Les prêts à taux variable et les crédits en devises étrangères séduisent souvent par leurs conditions initiales attractives. Pourtant, ces instruments financiers cachent une complexité et des risques qui peuvent transformer un projet de financement en un piège financier. Leur structure, qui indexe le coût de l’emprunt sur des facteurs externes et imprévisibles comme les taux de marché ou les parités monétaires, expose l’emprunteur à des variations potentiellement lourdes de conséquences. La rémunération du prêteur, qui semble avantageuse au départ, peut ainsi évoluer de manière défavorable. Comprendre les mécanismes de ces prêts, l’étendue de la protection légale et les recours possibles est donc fondamental pour tout emprunteur, qu’il soit un particulier ou un chef d’entreprise. Cet article a pour but de démystifier ces produits et de vous donner les clés pour évaluer leur dangerosité. Pour un aperçu plus large des composantes du coût d’un crédit, vous pouvez consulter notre guide sur la rémunération du prêteur.
Comprendre les prêts à taux variable : mécanismes et incertitudes
Un prêt à taux variable, aussi appelé prêt à taux révisable, est un crédit dont le taux d’intérêt n’est pas fixé pour toute la durée du contrat. Il évolue, à la hausse comme à la baisse, en fonction des fluctuations d’un indice de référence, le plus souvent un taux du marché interbancaire. Cette variabilité le distingue radicalement du prêt à taux fixe, où l’emprunteur connaît dès la signature le montant exact de ses échéances jusqu’au terme du contrat. L’attrait initial du taux variable réside dans un taux de départ généralement plus bas que celui d’un prêt à taux fixe, mais cette économie potentielle est la contrepartie d’un risque futur.
Fonctionnement et indices de référence
La variation du taux d’intérêt d’un prêt révisable est contractuellement liée à un indice de marché. Les plus courants sont les taux interbancaires européens, comme l’EURIBOR (Euro Interbank Offered Rate) ou, par le passé, l’EONIA. Le contrat de prêt précise la périodicité de la révision (annuelle, trimestrielle, etc.) et la marge que la banque ajoute à l’indice. Concrètement, votre taux correspond à l’indice de référence à une date donnée, augmenté de la marge de la banque. Si l’EURIBOR monte, votre taux monte aussi.
Pour limiter le risque de hausse des taux, certains contrats prévoient des mécanismes de protection. Le plus connu est le « taux capé ». Un prêt à taux variable capé est un prêt dont le taux ne peut dépasser un plafond défini dans le contrat. Par exemple, un prêt capé à +2 % sur un taux initial de 3 % ne pourra jamais voir son taux d’intérêt excéder 5 %. Cette sécurité a un coût, qui se traduit souvent par une marge bancaire plus élevée que pour un prêt non capé.
La problématique des taux négatifs
Une situation économique inédite a vu certains indices de référence, comme le Libor CHF ou l’EURIBOR, passer en territoire négatif. Cette anomalie a soulevé une question juridique complexe : si l’indice de référence devient si bas que la formule de calcul (indice + marge) produit un taux d’intérêt global négatif, le prêteur doit-il rémunérer l’emprunteur ? Cette idée, qui heurte la nature même du contrat de prêt, a donné lieu à un contentieux abondant.
La Cour de cassation a clarifié la situation dans une décision majeure (Cass. 1re civ., 25 mars 2020, n° 18-23.803). Elle a jugé que le contrat de prêt implique par nature que l’emprunteur restitue les fonds et verse des intérêts en rémunération. Par conséquent, « le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d’une quelconque rémunération à l’emprunteur ». Sauf clause contractuelle le prévoyant explicitement, le jeu de la variabilité du taux ne peut donc pas conduire à inverser les rôles et à obliger la banque à payer des intérêts. Le taux plancher d’un prêt est donc, en l’absence de stipulation contraire, de 0 %.
