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Saisies et sûretés spécifiques : actions, parts sociales, comptes européens et impact des procédures collectives

Table des matières

Nos articles précédents ont abordé les mesures conservatoires les plus courantes, celles qui portent sur les biens meubles, les créances classiques comme les soldes bancaires, ou encore les sûretés sur les immeubles et les fonds de commerce. Cependant, le paysage juridique est plus vaste et complexe. Certains types de biens, comme les actions ou les parts sociales, et certaines situations, comme les litiges internationaux ou les difficultés financières d’une entreprise, appellent des règles spécifiques qu’il est important de connaître.

Nous allons examiner ici trois domaines particuliers qui sortent du cadre général :

  • Comment appréhender les actions, parts sociales et autres valeurs mobilières détenues par votre débiteur ?
  • Comment agir efficacement sur un compte bancaire situé dans un autre pays de l’Union Européenne ?
  • Quel est l’impact, souvent redoutable, d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) ouverte contre votre débiteur sur les mesures conservatoires que vous avez prises ou que vous comptiez prendre ?

Ces questions sont particulièrement pertinentes pour les entreprises, les investisseurs, ou toute personne ayant des relations commerciales ou financières qui dépassent le simple cadre local ou qui impliquent des sociétés.

Saisir ou nantir des actions, parts sociales ou valeurs mobilières

Les actions de sociétés cotées, les parts de SARL ou de sociétés civiles, les obligations ou autres titres financiers représentent souvent une part importante du patrimoine d’un débiteur. Peut-on les « bloquer » à titre conservatoire ? La réponse est oui, mais avec des règles adaptées à leur nature incorporelle et à leur mode de détention (souvent via des intermédiaires financiers ou la société émettrice elle-même). Le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) prévoit deux approches : la saisie conservatoire et le nantissement judiciaire conservatoire.

La saisie conservatoire des droits d’associé et valeurs mobilières

Comme pour les autres biens, la saisie vise ici à rendre les titres indisponibles (article L. 521-1 du CPCE).

  • Procédure : L’huissier de justice, muni de l’autorisation du juge ou d’un titre vous dispensant de cette autorisation, signifie un acte de saisie non pas directement au débiteur, mais à la société émettrice des titres ou à l’intermédiaire financier qui tient le compte-titres du débiteur (banque, courtier…). Les articles R. 524-1 et R. 232-1 à R. 232-4 du CPCE précisent à qui s’adresser selon la nature des titres (nominatifs, au porteur…). Ensuite, cette saisie doit être dénoncée au débiteur par acte d’huissier dans les huit jours, sous peine de caducité (article R. 524-2 du CPCE).
  • Effets : La saisie rend indisponibles les droits pécuniaires attachés aux titres saisis. Cela inclut le droit de vendre les titres, mais aussi le droit d’en percevoir les fruits (dividendes, intérêts) ou le produit de leur liquidation (article R. 524-3 renvoyant à R. 232-8 du CPCE). En revanche, sauf exception, le débiteur conserve ses droits politiques, comme le droit de vote aux assemblées générales. L’indisponibilité porte sur l’ensemble des titres de la catégorie visée détenus par le débiteur chez le tiers saisi.
  • Conversion : Après avoir obtenu un titre exécutoire définitif, si le débiteur ne paie pas, la saisie conservatoire peut être convertie en saisie-vente des titres (articles R. 524-4 à R. 524-6 du CPCE). La procédure de vente forcée suivra alors des règles spécifiques selon que les titres sont cotés en bourse ou non (renvoi aux articles R. 233-3 et suivants du CPCE).

Le nantissement judiciaire conservatoire

Plutôt que de bloquer totalement les titres, vous pouvez préférer prendre une garantie dessus, sous forme de nantissement judiciaire (article L. 531-1 du CPCE). Cela vous donnera une priorité en cas de vente, sans empêcher totalement le débiteur de gérer son portefeuille (sous certaines conditions).

