Le régime juridique des saisies de navires en France : histoire et spécificités

Table des matières

Le droit qui encadre la saisie d’un navire est l’un des plus singuliers qui soit. Il se situe à la croisée des chemins entre plusieurs logiques juridiques, ce qui en fait un domaine d’une technicité particulière. Pour le créancier qui cherche à recouvrer sa créance comme pour l’armateur qui subit la mesure, comprendre les ressorts de ce régime est indispensable. L’immobilisation d’un navire n’est jamais un acte anodin : elle paralyse un outil économique majeur et engage des frais importants. Notre cabinet, par sa pratique dédiée aux voies d’exécution, intervient régulièrement dans ces procédures complexes qui exigent une maîtrise pointue de règles éparses et d’enjeux internationaux. Naviguer dans les méandres de l’expertise de solent avocats en matière de saisie de navire est essentiel pour sécuriser ses droits.

Introduction : le particularisme juridique du navire

Pour saisir la complexité du régime des saisies, il faut d’abord comprendre la nature même de l’objet saisi. Le navire n’est pas un bien comme les autres ; il échappe aux classifications traditionnelles du droit civil, ce qui a conduit le législateur à lui construire un statut sur mesure, particulièrement en matière de voies d’exécution.

Le navire, un bien hybride (meuble et immeuble)

Le Code civil, dans son article 531, range les navires dans la catégorie des biens meubles. Cette qualification semble logique : par nature, un navire est mobile. Pourtant, cette simplicité apparente masque une réalité juridique bien plus nuancée. En raison de leur importance économique et de leur valeur, les navires sont soumis à un régime d’immatriculation qui les rapproche considérablement des biens immeubles. Cette dualité se manifeste clairement dans les règles qui gouvernent la publicité des droits réels, comme la vente, ou la constitution de sûretés, au premier rang desquelles figure l’hypothèque maritime. Ce statut hybride, à mi-chemin entre le meuble et l’immeuble, justifie un régime dérogatoire pour leur saisie, une idée que l’on retrouve déjà esquissée dans le Code civil qui annonce que leur saisie peut être soumise à des « formes particulières ».

La spécificité des textes régissant la saisie des navires (loi de 1967, décret de 1967 et leur non-intégration au code de commerce)

Le particularisme du navire a conduit à l’édiction de textes qui lui sont exclusivement consacrés. Le droit français de la saisie des navires repose sur des fondations anciennes, principalement la loi n°67-5 du 3 janvier 1967 et son décret d’application n°67-967 du 27 octobre 1967. Ces textes, bien qu’ils constituent le socle du droit positif, présentent une singularité historique notable : ils n’ont jamais été intégrés au Code de commerce, même lors des grandes vagues de codification. Ils sont aujourd’hui en partie repris dans le Code des transports, mais leur esprit initial demeure. De plus, la grande réforme des procédures civiles d’exécution menée par la loi du 9 juillet 1991 et son décret de 1992 a soigneusement évité de toucher à ce bloc de compétence spécifique. Le régime de 1967 reste donc le droit applicable, un droit spécial qui déroge en de nombreux points au droit commun des saisies.

L’articulation entre droit interne et conventions internationales

La dimension internationale de l’activité maritime a rendu indispensable l’élaboration de règles unifiées pour dépasser les frontières nationales. La saisie d’un navire dans un port français implique ainsi une interaction permanente entre le droit interne et un corpus de conventions internationales, créant un paysage juridique à plusieurs niveaux.

La convention de bruxelles de 1952 et la nouvelle convention de 1999 : apports et différences

Le principal instrument international ratifié par la France est la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer. Cette convention a une importance pratique considérable, car elle s’applique dès lors qu’un navire battant pavillon d’un État contractant est saisi en France. Elle introduit une logique propre, notamment en limitant la possibilité de saisie aux seules « créances maritimes », dont elle dresse une liste exhaustive. Cette approche diffère fondamentalement de celle du droit français, qui autorise la saisie pour toute créance, qu’elle soit maritime ou terrestre. Une nouvelle convention a été adoptée à Genève le 12 mars 1999, avec l’ambition de moderniser et d’élargir le champ de la saisie. Bien qu’elle ne soit pas encore entrée en vigueur dans un grand nombre de pays maritimes majeurs, elle apporte des innovations notables, comme l’élargissement de la liste des créances maritimes (incluant par exemple les litiges liés à la vente d’un navire) et la généralisation de la compétence du tribunal du lieu de la saisie (le *forum arresti*). L’existence de ces deux textes, et la potentielle entrée en vigueur future de la seconde, oblige les praticiens à une vigilance constante sur le droit applicable en fonction du pavillon du navire et de la nature de la créance. Cette complexité illustre bien pourquoi les spécificités de la saisie conservatoire de navires et le déroulement de la saisie-exécution des navires sont des domaines qui requièrent une analyse au cas par cas.

