Saisie des connaissances techniques : secrets de fabrique, topographies et obtentions végétales

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Lorsqu’une entreprise est endettée, ses créanciers cherchent légitimement à recouvrer leurs fonds en saisissant ses actifs. L’imaginaire collectif pense immédiatement aux biens matériels comme les véhicules, le stock ou l’immobilier. Pourtant, la véritable valeur d’une entreprise réside souvent dans son patrimoine immatériel. Ces actifs, bien que non palpables, peuvent faire l’objet de procédures de recouvrement complexes. Les voies d’exécution spécifiques aux actifs immatériels permettent de cibler cette richesse cachée. Au-delà des marques et des brevets, la loi s’intéresse à des formes plus discrètes mais tout aussi stratégiques de savoir-faire, qui ne répondent pas toutes au même régime. Comprendre la distinction entre un secret de fabrique, une topographie de semi-conducteur et une obtention végétale est fondamental pour déterminer si une saisie est envisageable. Ce sont en effet des droits incorporels avec des applications spéciales, dont le traitement juridique varie considérablement.

Définition et typologie des connaissances techniques

La notion de « connaissances techniques » recouvre un ensemble hétérogène de créations et d’informations qui confèrent un avantage compétitif à leur détenteur. Contrairement aux droits d’auteur ou aux marques, ces connaissances ne sont pas toujours matérialisées par un titre de propriété formellement enregistré. Leur protection et, par conséquent, leur capacité à être saisies par un créancier dépendent de leur nature juridique précise. Le droit opère une distinction fondamentale entre les informations confidentielles, protégées par le secret, et les droits de propriété industrielle qui font l’objet d’un enregistrement conférant un monopole d’exploitation.

Les secrets de fabrique : un régime particulier d’insaisissabilité

Le secret de fabrique, souvent désigné par le terme plus large de savoir-faire (« know-how »), représente un ensemble d’informations techniques, commerciales ou stratégiques qui ne sont pas brevetées. Pour être qualifiée de secret de fabrique, une information doit remplir trois conditions cumulatives, désormais codifiées à l’article L. 151-1 du Code de commerce. Elle doit être non connue du public, avoir une valeur commerciale du fait de son caractère secret et faire l’objet de mesures de protection raisonnables de la part de son détenteur pour conserver sa confidentialité.

C’est précisément la nature de cette protection qui explique son insaisissabilité. Le secret de fabrique n’est pas un droit de propriété au sens classique, comme un brevet. Il ne confère pas un monopole d’exploitation opposable à tous, mais plutôt un droit de s’opposer à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicites de l’information. La protection repose sur la confidentialité et non sur un titre. Une saisie, par définition, impliquerait un transfert de propriété forcé et une potentielle divulgation qui anéantirait la valeur même de l’actif. On ne peut pas « saisir » une information confidentielle sans la révéler et donc la détruire. Par conséquent, les secrets de fabrique sont exclus du champ des procédures de saisie-attribution ou de saisie-vente.

Les topographies de produits semi-conducteurs : protection et saisissabilité

À l’opposé du secret de fabrique, la topographie de produit semi-conducteur est une connaissance technique qui fait l’objet d’un véritable titre de propriété industrielle. Il s’agit du dessin en trois dimensions des circuits intégrés, communément appelés « puces électroniques ». Cette création intellectuelle bénéficie d’une protection spécifique régie par les articles L. 622-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour être protégé, le schéma de la topographie doit résulter d’un effort intellectuel propre à son créateur et ne pas être courant. La protection est acquise par un dépôt auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), qui confère au titulaire un monopole d’exploitation pour une durée de dix ans. Ce droit enregistré est un bien incorporel, clairement identifiable et évaluable. Il peut être vendu, cédé, ou donné en licence. En tant qu’élément d’actif cessible, il est par nature saisissable par les créanciers du titulaire du droit.

Les obtentions végétales : un droit exclusif saisissable

Dans le secteur de l’agro-industrie et de l’horticulture, l’innovation repose largement sur la création de nouvelles variétés de plantes. Le droit reconnaît cet effort par le biais du certificat d’obtention végétale (COV), un titre de propriété industrielle qui confère à l’obtenteur un droit exclusif sur la variété qu’il a développée.

Régi par les articles L. 623-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, le COV est délivré par une autorité dédiée, l’Instance nationale des obtentions végétales (INOV), après un examen technique démontrant que la variété est nouvelle, distincte, homogène et stable. Le certificat accorde un monopole sur la production, la commercialisation et l’utilisation de la variété protégée pour une durée de 25 à 30 ans selon les espèces. Tout comme le droit sur une topographie de semi-conducteur, le COV est un actif incorporel, inscrit sur un registre public, qui peut faire l’objet de contrats et de transferts. Il entre donc dans le patrimoine du débiteur et peut être appréhendé par ses créanciers par la voie d’une saisie.

Procédure de saisie pour les connaissances techniques saisissables

La saisissabilité des topographies de produits semi-conducteurs et des certificats d’obtention végétale est donc acquise. Cependant, le Code des procédures civiles d’exécution ne détaille pas de procédure spécifique pour ces droits particuliers. Comment un créancier peut-il concrètement les appréhender pour recouvrer sa dette ? La réponse se trouve dans une application par analogie des règles existantes pour d’autres droits incorporels.

