Les virements internationaux sont des opérations courantes dans un monde globalisé, mais ils exposent les utilisateurs et les établissements bancaires à des risques accrus, notamment en matière de fraude et de blanchiment de capitaux. Face à ces enjeux, les banques sont soumises à des obligations de vigilance spécifiques, renforcées par un cadre légal et réglementaire strict. Comprendre l’étendue de ces obligations est essentiel pour les clients, afin de savoir à quoi s’attendre de la part de leur prestataire de services de paiement et comment réagir en cas de problème. Cet article détaille les principaux devoirs de vigilance qui incombent aux banques lors du traitement des virements internationaux.
Contexte des virements internationaux
Un virement international se définit comme un transfert de fonds d’un compte bancaire vers un autre situé dans un pays différent, ou effectué dans une devise étrangère. Ces opérations transitent par des systèmes de communication et de règlement interbancaires complexes, tels que SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) pour la majorité des transactions mondiales, ou SEPA (Single Euro Payments Area) pour les virements en euros au sein de l’espace européen. Le cadre juridique des virements bancaires a été largement harmonisé au niveau européen par les directives sur les services de paiement (DSP1 et DSP2), transposées en droit français, notamment dans le Code monétaire et financier.
Ces textes visent à sécuriser les transactions, à accroître la transparence et à protéger les utilisateurs. Au cœur de ces opérations, l’Identifiant International de Compte Bancaire (IBAN) et le Code d’Identification Bancaire (BIC ou SWIFT code) jouent un rôle central pour acheminer correctement les fonds. Si la banque est en principe en droit de se fier à l’identifiant unique fourni par le donneur d’ordre, cela ne la décharge pas de toute vigilance, surtout si d’autres éléments de l’ordre de virement présentent des incohérences manifestes. La technicité de ces opérations et les multiples intervenants potentiels (banque du donneur d’ordre, banque correspondante, banque du bénéficiaire) complexifient la surveillance et la traçabilité, justifiant des exigences de vigilance accrues.
Obligation de vigilance anti-blanchiment
L’une des obligations fondamentales des banques lors du traitement des virements internationaux est la participation active à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Ce devoir de vigilance est encadré par des dispositions nationales et européennes strictes, imposant aux établissements financiers de connaître leur clientèle (« Know Your Customer » – KYC) et l’origine des fonds.
Concrètement, avant d’exécuter un virement international, la banque doit s’assurer de l’identité du donneur d’ordre et, dans la mesure du possible, de celle du bénéficiaire effectif. Elle doit également évaluer le risque de blanchiment associé à la transaction en fonction de divers critères : montant, pays de destination ou d’origine des fonds, profil du client, nature de l’activité économique sous-jacente. En cas de soupçon, la banque a l’obligation de procéder à un examen renforcé et, si le doute persiste, de déclarer l’opération suspecte à l’autorité compétente, en France TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits Financiers clandestins).
Cette obligation de vigilance est d’autant plus prégnante pour les virements internationaux en raison des difficultés potentielles à identifier toutes les parties et la source réelle des fonds lorsque plusieurs juridictions sont impliquées.
Crim. 19 juin 2024, n° 22-81.808
Une illustration récente de la portée de cette obligation est fournie par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 juin 2024. Dans cette affaire, il a été rappelé que la simple mise à disposition d’un compte bancaire et l’exécution d’ordres de virement de sommes y figurant vers des comptes à l’étranger sont susceptibles de caractériser la participation de la banque à des opérations de blanchiment si elle manque à ses obligations de vigilance. L’arrêt souligne également que la solidarité pénale entre les individus condamnés pour un même délit peut s’appliquer aux entités (y compris la banque) déclarées coupables d’infractions connexes, sans que le degré ou la nature de leur participation personnelle ne permette nécessairement au juge de limiter les effets de cette solidarité. Cela signifie qu’une banque jugée complice, même passivement par un défaut de vigilance caractérisé sur des flux internationaux suspects, peut se voir imposer des sanctions importantes.