Les crédits libellés en devises étrangères : spécificités et risques de change
Les prêts en devises sont une catégorie particulière de prêts structurés. Ils sont souscrits en euros, mais leur capital restant dû est libellé dans une monnaie étrangère (franc suisse, yen, dollar…). Les mensualités, payées en euros, sont calculées en fonction du taux de change entre l’euro et la devise au moment de chaque échéance. L’attrait de ces prêts reposait sur des taux d’intérêt historiquement bas dans certaines devises, comme le franc suisse. Le risque, souvent sous-estimé par les emprunteurs, est celui de la variation du taux de change.
Modalités et conditions de souscription
En raison de leur dangerosité, le législateur a fortement encadré la souscription de ces prêts. L’article L. 313-64 du Code de la consommation est très clair : un particulier ne peut contracter un prêt libellé dans une devise étrangère que s’il déclare percevoir la majeure partie de ses revenus ou détenir un patrimoine dans cette même devise. Cette règle vise à s’assurer que l’emprunteur dispose de ressources naturelles pour faire face à une appréciation de la devise étrangère par rapport à l’euro. Si l’emprunteur ne remplit pas cette condition, le prêt ne peut être consenti que si le risque de change est intégralement couvert, c’est-à-dire supporté par le prêteur, ce qui est rarissime en pratique.
Le risque de change : une vulnérabilité pour l’emprunteur
Le principal danger de ces prêts est le risque de change. Si la devise étrangère s’apprécie fortement par rapport à l’euro, le montant en euros du capital restant dû augmente mécaniquement. Un emprunteur peut alors se retrouver à devoir, après plusieurs années de remboursement, une somme en euros supérieure au capital initialement emprunté. C’est ce qui s’est produit massivement avec les prêts en francs suisses lorsque la monnaie helvétique s’est envolée par rapport à l’euro.
Face à ce risque considérable, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a renforcé la protection des consommateurs. Dans l’arrêt de principe Kásler (CJUE, 30 avril 2014, aff. C-26/13), elle a établi que l’exigence de clarté d’une clause de change n’est pas seulement grammaticale. Le contrat doit exposer de manière transparente le fonctionnement du mécanisme de conversion. Surtout, l’emprunteur doit être mis en mesure d’évaluer, « sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives » qui découlent pour lui de cette clause. En d’autres termes, une simple mention du risque ne suffit pas ; la banque doit s’assurer que l’emprunteur a réellement compris l’ampleur du danger.
L’encadrement juridique et la protection des emprunteurs
La législation et la jurisprudence ont progressivement mis en place des garde-fous pour limiter les dérives des prêts structurés et protéger les emprunteurs. Cette protection repose sur des réglementations spécifiques, mais aussi et surtout sur le devoir de conseil et d’information qui pèse sur les professionnels du crédit.
Réglementation spécifique et limitations
Face aux ravages causés par les « emprunts toxiques » souscrits dans les années 2000, le législateur est intervenu pour interdire ou limiter leur accès à certaines entités. Les collectivités locales, leurs groupements et les services d’incendie et de secours ne peuvent plus souscrire de prêts dont les taux sont indexés sur des formules complexes ou des indices spéculatifs (article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales). Des restrictions similaires ont été mises en place pour les organismes de logement à loyer modéré (HLM) par l’article L. 423-17 du Code de la construction et de l’habitation, ainsi que pour les établissements publics de santé. Ces lois visent à cantonner ces acteurs publics à des produits financiers simples et prévisibles.
Devoir de conseil et clauses abusives
Pour les emprunteurs non professionnels, la protection repose principalement sur deux piliers : le devoir de mise en garde du banquier et la théorie des clauses abusives. Le prêteur, en sa qualité de professionnel, a l’obligation de mettre en garde l’emprunteur non averti sur les risques spécifiques du prêt proposé, notamment lorsque celui-ci présente un risque de change ou de variation de taux important et que le contrat peut engendrer un endettement excessif.