  • Procédure (Publicité) : La publicité provisoire s’effectue, comme pour la saisie, par signification d’un acte à la société émettrice ou à l’intermédiaire financier (articles R. 532-3 et R. 532-4 du CPCE). Pour les parts de certaines sociétés (comme les sociétés civiles immatriculées), une inscription au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) peut aussi être nécessaire. Le débiteur doit être informé dans les huit jours. La publicité définitive, après obtention du titre exécutoire définitif, se fait par une nouvelle signification dans le délai de deux mois requis (article R. 533-3 du CPCE).
  • Effets : Le nantissement crée un droit de préférence pour le créancier sur la valeur des titres. Les titres restent aliénables par le débiteur (article L. 531-2 du CPCE), mais s’ils sont vendus, votre droit se reporte sur le prix qui devra être consigné (article R. 532-8 du CPCE). La publicité définitive conserve le rang acquis par la publicité provisoire.
  • Particularité : l’agrément : Pour les parts de certaines sociétés (SARL, sociétés civiles notamment), même si vous avez un nantissement définitif, la réalisation forcée (vente) ou l’attribution des parts peut être soumise à l’agrément des autres associés ou de la société, conformément aux statuts et à la loi (ex: article 1867 du Code civil, L. 223-15 du Code de commerce). C’est une contrainte à anticiper.

La saisie européenne des comptes bancaires : agir par-delà les frontières

Votre débiteur a des comptes bancaires bien garnis… mais dans un autre pays de l’Union Européenne ? Jusqu’à récemment, obtenir le blocage de ces fonds était un parcours complexe et souvent inefficace. Pour remédier à cela, l’Union Européenne a adopté le Règlement (UE) n° 655/2014, entré en vigueur en janvier 2017, créant une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires (OESC ou EAPO en anglais). Ce règlement s’inscrit dans un cadre plus large de coopération judiciaire en matière civile au sein de l’UE, qui inclut également la gestion des faillites transfrontalières.

Quel est l’objectif ?

Permettre à un créancier d’obtenir, via une procédure unique et rapide auprès d’un juge de son pays (ou du pays compétent pour le litige), une ordonnance pour faire geler les fonds détenus par son débiteur sur des comptes bancaires situés dans d’autres États membres de l’UE (sauf le Danemark). Il s’agit bien d’une mesure conservatoire : elle bloque les fonds mais ne permet pas encore au créancier d’être payé.

Conditions principales :

  • Il doit s’agir d’un litige transfrontière : le compte à saisir doit être dans un autre État membre que celui du tribunal saisi de la demande d’OESC ou celui du domicile du créancier (Article 3 du Règlement).
  • Le créancier doit démontrer que sa créance paraît fondée.
  • Il doit prouver un besoin urgent de mesure conservatoire car il existe un risque réel que, sans cette mesure, le recouvrement ultérieur de sa créance soit empêché ou rendu sensiblement plus difficile (Article 7). Si le créancier n’a pas encore de jugement, cette exigence de preuve du risque est renforcée.

Comment ça marche ?

  • Procédure uniformisée : La demande se fait via des formulaires types européens (Article 8).
  • Non contradictoire au départ : Pour préserver l’effet de surprise, le débiteur n’est pas informé de la demande initiale (Article 11).
  • Rapidité : Les juges doivent statuer dans des délais très courts (5 ou 10 jours ouvrables selon les cas) après réception de la demande complète (Article 18).
  • Garantie financière : Le juge peut (et doit souvent, si le créancier n’a pas de jugement) exiger du créancier qu’il fournisse une garantie financière pour couvrir d’éventuels dommages causés au débiteur si l’OESC s’avérait injustifiée (Article 12). Le créancier est responsable du préjudice causé (Article 13).
  • Recherche d’informations : Si vous ne connaissez pas les coordonnées bancaires exactes de votre débiteur dans un autre État membre, vous pouvez demander au juge d’utiliser les mécanismes prévus par le règlement pour obtenir ces informations auprès des autorités de l’autre État (Article 14).

Les effets de l’ordonnance :

  • Reconnaissance et exécution directes : C’est le grand avantage ! Une OESC délivrée dans un État membre est reconnue et exécutée dans les autres États membres sans qu’il soit besoin d’aucune procédure locale (pas d’exequatur) (Article 22).
  • Mise en œuvre par la banque : La banque étrangère qui reçoit l’OESC doit la mettre en œuvre sans délai et geler les fonds à hauteur du montant indiqué (Article 24). Les fonds excédant ce montant restent disponibles pour le débiteur. La banque doit ensuite déclarer si elle a pu exécuter la mesure (Article 25).
  • Information et recours du débiteur : Le débiteur est informé de la saisie après qu’elle a été réalisée (Article 28). Il dispose alors de voies de recours spécifiques prévues par le règlement pour contester l’ordonnance (Articles 33, 34) ou pour proposer une garantie de remplacement (Article 38).

