Poursuivre le recouvrement d’une créance implique souvent de rechercher les actifs saisissables dans le patrimoine du débiteur. Si l’on pense spontanément aux biens immobiliers ou aux comptes bancaires, il ne faut pas négliger la valeur considérable que peuvent représenter les droits de propriété intellectuelle. Marques, brevets ou droits d’auteur sont des actifs à part entière, dont la saisie obéit cependant à des règles spécifiques. Loin d’être une simple formalité, leur appréhension nécessite une véritable stratégie et une expertise pointue. Il s’agit d’une branche spécifique des voies d’exécution, qui explore les différentes catégories de droits incorporels saisissables au-delà des parts sociales. Cette démarche inclut non seulement les droits de propriété intellectuelle classiques, mais peut s’étendre à des actifs plus confidentiels comme la saisie des connaissances techniques ou encore la procédure de saisie des dessins et modèles. Faire appel à l’expertise d’un avocat en voies d’exécution pour les droits incorporels est alors déterminant pour mener à bien ces procédures complexes.
Saisie des droits d’auteur : entre insaisissabilité morale et saisissabilité patrimoniale
Le droit d’auteur présente une dualité fondamentale qui impacte directement sa saisissabilité. Il se compose de prérogatives morales, attachées à la personne de l’auteur, et de droits patrimoniaux, qui ont une valeur économique et peuvent, à ce titre, être saisis par les créanciers.
Distinction entre droit moral et droit d’exploitation
Le droit moral est l’expression du lien personnel et inaltérable entre un auteur et son œuvre. Il comprend le droit à la paternité (être reconnu comme l’auteur), le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre ou encore le droit de divulgation. En vertu de l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, ce droit est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Son caractère personnel le rend totalement insaisissable. Un créancier ne peut donc pas forcer un auteur à divulguer une œuvre ou à en modifier le contenu.
À l’inverse, les droits patrimoniaux (ou droits d’exploitation) confèrent à l’auteur le monopole d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de son œuvre. Ils comprennent le droit de reproduction et le droit de représentation. Ces droits ont une nature économique : ils peuvent être cédés, donnés en licence et générer des revenus (redevances, royalties). C’est cette dimension patrimoniale qui les rend saisissables.
Procédure de saisie du droit d’exploitation et de ses produits
La saisie peut porter sur deux éléments distincts : le droit d’exploitation lui-même ou les revenus qu’il génère. La saisie des produits, c’est-à-dire les redevances dues à l’auteur par un éditeur, un producteur ou une société de gestion collective (SACEM, SCAM, etc.), est la plus fréquente. Elle s’effectue par la voie d’une saisie-attribution entre les mains du tiers qui verse ces revenus. Le créancier saisit ainsi les « loyers » de l’œuvre.
La saisie du droit d’exploitation en tant que tel est plus complexe. Elle revient à priver l’auteur de son droit de décider de l’exploitation de son œuvre pour le transférer à un acquéreur lors d’une vente forcée. Cette procédure suit le régime de la saisie des droits incorporels autres que les parts sociales, impliquant la signification d’un acte de saisie au débiteur et la vente du droit aux enchères.
Protection des créances à caractère alimentaire
Une limite importante existe à la saisissabilité des revenus issus du droit d’auteur. Lorsque ces redevances constituent la principale source de revenus de l’auteur et ont un caractère alimentaire, elles bénéficient d’une protection similaire à celle des salaires. Le Code des procédures civiles d’exécution prévoit des quotités insaisissables, calculées en fonction du montant des revenus et de la situation familiale du débiteur. L’intégralité des sommes ne peut donc pas être appréhendée par le créancier, afin de garantir à l’auteur un minimum vital.
Saisie des brevets d’invention et titres connexes
Le brevet d’invention n’est pas une simple reconnaissance intellectuelle ; c’est un titre de propriété industrielle qui confère un monopole d’exploitation. En tant qu’actif économique, il peut faire l’objet d’une saisie par les créanciers de son titulaire.
Le droit exclusif d’exploitation et sa saisissabilité
La valeur d’un brevet réside dans le droit exclusif qu’il accorde à son titulaire d’interdire à tout tiers la fabrication, l’usage ou la commercialisation de l’invention brevetée sur un territoire donné et pour une durée limitée. Ce monopole est un actif incorporel qui peut être vendu, apporté en société ou donné en licence. Il est donc logiquement saisissable. La saisie permet à un créancier de faire vendre ce droit exclusif pour se payer sur le prix obtenu.
La procédure spéciale de saisie des brevets (L. 613-21 CPI)
Contrairement au droit d’auteur ou à la marque, le législateur a prévu une procédure spécifique pour la saisie des brevets. L’article L. 613-21 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la saisie est « effectuée par acte extrajudiciaire signifié au propriétaire du brevet, ainsi qu’à l’Institut national de la propriété industrielle ». La signification à l’INPI est une étape fondamentale. Elle rend la saisie opposable aux tiers, ce qui signifie que le titulaire du brevet ne peut plus le vendre ou le céder librement à partir de ce moment. Cet acte doit contenir, à peine de nullité, un certain nombre de mentions obligatoires, notamment l’identité du créancier, le titre exécutoire en vertu duquel il agit et le décompte des sommes dues.