Le tiers saisi et l’enregistrement de la saisie (INPI, Instance nationale des obtentions végétales)

La procédure de saisie des droits incorporels, comme les parts sociales, implique un « tiers saisi ». Il s’agit de la personne morale entre les mains de qui la saisie est pratiquée. Dans le cas des droits de propriété industrielle enregistrés, le tiers saisi est logiquement l’organisme qui tient le registre public de ces droits.

Pour une topographie de produit semi-conducteur, l’acte de saisie doit être signifié à l’INPI. Pour un certificat d’obtention végétale, il doit être adressé à l’INOV. Cette signification a pour effet de rendre le droit indisponible entre les mains du débiteur. Celui-ci ne peut plus le vendre ou le céder. Pour que la saisie soit opposable aux tiers, c’est-à-dire à d’éventuels acheteurs ou licenciés ultérieurs, elle doit impérativement faire l’objet d’une inscription sur le registre concerné. Cette publicité est une étape clé qui sécurise la procédure pour le créancier.

L’application par analogie des règles de la saisie des brevets d’invention

Face au silence des textes spécifiques, la pratique juridique et la jurisprudence ont transposé la procédure applicable à un autre grand titre de propriété industrielle : le brevet d’invention. Le régime de saisie des brevets d’invention fournit un cadre procédural complet et éprouvé qui est appliqué par analogie.

Cette démarche implique plusieurs étapes : la signification de l’acte de saisie au titulaire du droit (le débiteur) et au tiers saisi (INPI ou INOV), la dénonciation de la saisie au débiteur dans un délai de huit jours, et enfin, la vente forcée du droit. Cette vente se déroule généralement aux enchères publiques, sous le contrôle d’un juge, afin de transformer l’actif incorporel en une somme d’argent permettant de désintéresser le créancier. L’ensemble de ce processus est technique et requiert une grande précision pour éviter tout vice de procédure qui pourrait entraîner la nullité de la saisie.

Enjeux pratiques et défis de la saisie

La possibilité de saisir des droits de propriété industrielle comme les topographies ou les obtentions végétales ouvre des perspectives intéressantes pour les créanciers. Néanmoins, la mise en œuvre de ces procédures soulève des difficultés pratiques importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. La complexité de ces actifs immatériels rend leur appréhension bien plus ardue que celle de biens matériels.

L’évaluation de la valeur économique

Le défi majeur réside dans l’évaluation de la valeur de ces droits. Combien vaut une topographie de semi-conducteur ou un certificat d’obtention végétale ? Il n’existe pas de cote officielle ou de marché public facilement accessible pour de tels actifs. La valeur dépend d’une multitude de facteurs : la technologie sous-jacente est-elle encore pertinente ? Quelle est la durée de protection restante ? Existe-t-il des technologies concurrentes ? Le droit génère-t-il déjà des revenus de licence ?

Répondre à ces questions nécessite une expertise pointue, souvent à la croisée du droit, de la finance et de la technologie concernée. Le créancier doit mandater des experts pour procéder à une évaluation crédible, qui pourra servir de base à la mise à prix lors de la vente aux enchères. Une évaluation erronée peut soit dissuader les acheteurs potentiels, soit léser les intérêts du débiteur en bradant un actif de grande valeur.

L’accompagnement d’un avocat compétent

Dans ce contexte, l’intervention d’un avocat ayant une pratique dédiée à ces questions est indispensable. Pour le créancier, l’avocat joue un rôle stratégique pour identifier ces actifs incorporels dans le patrimoine du débiteur, piloter la procédure de saisie par analogie en respectant un formalisme strict, et coordonner l’intervention des experts évaluateurs. Il s’assure que chaque étape, de la signification de l’acte à l’inscription sur les registres, est correctement exécutée pour sécuriser la créance.

Pour le débiteur, l’avocat est tout aussi important. Il vérifie la validité de la procédure engagée et peut contester d’éventuelles irrégularités. Il intervient également pour défendre une juste valorisation de l’actif, afin d’éviter une vente à perte qui aggraverait la situation financière de son client. Le dialogue entre les avocats des deux parties est souvent un facteur déterminant pour trouver une issue équilibrée, que ce soit par la vente forcée ou par une solution négociée.

La saisie des connaissances techniques est une procédure exigeante qui demande une analyse fine de la nature des droits concernés et une maîtrise des voies d’exécution. Si vous êtes créancier et souhaitez explorer cette voie pour recouvrer une dette, ou si vous êtes débiteur et que vos actifs immatériels font l’objet d’une telle mesure, l’assistance d’un conseil est primordiale. N’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options et définir une stratégie adaptée.

Sources

  • Code de la propriété intellectuelle (notamment les dispositions relatives aux secrets des affaires, aux topographies de produits semi-conducteurs et aux certificats d’obtention végétale)
  • Code de commerce (en particulier les articles sur la protection du secret des affaires)
  • Code des procédures civiles d’exécution (pour les principes généraux de la saisie des droits incorporels)

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