Saisie des biens professionnels : fonds de commerce et licences d’exploitation

Table des matières

Engager une procédure de recouvrement contre un débiteur professionnel implique souvent de cibler ses actifs les plus précieux. Si la saisie de parts sociales est une voie connue, le créancier peut s’intéresser à d’autres biens, notamment le fonds de commerce ou les licences d’exploitation qui conditionnent l’activité. Toutefois, la nature de ces actifs rend leur appréhension par les voies d’exécution particulièrement complexe. Contrairement à une idée reçue, tous ne suivent pas le régime classique de la saisie des droits incorporels. La loi impose des procédures spécifiques, voire érige des obstacles qui rendent la saisie purement et simplement impossible. Comprendre ces régimes distincts est une étape déterminante pour tout créancier souhaitant évaluer ses chances de succès. L’échec d’une procédure de saisie peut entraîner des coûts importants et une perte de temps, justifiant un accompagnement pour les voies d’exécution sur biens professionnels.

Le fonds de commerce : une saisie exclue de la procédure des droits incorporels

Le fonds de commerce, qui représente l’ensemble des éléments mobilisés par un commerçant pour attirer une clientèle, est un bien meuble incorporel d’une nature particulière. En raison de sa composition hétérogène (enseigne, droit au bail, matériel, etc.), il ne peut être appréhendé par la procédure de saisie des droits incorporels. Le législateur a prévu une voie d’exécution qui lui est propre, pensée pour préserver la valeur de cet actif tout en organisant sa vente au profit des créanciers.

Spécificité de la procédure de vente forcée du fonds de commerce

La saisie du fonds de commerce est régie par les articles L. 143-1 et suivants du Code de commerce. Elle s’apparente davantage à une saisie immobilière dans son formalisme qu’à une saisie mobilière classique. La procédure débute par un commandement de payer signifié au débiteur, qui vise spécifiquement le fonds de commerce. À défaut de paiement, un procès-verbal de saisie est dressé. Ce n’est pas une saisie-vente ordinaire : la vente forcée du fonds doit se faire par adjudication publique, après une mise à prix et des formalités de publicité précises. Cette procédure lourde vise à garantir une réalisation de l’actif à son meilleur prix, protégeant ainsi les intérêts du débiteur et des différents créanciers, qu’ils soient chirographaires ou privilégiés, comme le bénéficiaire d’un nantissement de fonds de commerce comme sûreté mobilière.

L’insaisissabilité de la clientèle indépendamment du fonds

La clientèle est souvent décrite comme l’élément central et essentiel du fonds de commerce. Pourtant, elle n’a pas d’existence juridique autonome. Elle ne peut être cédée ou saisie séparément du fonds auquel elle est attachée. La jurisprudence considère la clientèle comme une conséquence de l’exploitation des autres éléments du fonds (emplacement, enseigne, savoir-faire). Par conséquent, un créancier ne peut pas cibler la clientèle en tant que telle. La seule manière de valoriser cet « actif » est de provoquer la vente de l’ensemble du fonds de commerce, dans l’espoir que l’acquéreur parviendra à conserver les clients et donc la valeur économique de l’exploitation.

Saisie des offices ministériels : une insaisissabilité de facto

Les offices ministériels, tels que les études d’huissiers de justice, de notaires ou de commissaires-priseurs, présentent un cas d’insaisissabilité de principe. Cette protection ne découle pas d’une disposition légale l’affirmant explicitement, mais des règles qui gouvernent l’accès à ces professions réglementées. Leur statut particulier les place en dehors du champ des saisies classiques, s’inscrivant dans la logique plus large qui protège certains biens insaisissables du patrimoine du débiteur.

Le principe de l’incessibilité du titre d’officier ministériel

Le titulaire d’un office ministériel exerce une fonction qui lui est conférée par l’État. Le droit de présentation, c’est-à-dire la faculté pour l’officier de proposer un successeur à l’agrément du Garde des Sceaux, est un droit patrimonial. Cependant, ce droit est strictement personnel (intuitu personae). Il ne peut être cédé librement et encore moins faire l’objet d’une vente forcée qui court-circuiterait le contrôle étatique. La transmission d’un office est subordonnée à des conditions de compétence, d’honorabilité et à un agrément discrétionnaire de l’autorité publique. Cette caractéristique fondamentale rend le titre lui-même incessible sans l’accord de la puissance publique.

Incompatibilité de l’adjudication avec l’agrément ministériel

La conséquence directe de ce caractère intuitu personae est l’impossibilité juridique de procéder à une vente par adjudication. Une telle vente attribuerait l’office au plus offrant, sans aucune garantie que l’adjudicataire remplisse les conditions requises pour exercer la profession. Le mécanisme de la saisie est donc incompatible avec la procédure d’agrément ministériel, qui est le pilier du système des officiers publics et ministériels. Le créancier ne peut donc pas forcer la vente de l’office pour se payer sur le prix. Il pourra tout au plus pratiquer une saisie des rémunérations ou des créances de l’officier ministériel, mais pas de son outil de travail principal.

Saisie des licences d’exploitation : des régimes spécifiques

De nombreuses professions sont conditionnées par l’obtention d’une licence administrative. Qu’il s’agisse d’une pharmacie, d’un débit de boissons ou d’un taxi, ces autorisations ont une valeur patrimoniale indéniable. Pour autant, leur saisissabilité est loin d’être uniforme et dépend étroitement du cadre juridique propre à chaque secteur d’activité. Le créancier doit analyser avec précision la nature de la licence avant d’engager une quelconque action.