Enregistrement au Registre national des brevets et phase de vente
Suite à la signification, la saisie doit être inscrite au Registre national des brevets tenu par l’INPI. Cette publicité est essentielle car elle informe quiconque consulterait le registre de l’existence de la procédure d’exécution. L’inscription « gèle » en quelque sorte la situation juridique du brevet. Une fois la saisie effective et inscrite, le créancier peut engager la phase de vente. La cession forcée du brevet suit alors les règles applicables à les mécanismes de vente forcée des droits incorporels. Elle se réalise généralement aux enchères publiques, sauf si le juge autorise une vente de gré à gré, afin d’obtenir le meilleur prix possible de cet actif très particulier.
Saisie des marques : protéger la valeur d’un signe distinctif
La marque est souvent l’un des actifs les plus précieux d’une entreprise. Elle représente son identité, sa réputation et la confiance des consommateurs. Cet actif incorporel, véritable bien meuble, peut être saisi par un créancier.
Acquisition de la propriété de la marque par enregistrement
La propriété d’une marque, et les droits qui y sont attachés, ne naît pas de son simple usage. Elle s’acquiert par son enregistrement auprès d’un office de propriété industrielle, comme l’INPI en France. Cet enregistrement confère au titulaire un droit de propriété exclusif sur le signe pour les produits ou services désignés, pour une durée de dix ans indéfiniment renouvelable. C’est ce titre de propriété qui constitue l’objet de la saisie.
Procédure de saisie en l’absence de texte spécial
À la différence du brevet, il n’existe pas de procédure de saisie spécifique pour les marques dans le Code de la propriété intellectuelle. Il convient donc d’appliquer la procédure de droit commun pour la saisie des droits incorporels, prévue par le Code des procédures civiles d’exécution. La mesure est initiée par la signification d’un procès-verbal de saisie au débiteur titulaire de la marque. Cet acte doit être dénoncé à l’INPI pour assurer son opposabilité aux tiers. En effet, sans cette notification à l’office, le débiteur pourrait tenter de céder la marque à un tiers de bonne foi, faisant ainsi échec à la procédure du créancier.
Formalités post-vente et transmission de la marque
Une fois la saisie réalisée, le créancier peut provoquer la vente de la marque. Comme pour les autres droits incorporels, cette étape suit les règles de la vente forcée des droits incorporels, qui aboutit le plus souvent à une adjudication aux enchères. L’acquéreur (l’adjudicataire) devient alors le nouveau propriétaire de la marque. Pour que ce transfert de propriété soit pleinement effectif et opposable à tous, il est indispensable de le faire inscrire au Registre national des marques. Sans cette inscription, l’ancien propriétaire resterait officiellement le titulaire aux yeux des tiers, ce qui pourrait engendrer des conflits juridiques complexes.
Enjeux et défis pratiques de ces saisies spécifiques
La saisie des droits de propriété intellectuelle soulève des difficultés pratiques qui exigent une expertise pointue. Ces procédures vont bien au-delà d’une simple application mécanique des textes et demandent une analyse fine de chaque situation.
L’identification des droits et la détermination du tiers saisi
Le premier défi pour un créancier est d’identifier précisément les droits détenus par son débiteur. Si les registres de l’INPI permettent de rechercher les marques et brevets, l’exercice est plus complexe pour les droits d’auteur, qui ne sont pas soumis à un dépôt obligatoire. Il faut alors mener une enquête pour découvrir les œuvres créées et les contrats d’exploitation signés. De plus, il est parfois difficile de déterminer qui est le tiers saisi pertinent. S’agit-il de la société d’édition, du producteur, de la plateforme de streaming, ou d’une société de gestion collective ? Chaque cas demande une investigation pour adresser la procédure à la bonne entité.
L’évaluation de la valeur économique des droits de propriété intellectuelle
L’autre enjeu majeur est l’évaluation de ces actifs. Combien vaut un brevet qui n’est pas encore exploité industriellement ? Quelle est la valeur d’une marque dans un secteur de niche ? Comment estimer les futurs revenus d’un droit d’auteur ? La valorisation est une étape déterminante, car elle conditionne l’opportunité même de lancer une procédure de saisie et le prix que l’on peut espérer de la vente. Cette évaluation fait souvent appel à des experts financiers ou à des spécialistes du secteur concerné. Une mauvaise estimation peut conduire soit à une vente à perte, soit à l’échec de la vente faute d’acquéreurs, engageant inutilement des frais pour le créancier.
La saisie des droits de propriété intellectuelle est une voie de recouvrement puissante mais exigeante. Chaque type de droit répond à des logiques juridiques et pratiques distinctes, nécessitant une approche sur mesure. Pour sécuriser vos actions de recouvrement et naviguer efficacement ces procédures, l’accompagnement par notre cabinet d’avocats compétent en voies d’exécution vous assure une stratégie adaptée et rigoureuse.
Sources
- Code de la propriété intellectuelle
- Code des procédures civiles d’exécution