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Les origines et l’évolution de la notion d’action de concert en France

Table des matières

L’action de concert est une notion clé du droit boursier et du droit des sociétés. Souvent perçue comme complexe, elle désigne la situation où plusieurs personnes, généralement des actionnaires, se coordonnent pour mettre en œuvre une stratégie commune à l’égard d’une société. Comprendre les origines et l’évolution de ce concept n’est pas un simple exercice académique. C’est une démarche essentielle pour tout dirigeant ou investisseur souhaitant naviguer les méandres des prises de participation, des offres publiques et des obligations de transparence. Loin d’être figée, la notion a connu un parcours sinueux, oscillant entre pragmatisme boursier et construction juridique, pour finalement s’intégrer plus largement dans notre droit des sociétés.

Les racines internationales de l’action de concert

Bien que solidement ancrée dans le droit français, la notion d’action de concert puise ses origines au-delà de nos frontières. Elle est le fruit d’une double influence, nord-américaine et européenne, qui a répondu à un besoin commun : appréhender la réalité du pouvoir dans les sociétés au-delà de la simple détention arithmétique de titres.

L’influence du droit nord-américain et le Williams Act

La paternité de l’idée est souvent attribuée au droit américain. Le Williams Act de 1968, texte fondateur en matière d’offres publiques, a posé les bases d’une régulation visant à informer et protéger les investisseurs. La jurisprudence américaine a rapidement dû se confronter à des situations où plusieurs investisseurs, sans détenir individuellement une part significative du capital, agissaient de manière coordonnée pour prendre le contrôle d’une cible.

Pour déjouer ces stratégies, les juges américains ont dégagé un concept souple, celui de l’« accord des parties pour agir conjointement ». Cette approche qualitative permettait d’agréger les participations de plusieurs acteurs pour déterminer s’ils franchissaient les seuils de déclaration obligatoire, déjouant ainsi des manœuvres qui, autrement, seraient passées sous le radar du régulateur.

La directive européenne 88/627/CEE sur les franchissements de seuils

L’impulsion décisive pour le droit français est venue de l’Europe. La directive 88/627/CEE du 12 décembre 1988, relative à l’information sur les participations importantes dans les sociétés cotées, a marqué un tournant. Son objectif était d’harmoniser les obligations de déclaration de franchissement de seuils au sein du marché commun.

Pour ce faire, la directive a posé un principe fondamental : pour calculer si une personne est tenue de déclarer un franchissement de seuil, il faut assimiler à ses propres droits de vote ceux détenus par des tiers avec qui elle a conclu un accord écrit. Cet accord doit l’obliger à adopter, par un exercice concerté, une politique commune durable vis-à-vis de la gestion de la société. Le terme était lancé. Le droit communautaire imposait de regarder au-delà de la propriété juridique des titres pour identifier les alliances de fait qui structurent le pouvoir.

L’émergence empirique en France avant la consécration légale

Avant même que la loi ne s’empare du sujet, la pratique boursière française avait déjà identifié le besoin d’un tel outil. C’est le régulateur de l’époque, la Commission des opérations de bourse (COB), qui a été le premier à utiliser ce concept de manière empirique.

Les premières utilisations par la Commission des opérations de bourse (COB)

Dès 1970, la COB utilise l’expression pour qualifier le comportement organisé d’un groupe de personnes dans le cadre d’une offre publique d’achat (OPA). Elle cherchait à traiter comme un ensemble homogène des acteurs qui, bien que juridiquement distincts, poursuivaient un objectif commun. Cette approche pragmatique visait à rétablir la réalité du marché derrière la façade d’actions apparemment dispersées. Dans ses rapports annuels successifs, la COB a continué à faire allusion à ces « actions concertées », affinant son analyse des stratégies de groupe.

L’intégration dans le règlement des agents de change pour les OPA

La notion a ensuite gagné en formalisme en étant intégrée dans l’encadrement juridique des OPA par le règlement de la chambre syndicale des agents de change en 1983. Elle devenait un outil technique pour analyser les OPA et les comportements des parties prenantes. Cependant, à ce stade, l’action de concert restait un concept de la pratique boursière, identifié et utilisé par les régulateurs, mais pas encore une notion consacrée par le législateur avec une portée générale.

La consécration par la loi du 2 août 1989 et ses objectifs

La loi du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier constitue le véritable acte de naissance de l’action de concert en droit positif français. En transposant la directive de 1988, le législateur a non seulement adopté le concept, mais l’a également « baptisé » et lui a assigné une double mission.

Transposition de la directive et « baptême » de la notion

La loi de 1989 a transposé la directive européenne en introduisant formellement l’action de concert dans la législation. Elle ne s’est pas contentée d’une simple reprise, mais a dessiné des contours plus larges que ce que le texte européen exigeait. Le législateur français a perçu tout le potentiel de cet outil pour assurer l’intégrité du marché.