Anomalies apparentes et exonération
Au-delà de la LCB-FT, la banque est tenue à un devoir général de vérification lorsqu’elle reçoit un ordre de virement, qu’il soit national ou international. Elle doit s’assurer que l’ordre émane bien du titulaire du compte ou de son représentant dûment habilité, et qu’il ne comporte aucune anomalie apparente, qu’elle soit formelle (par exemple, une signature manifestement différente sur un ordre papier si ce mode est utilisé, des informations manquantes) ou intellectuelle.
Une anomalie intellectuelle peut résider dans le caractère inhabituel de l’opération par rapport aux pratiques commerciales ou aux habitudes financières du client : un montant exceptionnellement élevé, une destination géographique sans lien avec les activités connues du client, une fréquence soudaine de virements vers un nouveau bénéficiaire à l’étranger, ou des instructions de virement reçues dans des conditions suspectes (par exemple, via un canal de communication inhabituel ou avec des fautes de langage grossières laissant supposer une usurpation d’identité). La détection de telles anomalies doit conduire la banque à exercer une vigilance accrue et, si nécessaire, à demander des clarifications ou des confirmations au client avant d’exécuter l’ordre.
Ce devoir de vigilance doit cependant être mis en balance avec le principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client. La banque n’a pas à juger de l’opportunité des opérations de son client. Son rôle n’est pas de se substituer à lui dans la gestion de ses finances. Toutefois, cette non-ingérence trouve sa limite lorsque des indices patents d’irrégularité ou de fraude potentielle apparaissent. La responsabilité de la banque pour un virement frauduleux peut alors être engagée si elle n’a pas réagi face à ces signaux.
Cass. Com. 2 mai 2024, n° 22-17.233
Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 2 mai 2024 a apporté des précisions sur la notion d’anomalie apparente. Dans ce cas précis, il a été jugé que la vulnérabilité d’un client (dirigeant social) qui ordonne des virements du compte de sa société vers son compte personnel ne constitue pas, en soi, une anomalie apparente. Si les ordres sont formellement réguliers et émanent de la personne habilitée, le banquier, tenu par son devoir de non-ingérence, n’est pas tenu de procéder à des vérifications particulières sur le seul fondement de la destination des fonds vers le compte personnel du dirigeant, même si ce dernier est connu pour être vulnérable. Cet arrêt, bien que rendu dans un contexte national, éclaire la difficile appréciation de ce qui constitue une anomalie suffisamment « apparente » pour justifier une intervention de la banque, particulièrement lorsque l’ordre émane du représentant légal.
Concernant l’exonération, l’article L. 133-21 du Code monétaire et financier prévoit que si un ordre de paiement est exécuté conformément à l’identifiant unique (IBAN pour les virements SEPA) fourni par l’utilisateur, le prestataire de services de paiement est réputé avoir correctement exécuté l’opération de paiement en ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique. Le prestataire n’est pas responsable si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur est inexact. Cependant, il doit s’efforcer, dans la mesure du possible, de récupérer les fonds engagés. Cette disposition est une protection pour la banque, mais elle ne saurait l’exonérer totalement si l’erreur d’identifiant s’accompagne d’autres anomalies flagrantes que la banque aurait dû relever dans le cadre de sa vigilance générale.
Clauses d’irresponsabilité & faute inexcusable
Les conventions de compte ou de services de paiement proposées par les banques contiennent fréquemment des clauses visant à limiter ou à exclure leur responsabilité en cas de problème lors de l’exécution d’un virement. Cependant, la validité et la portée de telles clauses sont encadrées.
En règle générale, ces clauses ne peuvent pas exonérer la banque de sa responsabilité en cas de faute lourde ou de dol. Une faute lourde est une négligence d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission qu’il a acceptée. Dans le contexte d’un virement international, cela pourrait être le cas si la banque exécute un ordre malgré des alertes de fraude évidentes et multiples, sans procéder à la moindre vérification complémentaire.