L’information sur le coût total du crédit est également essentielle. La clarté et l’exactitude des informations relatives au Taux Effectif Global (TEG), ou Taux Annuel Effectif Global (TAEG) pour les crédits à la consommation, sont primordiales. Un TEG erroné ou non communiqué peut entraîner des sanctions sévères pour le prêteur. Pour en savoir plus sur ce point technique, consultez notre article dédié au calcul du TEG/TAEG et à ses sanctions.
Par ailleurs, une clause qui n’a pas été négociée individuellement et qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur peut être jugée abusive. Dans le cas des prêts en devises, les tribunaux français, sous l’impulsion de la CJUE, examinent si le manque de transparence sur le risque de change constitue un tel déséquilibre. Si une clause est jugée abusive, elle est réputée non écrite, c’est-à-dire qu’elle est supprimée du contrat, ce qui peut avoir des conséquences majeures sur le prêt.
Les recours et stratégies de défense en cas de litige
Lorsqu’un emprunteur se trouve en difficulté à cause d’un prêt à taux variable ou en devises, plusieurs voies de recours peuvent être envisagées. La complexité de ces contentieux et l’évolution constante de la jurisprudence rendent l’assistance d’un avocat expert en droit bancaire indispensable pour élaborer une stratégie de défense efficace.
Actions en nullité ou en responsabilité
L’action la plus courante vise à obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels en raison d’une erreur ou d’une omission dans la mention du TEG/TAEG. Pendant longtemps, la sanction était la substitution du taux d’intérêt légal, beaucoup plus faible, au taux du contrat. Depuis une ordonnance du 17 juillet 2019, la sanction a été unifiée : le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans une proportion fixée par le juge, en fonction du préjudice subi par l’emprunteur.
Une autre stratégie consiste à engager la responsabilité civile du prêteur (et parfois du notaire) pour manquement à son devoir de mise en garde ou de conseil. Si l’emprunteur parvient à prouver que la banque ne l’a pas correctement alerté sur les risques inhérents à l’opération et qu’il a subi un préjudice (par exemple, la perte d’une chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions moins risquées), il peut obtenir des dommages et intérêts.
Dans les cas les plus graves de dissimulation d’informations, des poursuites pénales pour pratique commerciale trompeuse sont également envisageables. Le délai de prescription pour la plupart des actions civiles est de cinq ans. Pour un emprunteur non-professionnel, ce délai court généralement à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître l’erreur ou le manquement, ce qui est souvent la date de la révélation du problème (par exemple, lors de la réception d’un décompte faisant apparaître une explosion du capital dû).
L’impact de la jurisprudence et des questions préjudicielles
Le contentieux des prêts structurés est fortement influencé par les décisions des juridictions suprêmes. La Cour de cassation en France et la CJUE au niveau européen rendent régulièrement des arrêts qui précisent l’étendue des obligations des banques et des droits des emprunteurs. Les tribunaux français ont la possibilité de poser des « questions préjudicielles » à la CJUE pour s’assurer que leur interprétation du droit national est conforme au droit de l’Union. Ce dialogue des juges a été un moteur puissant pour le renforcement de la protection des consommateurs en Europe. Suivre cette actualité jurisprudentielle est un travail d’expert qui permet d’ajuster les stratégies de défense et d’identifier de nouvelles opportunités pour les emprunteurs lésés.
La complexité des prêts à taux variable et en devises, ainsi que les enjeux financiers qu’ils représentent, exigent une vigilance absolue. Si vous avez souscrit un tel prêt ou si vous envisagez de le faire, l’intervention d’un conseil juridique est plus qu’une précaution, c’est une nécessité. Pour analyser la conformité de votre contrat et défendre vos intérêts, contactez notre cabinet d’avocats compétent en droit bancaire.
Sources
- Code de la consommation
- Code monétaire et financier
- Code civil
- Code général des collectivités territoriales
- Loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation