparente en cela à une hypothèque mobilière, conférant au créancier un droit de préférence et un droit de suite. Son originalité réside cependant dans un troisième droit, particulièrement puissant : un droit direct sur les recettes d’exploitation du film.
Constitution du nantissement : producteur, assiette et formalisme
Seul le producteur du film, c’est-à-dire la personne physique ou morale qui a pris l’initiative et la responsabilité financière de l’œuvre, peut consentir un tel nantissement. L’assiette de la garantie est large et flexible. Le nantissement peut porter sur tout ou partie des droits de propriété ou d’exploitation, présents ou futurs, liés au film. Il peut même être constitué sur un « film à naître », avant même le début de sa réalisation, ce qui est fondamental pour sécuriser les crédits de production. Sur le plan formel, la constitution du nantissement exige un acte écrit, qui peut être un acte sous seing privé ou un acte authentique. Toutefois, la formalité essentielle qui conditionne son efficacité à l’égard des tiers est son inscription sur le Registre Public de la Cinématographie et de l’Audiovisuel (RPCA), tenu par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Cette publicité est ce qui rend la sûreté opposable à tous. Concrètement, cela signifie que personne, y compris d’autres créanciers ou un éventuel acquéreur du film, ne peut plus prétendre ignorer l’existence de la garantie.
Les effets du nantissement : droits de préférence, de suite et sur les recettes
Une fois valablement inscrit, le nantissement produit trois effets majeurs au profit du créancier. D’abord, un droit de préférence, qui lui permet d’être payé en priorité sur le prix de vente du film en cas de réalisation forcée. Le rang de ce privilège est déterminé par la date de son inscription au RPCA. Ensuite, un droit de suite, qui autorise le créancier à exercer sa garantie sur le film, peu importe entre les mains de qui il se trouve. Si le film est vendu, le créancier peut le « suivre » et faire valoir ses droits auprès du nouvel acquéreur. Ce dernier a toutefois la possibilité de « purger » le nantissement en désintéressant le créancier. Enfin, et c’est là sa plus grande singularité, le créancier bénéficie d’un droit direct sur les recettes générées par l’exploitation du film, qu’il s’agisse des entrées en salle, des ventes aux chaînes de télévision ou des revenus de la distribution vidéo. Ce mécanisme, souvent qualifié de « délégation de recettes », lui permet de percevoir directement les fonds auprès des exploitants, à concurrence de sa créance, sans que ces sommes ne transitent par le compte du producteur.
Impact des procédures collectives sur le nantissement de films
La solidité d’une sûreté se mesure souvent à l’épreuve d’une procédure collective. Si la société de production vient à faire l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, la situation du créancier nanti est affectée. Une des faiblesses notables de ce nantissement est qu’il ne confère aucun droit de rétention au créancier. Contrairement au gage classique où le créancier détient physiquement le bien, le créancier nanti sur un film n’a pas cette maîtrise. En conséquence, son privilège peut être primé par d’autres créances nées après l’ouverture de la procédure collective pour les besoins de sa continuation. Le classement des créanciers devient alors un enjeu déterminant, et la force du nantissement peut s’en trouver diminuée.
Le nantissement des droits d’exploitation des logiciels : sécuriser l’innovation
Le secteur technologique, tout comme le cinéma, est un domaine où les actifs incorporels sont prépondérants. Un logiciel, qui est une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur, représente une valeur économique considérable. Pour permettre aux entreprises du secteur de garantir leurs emprunts, le Code de la propriété intellectuelle a instauré un nantissement spécifique portant sur les droits d’exploitation des logiciels. Cette sûreté peut être constituée de manière autonome ou être incluse dans le cadre plus large d’un nantissement de fonds de commerce, lorsque le logiciel constitue un des éléments principaux de ce fonds. Le régime autonome permet de cibler précisément cet actif stratégique pour obtenir un financement.
Formalités de constitution : écrit et inscription à l’inpi
Comme pour le nantissement de films, la constitution d’un nantissement sur les droits d’exploitation d’un logiciel doit obligatoirement faire l’objet d’un contrat écrit. La validité de l’acte est subordonnée à cette exigence. Cet écrit doit définir avec une grande précision l’assiette de la garantie. Il ne suffit pas de désigner le logiciel par son nom commercial ; il est recommandé de lister les éléments techniques concernés, comme les codes sources, les codes objets et la documentation afférente. Pour être opposable aux tiers, le nantissement doit être inscrit sur un registre spécial tenu par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). C’est cette inscription, valable pour une durée de cinq ans et renouvelable, qui donne date certaine à la garantie et établit le rang des créanciers entre eux. Sans cette publicité, l’acte de nantissement n’a d’effet qu’entre les parties signataires et serait inefficace contre les autres créanciers du débiteur.
Les effets du nantissement : droit de préférence et débat sur le droit de suite
L’inscription du nantissement à l’INPI confère au créancier un droit de préférence. En cas de défaillance du débiteur et de vente forcée des droits sur le logiciel, le créancier inscrit sera payé prioritairement sur le prix de vente, selon le rang que lui donne sa date d’inscription. Si plusieurs nantissements sont inscrits sur le même logiciel, c’est la règle de l’antériorité qui s’applique : premier inscrit, premier servi. En revanche, l’existence d’un droit de suite fait l’objet de discussions. Une question importante reste plus débattue en doctrine : le créancier peut-il suivre le logiciel en cas de cession à un tiers ? Contrairement au nantissement de fonds de commerce qui l’organise expressément, la loi sur le nantissement de logiciel est silencieuse sur ce point. Certains juristes estiment que la logique de cette sûreté, proche d’une hypothèque mobilière, devrait impliquer un droit de suite. D’autres soulignent que l’absence de publication systématique des cessions de logiciels rendrait un tel droit très difficile à mettre en œuvre en pratique. Cette incertitude juridique appelle à une grande prudence lors de la rédaction des contrats de nantissement.
Défis et perspectives pour ces nantissements spécialisés
Malgré leur utilité indéniable pour le financement des industries de l’immatériel, ces nantissements spécialisés présentent des défis importants. Le principal défi est celui de la valorisation de l’actif nanti. Comment évaluer avec justesse la valeur d’un film qui n’est pas encore sorti ou le potentiel commercial d’un logiciel innovant ? Cette évaluation, souvent complexe et spéculative, est pourtant la base sur laquelle le crédit sera accordé. De plus, la volatilité de ces actifs est un risque permanent. Un film peut être un échec commercial, un logiciel peut être rapidement rendu obsolète par une nouvelle technologie, entraînant une dépréciation rapide de la garantie. Ces difficultés expliquent pourquoi les créanciers exigent souvent des garanties complémentaires. Néanmoins, à mesure que l’économie se dématérialise, le recours à ces sûretés sur actifs incorporels est appelé à se développer. Leur perfectionnement et la clarification de leurs zones d’ombre, notamment sur le droit de suite pour les logiciels, seront des enjeux juridiques majeurs pour accompagner le financement de l’innovation.
La mise en place de ces nantissements sur des actifs aussi complexes que les films ou les logiciels exige une analyse précise et une rédaction contractuelle sans faille. Pour sécuriser vos financements, garantir vos créances ou évaluer la solidité d’une sûreté existante, l’assistance d’un avocat est un atout déterminant. Prenez contact avec notre cabinet pour une analyse de votre situation.
Sources
- Code de la propriété intellectuelle (notamment l’article L. 132-34)
- Code de l’industrie cinématographique (notamment les articles 31 et suivants)
- Code civil (dispositions relatives au nantissement, articles 2355 et suivants)