Le double objectif : renforcer l’information et prévenir les prises de contrôle rampantes

Les motivations du législateur étaient claires et poursuivaient deux buts distincts mais complémentaires :

  1. Renforcer les obligations d’information : Les règles existantes sur la déclaration de franchissement de seuils étaient jugées insuffisantes. Les sociétés cotées se plaignaient de ne pas connaître la structure réelle de leur actionnariat. En assimilant les titres détenus par des concertistes pour le calcul des seuils, la loi obligeait les groupes d’actionnaires agissant de concert à révéler leur poids collectif au marché.
  2. Lutter contre les prises de contrôle « rampantes » : L’autre objectif était de prévenir les acquisitions progressives et discrètes de titres en bourse par plusieurs acteurs coordonnés, visant à obtenir le contrôle d’une société sans jamais lancer d’offre publique. En forçant la consolidation des participations, l’action de concert permettait de déclencher l’obligation de déposer une OPA dès que le seuil de contrôle de fait était atteint par le groupe.

Comme l’indiquait le Ministre de l’Économie de l’époque, il s’agissait de « rétablir la réalité des actions concertées derrière la dissimulation des actions dispersées ».

L’évolution législative et jurisprudentielle ultérieure

Depuis sa consécration en 1989, la notion d’action de concert n’a cessé d’évoluer. Sous l’impulsion du régulateur boursier, de la jurisprudence et du législateur lui-même, sa définition juridique précise s’est affinée, son champ d’application s’est clarifié et son lien avec d’autres concepts du droit des sociétés s’est renforcé.

Les précisions apportées par le régulateur boursier

Le régulateur boursier (la COB, puis le CMF et enfin l’AMF) a joué un rôle déterminant dans l’enrichissement de la notion. Il l’a notamment utilisée comme un critère central dans le cadre des offres publiques d’acquisition (les OPA) obligatoires. En effet, le franchissement d’un seuil, réputé conférer le contrôle d’une société cotée, déclenche une telle obligation, et ce seuil se calcule en tenant compte des participations de l’ensemble des concertistes. Le régulateur a ainsi dû développer une analyse fine des accords et des comportements pour déceler l’existence d’un concert.

Les modifications textuelles de l’article L. 233-10 du Code de commerce

Le texte législatif lui-même, aujourd’hui codifié à l’article L. 233-10 du Code de commerce, a connu plusieurs modifications. Ces ajustements, parfois d’apparence minime comme le déplacement d’une virgule ou la suppression puis la réintroduction d’un adjectif, ont eu des portées substantielles.

Par exemple, le texte initial pouvait laisser penser que la finalité de « mettre en œuvre une politique commune » ne s’appliquait qu’aux accords portant sur l’exercice des droits de vote, et non à ceux visant l’acquisition de titres. Après une période de flottement et une correction maladroite en 2001, le législateur est de nouveau intervenu pour clarifier que cette finalité s’applique bien aux deux types d’accords. Ces évolutions successives montrent la difficulté à saisir dans un texte une réalité économique et stratégique complexe. Elles ont surtout consacré l’interprétation la plus logique, celle retenue par la pratique et la jurisprudence : un concert existe dès lors qu’un accord, quel qu’il soit, s’inscrit dans une stratégie commune vis-à-vis de la société.

L’introduction de la finalité de « prise de contrôle »

Finalement, la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 a apporté une clarification importante. Elle a explicitement ajouté à côté de la finalité de « mettre en œuvre une politique commune », celle d’ « obtenir le contrôle de cette société ». Cet ajout n’est pas une révolution, mais une explicitation. Il consacre le fait que la conquête du pouvoir est l’une des illustrations les plus évidentes, et souvent l’objectif ultime, d’une action de concert.

Cette modification a aussi préparé le terrain pour son évolution en droit commun, en liant plus fermement la notion de concert à celle de contrôle, concept qui dépasse largement le seul cadre boursier. L’histoire de l’action de concert est celle d’un concept né de la pratique, importé en droit, puis façonné par les nécessités de la régulation pour devenir un outil juridique dont la pertinence ne se dément pas. La complexité de son application pratique rend souvent le conseil d’un avocat en droit financier indispensable pour les actionnaires et dirigeants concernés.

Pour toute question relative à une possible situation d’action de concert ou à ses implications en matière d’obligations déclaratives et d’offres publiques, notre cabinet se tient à votre disposition pour analyser votre situation et définir une stratégie adaptée.

Sources

  • Code de commerce, notamment les articles L. 233-3, L. 233-7 et L. 233-10
  • Loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier
  • Directive 88/627/CEE du Conseil, du 12 décembre 1988, relative à l’information à publier lors de l’acquisition et de la cession d’une participation importante dans une société cotée en bourse

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