La saisie des récoltes sur pieds constitue une voie d’exécution particulière. Elle permet au créancier muni d’un titre exécutoire de saisir les fruits et récoltes avant même leur séparation du sol. Cette procédure obéit à des règles précises.
Critères de saisissabilité des récoltes
Toutes les récoltes ne peuvent être saisies. Le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) fixe des conditions strictes.
Nature juridique des fruits saisissables
La saisie concerne exclusivement les fruits naturels ou industriels. L’article 583 du Code civil opère une distinction entre ces deux catégories:
- Les fruits naturels: produits spontanés de la terre
- Les fruits industriels: obtenus par la culture et l’intervention humaine
Cette distinction n’a pas d’incidence sur la saisissabilité. Les deux types peuvent être saisis. En revanche, les fruits civils (loyers, intérêts…) relèvent d’autres procédures comme la saisie-attribution.
La périodicité de mobilisation constitue un critère essentiel. Les végétaux doivent avoir une période de maturité impliquant une récolte périodique. C’est cette caractéristique qui fonde la distinction entre:
- Les arbres d’une pépinière (immeubles)
- Les bois taillis (saisissables)
Un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 1er mars 1839 a confirmé cette approche en considérant que les futaies mises en coupes réglées deviennent meubles après abattage et peuvent faire l’objet d’une saisie.
Limites à la saisissabilité
Des restrictions importantes s’appliquent. D’abord, les récoltes ne doivent pas faire l’objet d’une insaisissabilité légale. L’article R. 112-2, 15° du CPCE protège notamment « les animaux destinés à la subsistance du saisi ainsi que les denrées nécessaires à leur élevage ». Cette protection s’étend à la partie de récolte destinée à l’alimentation du débiteur et de sa famille.
L’absence d’immobilisation constitue une seconde limite majeure. Certains fruits liés à l’exploitation agricole ne peuvent être saisis indépendamment du fonds:
- Les pailles et semences évoquées à l’article 524 du Code civil
- Les récoltes pendantes destinées à devenir immeubles une fois détachées
- Les fruits d’un fonds ayant fait l’objet d’une saisie immobilière (immobilisation fictive)
Dans un arrêt du 5 mai 1981 (n° 79-15.966), la Cour de cassation a confirmé que les pailles et engrais nécessaires à l’exploitation ne peuvent être saisis indépendamment du fonds, car cela paralyserait l’exploitation.
Le moment précis de la saisie: la règle des 6 semaines
La détermination du moment opportun pour pratiquer la saisie relève d’une importance capitale.
Fondement de la limitation temporelle
L’article R. 221-57 du CPCE dispose que la saisie ne peut intervenir que « dans les six semaines qui précèdent l’époque habituelle de la maturité ». Cette restriction temporelle repose sur deux principes:
- La saisie doit précéder la séparation des fruits du sol
- Elle doit intervenir à une date proche de la maturité
La jurisprudence a validé cette restriction: une saisie anticipée serait nulle (Cass. civ., 29 août 1853).
Détermination de l’époque de maturité
L’époque de maturité varie selon:
- Le type de culture
- La région géographique
- Les conditions climatiques annuelles
Les chambres d’agriculture publient des recueils d’usages locaux qui établissent ces périodes de référence. Par exemple, le recueil des usages locaux du département de l’Eure (1972) fixe:
- Blé, seigle, orge, avoine: 10 juin
- Colza: entre le 15 avril et le 15 juillet
- Lin et pois: 1er mai
- Vigne et pommes de terre: 15 août
Un huissier prudent consultera un professionnel agricole avant d’arrêter la date de saisie.
Conséquences procédurales
Le délai de 6 semaines s’applique spécifiquement au procès-verbal de saisie. Le commandement préalable peut être signifié antérieurement. Cette organisation permet au créancier d’anticiper le délai d’attente de 8 jours après commandement.
Le non-respect de ce délai entraîne la nullité de la saisie. La Cour de cassation l’a clairement établi dans son arrêt du 29 août 1853. La charge de la preuve incombe au débiteur, qui devra démontrer que la saisie a été pratiquée plus de 6 semaines avant l’époque habituelle de maturité.
Cette saisie présente des risques pratiques majeurs, notamment la dégradation rapide des récoltes. C’est pourquoi elle suscite souvent l’intervention d’un professionnel du droit pour garantir sa validité et la bonne réalisation de la vente subséquente.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution: articles R. 221-57 à R. 221-61, R. 112-2, 15°
- Code civil: articles 520, 524, 583
- Cass. 3e civ., 5 mai 1981, n° 79-15.966
- Cass. civ., 29 août 1853
- CA Rouen, 1er mars 1839
- Garsonnet et Cézar-bru, Traité de procédure, 2e éd. t. 4, n° 1374
- Recueil des usages locaux du département de l’Eure (1972)
- Nathalie Casal, « SAISIE-VENTE. – Récoltes sur pieds », JurisClasseur Procédure civile, Fasc. 1600-85, 16 juillet 2021