La vocation subsidiaire du droit commun des saisies en droit maritime

Malgré l’existence de ce corpus de règles spéciales, qu’elles soient internes ou internationales, le droit commun des procédures civiles d’exécution n’est pas totalement écarté. Il conserve une vocation subsidiaire. Concrètement, cela signifie que pour toutes les questions que les textes maritimes ne règlent pas, ce sont les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution qui s’appliquent. Cette application subsidiaire est particulièrement importante en matière de saisie conservatoire, procédure pour laquelle le décret de 1967 est étonnamment laconique au regard de son importance pratique. Le droit commun agit alors comme un filet de sécurité procédural, venant combler les silences du droit spécial. C’est lui, par exemple, qui fixe le délai d’un mois pour engager une action au fond après la saisie, sous peine de caducité de la mesure.

La conciliation des intérêts : créancier saisissant et propriétaire du navire

Comme toute mesure d’exécution forcée, la saisie d’un navire met en balance des intérêts puissants et contradictoires. D’un côté, le droit légitime du créancier à obtenir le paiement de ce qui lui est dû. De l’autre, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre de l’armateur, dont l’outil de travail est paralysé.

La protection des intérêts économiques liés à l’exploitation du navire

Le régime juridique de la saisie de navires est construit sur une recherche d’équilibre. La saisie est un instrument de pression redoutable pour un créancier. En immobilisant un navire, on ne neutralise pas seulement un bien ; on stoppe une activité économique, on interrompt des contrats de transport, on génère des coûts d’immobilisation (frais de port, salaires de l’équipage) qui peuvent rapidement devenir exorbitants. L’efficacité de la mesure pour le créancier est donc proportionnelle au préjudice qu’elle cause au débiteur. Le droit prend en compte cette réalité économique. Des mécanismes comme la possibilité pour le juge d’autoriser le navire à effectuer un ou plusieurs voyages, moyennant la constitution d’une garantie suffisante, visent précisément à permettre la continuation de l’exploitation commerciale tout en protégeant les intérêts du créancier. De même, la possibilité d’obtenir la mainlevée de la saisie contre une caution bancaire ou une autre garantie permet de libérer le navire et de transformer l’immobilisation physique en une garantie financière.

Ce qui est exclu du champ d’application spécifique des saisies de navires

Le régime dérogatoire de la saisie de navires est d’interprétation stricte. Tout ce qui ne constitue pas le navire lui-même ou ses accessoires directs relève, en principe, du droit commun des saisies mobilières. Cette distinction est fondamentale en pratique.

La saisie des marchandises et des créances de fret (avec renvoi vers articles existants)

La saisie ne porte que sur le contenant, et non sur le contenu. Les marchandises transportées à bord, qui appartiennent à des tiers (les chargeurs), sont totalement exclues du champ de la saisie du navire. Un créancier de l’armateur ne peut en aucun cas faire saisir la cargaison pour recouvrer sa créance. La saisie de marchandises obéit au droit commun des saisies mobilières et soulève ses propres problématiques, notamment lorsqu’elles sont en cours de transport. De la même manière, la saisie des créances de fret, c’est-à-dire les sommes dues à l’armateur en contrepartie du transport, est régie par les procédures de saisie de créances de droit commun (saisie conservatoire de créances et saisie-attribution).

Le cas particulier de la saisie des soutes (avec renvoi vers article existant)

La question de la nature juridique des soutes (le carburant du navire) a donné lieu à d’importants débats jurisprudentiels. S’agit-il d’un simple « consommable » détachable du navire et donc saisissable selon le droit commun, ou d’un accessoire indispensable à son exploitation, relevant du régime spécial ? La Cour de cassation a tranché en faveur de la seconde option. Elle a considéré que les soutes, étant un élément essentiel à la propulsion du navire, devaient être considérées comme un accessoire de celui-ci. Par conséquent, leur saisie doit suivre le régime spécifique de la saisie de navires. Cette solution est logique : immobiliser les soutes revient, dans les faits, à immobiliser le navire lui-même. Il était donc cohérent de soumettre cette mesure aux mêmes règles, comme l’explique en détail notre article sur le régime juridique spécifique de la saisie des soutes.

Conclusion : un régime complexe et ses enjeux pratiques

Le droit de la saisie de navires est un domaine technique, façonné par l’histoire et les besoins spécifiques du commerce maritime. Son caractère dual, à la fois national et international, son statut juridique hybride et les enjeux économiques considérables qu’il recouvre en font une matière exigeant une expertise pointue. Que vous soyez un créancier cherchant à garantir vos droits ou un armateur confronté à une mesure d’immobilisation, une parfaite compréhension de ce cadre légal est indispensable pour défendre efficacement vos intérêts. L’assistance d’un avocat compétent dans ce domaine n’est pas un luxe, mais une nécessité pour naviguer sereinement dans ces procédures. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.

Sources

  • Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer
  • Décret n° 67-967 du 27 octobre 1967 relatif au statut des navires et autres bâtiments de mer
  • Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer
  • Code des transports
  • Code des procédures civiles d’exécution

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