Attention, le règlement ne s’applique pas à toutes les matières (sont exclus notamment les régimes matrimoniaux, les successions, les faillites, l’arbitrage – Article 2).

Mesures conservatoires et entreprises en difficulté (procédures collectives)

Lorsqu’un débiteur (entreprise, commerçant, artisan, profession libérale…) fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, les règles du jeu changent radicalement pour ses créanciers. L’objectif prioritaire devient la survie de l’entreprise (si possible) et le traitement collectif et égalitaire des créanciers, sous l’égide du tribunal de commerce ou judiciaire.

Cela a des conséquences directes et souvent sévères sur les mesures conservatoires :

  • Arrêt des poursuites individuelles : Le jugement qui ouvre la procédure collective arrête ou interdit toute action en justice des créanciers visant à obtenir le paiement d’une créance née avant ce jugement. Cela inclut l’interdiction de commencer de nouvelles mesures conservatoires pour ces créances antérieures (article L. 622-21 du Code de commerce).
  • Interdiction d’inscrire de nouvelles sûretés : Il est également interdit d’inscrire de nouvelles hypothèques ou de nouveaux nantissements (y compris judiciaires) après le jugement d’ouverture (article L. 622-30 du Code de commerce).
  • Sort des mesures conservatoires prises AVANT le jugement :
    • Saisies conservatoires (meubles, créances…) : Si elles n’ont pas été converties en mesure d’exécution (saisie-vente, saisie-attribution) avant le jugement d’ouverture, elles deviennent généralement ineffectives. Le mandataire judiciaire peut en demander la mainlevée. Selon une jurisprudence constante, la saisie conservatoire de créance non convertie perd même le bénéfice du privilège qu’elle conférait (basé sur Com. 22 avr. 1997 et décisions ultérieures). Seule une conversion finalisée avant le jugement sauve la mesure.
    • Sûretés judiciaires (hypothèque, nantissement) : La situation est plus favorable. Si la publicité provisoire a été valablement effectuée avant le jugement d’ouverture (et idéalement avant la date de cessation des paiements), le créancier conserve son rang. Il peut même accomplir la publicité définitive après le jugement d’ouverture, une fois qu’il aura obtenu son titre exécutoire définitif (basé sur Com. 3 mai 2016).
  • Les nullités de la « période suspecte » : Si une mesure conservatoire ou une sûreté judiciaire a été prise après la date de cessation des paiements (la date, fixée par le tribunal, où l’entreprise était déjà en état d’insolvabilité) mais avant le jugement d’ouverture, elle risque d’être annulée par le tribunal comme « acte suspect » (article L. 632-1 du Code de commerce). L’exception principale est si l’acte de saisie ou l’inscription provisoire est elle-même antérieure à cette date de cessation des paiements.
  • Quelques exceptions notables :
    • Les créanciers peuvent prendre des mesures conservatoires contre les cautions personnes physiques du débiteur en procédure collective, même pendant la période d’observation (article L. 622-28 du Code de commerce).
    • Le tribunal de la procédure collective dispose de pouvoirs spécifiques pour ordonner lui-même des mesures conservatoires, y compris contre des tiers, en cas de confusion de patrimoines ou de fictivité de la société (article L. 621-2 du Code de commerce).

En résumé, l’ouverture d’une procédure collective paralyse la plupart des initiatives individuelles des créanciers, y compris les mesures conservatoires non finalisées. La date à laquelle une mesure est prise et convertie (pour les saisies) ou publiée (pour les sûretés) est donc absolument déterminante.


Naviguer dans les méandres des saisies sur valeurs mobilières, des procédures européennes ou de l’impact d’une procédure collective requiert une analyse juridique attentive. Un conseil précis sur votre situation spécifique peut s’avérer déterminant pour la sauvegarde de vos droits, que vous soyez créancier cherchant à agir ou débiteur confronté à ces procédures. N’hésitez pas à nous contacter pour en discuter.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution (CPCE)
  • Code de commerce
  • Code civil
  • Règlement (UE) n° 655/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014

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