Licences d’officine de pharmacie : saisissabilité liée au fonds de commerce

La licence d’exploitation d’une officine de pharmacie est intrinsèquement liée au fonds de commerce de la pharmacie. Elle n’est pas considérée comme un droit incorporel autonome qui pourrait être saisi séparément. La loi conditionne son octroi et son transfert à des critères géographiques et démographiques stricts, et elle est attachée à un lieu d’exploitation déterminé. En conséquence, un créancier ne peut pas isoler la licence pour la faire vendre. La seule voie possible est de saisir le fonds de commerce de la pharmacie dans son ensemble, selon la procédure de vente forcée spécifique au fonds de commerce. La valeur de la licence sera alors incluse dans le prix d’adjudication global du fonds.

Licences de débits de boissons : conditions de saisie et tiers détenteur

Les licences de débits de boissons (licences III et IV) sont, à la différence des licences de pharmacie, considérées comme des biens incorporels pouvant être saisis. Elles peuvent être vendues indépendamment du fonds de commerce auquel elles étaient attachées, à condition que le transfert respecte les règles fixées par le Code de la santé publique (zones protégées, etc.). La procédure de saisie des droits incorporels est ici applicable. Le créancier peut faire saisir la licence entre les mains du débiteur ou d’un tiers détenteur. L’acte de saisie rend la licence indisponible, empêchant le débiteur de la vendre. La réalisation de la saisie se fera par une vente aux enchères ou par une vente amiable sur autorisation judiciaire, permettant au créancier de recouvrer sa créance sur le prix obtenu.

Licences de taxi : distinction des régimes et limites de saisissabilité

Le cas des autorisations de stationnement (ADS), communément appelées « licences de taxi », est particulièrement technique. Il faut distinguer deux régimes. Les licences délivrées avant le 1er octobre 2014 étaient librement cessibles et constituaient un véritable actif patrimonial. À ce titre, elles pouvaient faire l’objet d’une saisie selon la procédure des droits incorporels. En revanche, la loi Thévenoud a modifié le régime pour les ADS délivrées après cette date : elles sont désormais incessibles et intransmissibles. Attachées à la personne du chauffeur qui les a obtenues, elles retournent à l’autorité administrative compétente à la fin de l’activité. Ces nouvelles licences n’ont donc aucune valeur marchande et ne peuvent, par définition, pas être saisies. Cette dualité de régimes impose au créancier une vérification minutieuse de la date d’obtention de la licence avant d’envisager toute poursuite.

Enjeux pratiques et défis juridiques pour le créancier

La saisie des biens professionnels immatériels est un terrain complexe où l’erreur d’aiguillage procédural peut être fatale à la démarche du créancier. L’hétérogénéité des régimes juridiques applicables au fonds de commerce, aux offices et aux différentes licences d’exploitation crée de véritables défis pratiques. Une analyse préalable rigoureuse est la clé pour sécuriser la procédure de recouvrement.

L’importance de l’identification précise de la nature du bien professionnel

Avant toute chose, le créancier doit identifier sans équivoque la nature juridique de l’actif qu’il convoite. S’agit-il d’un fonds de commerce incluant une licence, d’une licence cessible de manière autonome, ou d’une autorisation personnelle insaisissable ? La réponse à cette question conditionne l’ensemble de la stratégie. Par exemple, confondre une licence de taxi cessible avec une nouvelle licence incessible conduira à une procédure vouée à l’échec. De même, la question peut se poser pour d’autres actifs, comme la valeur que peut représenter un fichier client, dont l’appréhension est également encadrée par des règles spécifiques, notamment en matière de protection des données. La saisie des fichiers clients est une procédure distincte qui doit être menée avec prudence.

L’adaptation de la procédure aux spécificités de chaque licence

Une fois le bien identifié, le créancier doit appliquer la procédure adéquate. Tenter une saisie de droits incorporels sur un fonds de commerce sera sanctionné par la nullité. Inversement, ne pas respecter le formalisme de la saisie de droits incorporels pour une licence de débit de boissons la privera de toute efficacité. Chaque étape, de l’acte de saisie à la réalisation de la vente, doit être scrupuleusement conforme aux textes applicables. Cette complexité démontre que la saisie d’actifs professionnels ne s’improvise pas et requiert une expertise juridique pour éviter les écueils procéduraux et maximiser les chances de recouvrement.

La diversité des régimes applicables à la saisie des fonds de commerce et licences d’exploitation illustre la nécessité d’une analyse fine avant toute action. Engager une procédure inadaptée représente non seulement une perte de temps, mais aussi un risque financier pour le créancier. Pour évaluer la faisabilité d’une saisie sur ce type d’actifs et sécuriser vos démarches de recouvrement, prenez contact avec notre équipe d’avocats.

Sources

  • Code de commerce (notamment les articles L. 141-5 et suivants sur le nantissement et L. 143-1 et suivants sur la saisie du fonds de commerce)
  • Code des procédures civiles d’exécution (notamment les articles L. 231-1 et suivants sur la saisie des droits incorporels)
  • Code de la santé publique (pour les licences de débits de boissons et d’officines de pharmacie)
  • Loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur (dite « loi Thévenoud »)

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