De plus, vis-à-vis des consommateurs (personnes physiques agissant à des fins non professionnelles), de nombreuses clauses limitatives de responsabilité sont considérées comme abusives et donc réputées non écrites, conformément au Code de la consommation et à la jurisprudence européenne. Le régime de responsabilité prévu par le Code monétaire et financier pour les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées est d’ordre public pour les consommateurs, ce qui signifie qu’il ne peut y être dérogé par contrat au détriment du client.
La faute inexcusable du banquier, quant à elle, est une notion qui peut être invoquée pour écarter l’application de certaines limitations légales ou contractuelles de responsabilité. Elle est appréciée au cas par cas par les tribunaux. Par exemple, exécuter un virement international d’un montant très important sur la base d’instructions reçues par un email non sécurisé, sans aucune procédure d’authentification forte ou de confirmation directe auprès du client, pourrait être qualifié de faute inexcusable si des indices de fraude étaient présents.
Actions du client
Lorsqu’un client est confronté à un problème concernant un virement international – qu’il s’agisse d’une opération non autorisée, mal exécutée, ou d’un virement non exécuté ou retardé – plusieurs démarches et recours sont possibles.
En premier lieu, en cas d’opération de paiement non autorisée (par exemple, un virement frauduleux initié par un tiers ayant usurpé l’identité du client), le client doit impérativement le signaler à sa banque « sans tarder » après en avoir eu connaissance. Pour les particuliers, ce délai de signalement est au maximum de 13 mois à compter de la date de débit, comme le prévoit l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier. Une fois ce signalement effectué, l’article L. 133-18 du même code prévoit que le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l’opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l’opération ou après en avoir été informé.
La charge de la preuve qu’une opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée, et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre, incombe au prestataire de services de paiement. Même si l’utilisation de l’instrument de paiement (par exemple, les codes d’accès à la banque en ligne) est enregistrée, cela ne suffit pas à prouver que l’opération a été autorisée par le payeur ou qu’il a agi frauduleusement ou commis une négligence grave. Toutefois, si la banque prouve une négligence grave du client (par exemple, la communication volontaire de ses codes secrets en réponse à un email de phishing grossier), ce dernier pourrait supporter tout ou partie des pertes. L’absence de mise en œuvre par la banque d’une procédure d’authentification forte du client pour valider le virement international peut peser lourdement dans l’appréciation de sa responsabilité. Le client peut également exercer son droit à l’opposition ou contestation d’un virement bancaire selon les procédures établies.
Si le virement a été mal exécuté (par exemple, envoyé à un mauvais destinataire malgré des instructions correctes, ou pour un montant erroné), la responsabilité de la banque du payeur peut être engagée. Elle doit alors s’efforcer de récupérer les fonds et indemniser son client du préjudice subi.
En cas de désaccord persistant avec la banque, le client peut saisir le médiateur bancaire, qui est une voie de recours amiable et gratuite. Si la médiation n’aboutit pas, une action en justice peut être envisagée pour faire valoir ses droits et obtenir réparation du préjudice. L’assistance d’un avocat compétent en droit bancaire peut s’avérer déterminante dans ces démarches.
Face à la complexité des virements internationaux et aux obligations des établissements bancaires, il est essentiel de connaître vos droits. Si vous avez été victime d’un virement international problématique ou si vous suspectez un manquement de votre banque à ses obligations de vigilance, notre cabinet peut vous assister pour analyser votre situation et défendre vos intérêts. Pour une analyse approfondie et un accompagnement sur mesure par un avocat en droit bancaire et financier, prenez contact avec notre équipe.
Sources
- Code monétaire et financier (notamment articles L. 133-1 et s., L. 314-1 et s., L. 561-1 et s.)
- Directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (DSP2).
- Jurisprudence citée (notamment Crim. 19 juin 2024, n° 22-81.808 ; Cass. Com. 2 mai 2024, n° 22-17.233).